Les avatars du pathos erotikon dans les Métamorphoses d’Ovide

   

Anne Videau

 

Brooks Otis (1966) conclut sa monographie sur la formule : Les Métamorphoses restent uniques : c'est la seule épopée de l'amour[1] . Serait-ce une définition du romanesque de cette œuvre lue sous l'angle des représentations de l'éros . Parthénios de Nicée[2], qui a influencé son auteur, poète épique et élégiaque, dédiait en ces termes à l'élégiaque Cornélius Gallus  le recueil de notices des Erotika pathemata qu'il avait composé [Parth.Nar.amat.praef.1]  :

Pensant que c'était à ta destination, Cornélius Gallus, qu'il convenait de rassembler des histoires d'amour, j'en ai recueilli le plus possible dans la forme la plus brève et te les ai dédiées. Tu pourras ainsi connaître celles que mentionnent certains poètes sans les raconter entièrement, et introduire dans des récits épiques ou dans des élégies celles qui te sembleront les plus appropriées. Et ne va pas en faire moins de cas si ne s'y trouve pas l'élévation que tu recherches : réunies en une sorte d'aide-mémoire, elles te rendront maintenant, je le crois, un grand service.

Μάλιστα σοὶ δοκῶν ἁρμόττειν, Κορνήλιε Γάλλε, τὴν ἄθροισιν τῶν ἐρωτικῶν παθημάτων ἀναλεξάμενος ὡς ὅτι πλεῖστα ἐν βραχυτάτοις ἀπέσταλκα. τὰ γὰρ παρά τισι τῶν ποιητῶν κείμενα τούτων, μὴ αὐτοτελῶς λελεγμένα, κατανοήσεις ἐκ τῶνδε τὰ πλεῖστα· αὐτῷ τέ σοι παρέσται εἰς ἔπη καὶ ἐλεγείας ἀνάγειν τὰ μάλιστα ἐξ αὐτῶν ἁρμόδια. <μηδὲ> διὰ τὸ μὴ παρεῖναι τὸ περιττὸν αὐτοῖς, ὃ δὴ σὺ μετέρχῃ, χεῖρον περὶ αὐτῶν ἐννοηθῇς· οἱονεὶ γὰρ ὑπομνηματίων τρόπον αὐτὰ συνελεξάμεθα, καὶ σοὶ νυνὶ τὴν χρῆσιν ὁμοίαν, ὡς ἔοικε, παρέξεται.

Le roman des Aventures de Chéréas et Callirhoé de Chariton, le premier que nous lisions intégralement, daté de la deuxième moitié du Ier ou du début du IIesiècle, commence par ces mots : [Charito1,1,1]

Moi, Chariton d'Aphrodise, secrétaire de l'avocat Athénagoras, je vais conter un pathos erotikon arrivé à Syracuse.

Χαρίτων ᾿Αφροδισιεύς, ᾿Αθηναγόρου τοῦ ῥήτορος ὑπογραφεύς, πάθος ἐρωτικὸν ἐν Συρακούσαις γενόμενον διηγήσομαι.

Erotikon pathema, pathos erotikon : aborder le poème latin par sa relation avec une tradition littéraire grecque, antécédente et postérieure, situe dans la ligne d'interprétation du grand philologue Erwin Rhode (1960). Interroger ses manifestations sans partir de clivages opposant a priori des couples mariés et « libres », des couples hétérosexuels et homosexuels, des couples divins et héroïques, vise à la fois à éviter les anachronismes, spécialement chrétiens, tout en envisageant que le romanesque excède ces oppositions. Ovide tisse son poème de récits d'aventures amoureuses provenant de plusieurs cultures du Bassin méditerranéen : le nom d'« avatar », en sanscrit, métamorphose achevée du dieu[3], a été choisi pour caractériser une ambition que l'on peut qualifier d'indo-européenne dans l'évocation de mille figures d' « amours »[4].

Pour parodier le titre de Philostrate, les Métamorphoses offrent en effet une véritable « Galerie » aux récits d'extension très variée, depuis l'épisode de deux cents vers ou plus[5], jusqu'à l'allusion d'un vers unique, pour l'aventure [Ov.Met.4,283] de Crocus et Smylax[6]. On y verra trois histoires de grands dieux entre eux : Jupiter et Junon (3), Mars et Vénus (4), Pluton et Proserpine (5) ; des demi-dieux ou petits dieux, fleuves, nymphes, centaures... comme Pan et Syrinx (1), Écho et Narcisse (3), Salmacis et Hermaphrodite (4), Alphée et Aréthuse (5), Priape et Lotis (9)... ; des dieux avec des héroïnes mortelles, ainsi Jupiter avec Io (1), Callisto, Europe (2), Sémélé (3) ; Apollon ou le Soleil avec Daphné (1), Coronis (2), Leucothoé et Clytie (4), Dryope (9), la Sibylle italienne (14) ; mais aussi avec des héros : Jupiter et Ganymède (10), Apollon et Cyparissus, et Hyacinthe (au même livre) ; et encore, Neptune et Cornix (2), Neptune et Cénée (12) ; Mercure et Aglaure (2) ; Bacchus et Ariane (8) ; Polyphème et Galatée (13)[7]... ; des déesses avec des mortels : Diane et Actéon (3) ; Vénus et Adonis (10) ; Thétis et Pélée (11)... ; enfin des héros entre eux : Deucalion et Pyrrha (1) ; Tirésias face aux serpents mâle et femelle (3) ; Pyrame et Thisbé, Cadmus et Harmonie (4) ; Persée et Andromède (5) ; Térée, Procnè et Philomèle (6) ; Jason et Médée, Céphale et Procris (7) ; Nisus et Scylla, Méléagre et Atalante, Philémon et Baucis (8) ; Byblis et Caunus, Iphis et Ianthè (9) ; Orphée et Eurydice, Pygmalion et sa statue, Cinyras et Myrrha, (10) ; Céyx et Alcyone, Ésaque et Hespérie (11) ; Ixion et Hippodamie (12) ; Iphis et Anaxarète, Romulus et Hersilia (14) ; Égérie et Numa (15). Sans répertorier encore les amours brodées par Arachnè sur sa toile, au livre 6.

Livre 1

Deucalion et Pyrrha, [Ov..1,253-415] 1, 253-415

Apollon et Daphné, [Ov.Met.1,452-567] I1, 452-567

Jupiter et Io, [Ov.Met.1,568-746] 1, 568-746

Pan et Syrinx, [Ov.Met.1,689-712] 1, 689-712

Livre 2

Jupiter et Callisto, [Ov.Met.2,401-530] 2, 401-530

Apollon et Coronis, [Ov.Met.2,531-633] 2, 531-633

Neptune et Cornix, [Ov.Met.2,569-589] 2, 569-589

Nyctimène et son père, [Ov.Met.2,589-595] 2, 589-595

Mercure et Aglaure, [Ov.Met.2,708-832] 2, 708-832

Jupiter et Europe, [Ov.Met.2,833-875] 2, 833-875

Livre 3

Diane et Actéon, [Ov.Met.3,131-250] 3, 131-250

Jupiter et Sémélé, [Ov.Met.3,251-315] 3, 251-315

Tirésias, Jupiter et Junon, [Ov.Met.3,316-338] 3, 316-338

Écho et Narcisse, [Ov.Met.3,339-406] 3, 339-406 ; [Ov. Met. 3, 499-510] 499-510

Narcisse et Narcisse, [Ov.Met.3,339-510] 3, 339-510

Livre 4

Pyrame et Thisbé, [Ov.Met.4,55-166] 4, 55-166

Mars et Vénus, [Ov.Met.4,167-189] 4, 167-189

Le Soleil, Leucothoé, Clytie, [Ov.Met.4,256-270] 4, 256-270

Daphnis, [Ov.Met.4,276-278] 4, 276-278

Sithon, [Ov.Met.4,279-280] 4, 279-280

Crocus et Smylax, [Ov.Met.4,283] 4, 283

Salmacis et Hermaphrodite, [Ov.Met.4,285-388] 4, 285-388

Cadmus et Harmonie, [Ov.Met.4,563-603] 4, 563-603

Persée et Andromède, [Ov.Met.4,663-801] 4, 663-801

Neptune et Méduse, [Ov.Met.4,792-803] 4, 792-803

Livre 5

Pyrénée et les Muses, [Ov.Met.5,250-293] 5, 250-293

Pluton et Proserpine, [Ov.Met.5,332-408] 5, 332-408

Alphée et Aréthuse, [Ov.Met.5,572-641] 5, 572-641

Livre 6

Térée, Philomèle et Procnè, [Ov.Met.6,412-674] 6, 412-674

Borée et Orithye, [Ov.Met.6,675-721] 6, 675-721

Livre 7

Jason et Médée, [Ov.Met.7,1-452] 7, 1-452

Ménéphon et sa mère, [Ov.Met.7,386-387] 7, 386-387

Céphale et Procris, [Ov.Met.7,661-685] 7, 661-865

Livre 8

Nisus et Scylla, [Ov.Met.8,1,151] VIII, 1-151

Ariane et Bacchus, [Ov.Met.8,152-182] 8, 152-182

Méléagre et Atalante, [Ov.Met.8,420-546] 8, 420-546

Philémon et Baucis, [Ov.Met.8,611-724] 8, 611-724

Livre 9

Achéloüs et Déjanire, [Ov.Met.9,1-97] 9, 1-97

Nessus et Déjanire, [Ov.Met.9,98-134] 9, 98-134

Apollon et Dryope, [Ov.Met.9,329-332] 9, 329-332

Priape et Lotis, [Ov.Met.9,346-348] 9, 346-348

Byblis et Caunus, [Ov.Met.9,447-466] 9, 447-666

Milet et Cyanée, [Ov.Met.9,447-453] 9, 447-453

Iphis et Ianthé, [Ov.Met.9,667-797] 9, 667-797

Livre 10

Orphée et Eurydice, [Ov.Met.10,1-85] 10, 1-85

Apollon et Cyparissus, [Ov.Met.10,86-142] 10, 86-142

Jupiter et Ganymède, [Ov.Met.10,143-161] 10, 143-161

Apollon et Hyacinthe, [Ov.Met.10,162-219] 10, 162-219

Les Propétides, [Ov.Met.10,220-242] 10, 220-242

Pygmalion et sa statue, [Ov.Met.10,243-297] 10, 243-297

Myrrha et Cinyras, [Ov.Met.10,298-502] 10, 298-502

Vénus et Adonis, [Ov.Met.10,503-559] 10, 503-559 ; [Ov.Met.10,708-739] 708-739

Hippomène et Atalante, [Ov.Met.10,560-707] 10, 560-707

Livre 11

Orphée, les Bacchantes, Eurydice, [Ov.Met.11,1-66] 11, 1-66

Hercule et Hésione, [Ov. Met. 11, 194-220] 11, 194-220

Pélée et Thétis, [Ov.Met.11,221-265] 11, 221-265

Céyx et Alcyone, [Ov.Met.11,410-572] 11, 410-572

Ésaque et Hespérie, [Ov.Met.11,731-795] 11, 731-795

Livre 12

Neptune et Cénée, [Ov.Met.12,146-209] 12, 146-209

Ixion et Hippodamie, [Ov.Met.12,210-458] 12, 210-458

Livre 13 Acis, le Cyclope et Galatée, [Ov.Met.13,750-897] 13, 750-897

Glaucus et Scylla, [Ov.Met.13,719-749] 13, 719-749 ; [Ov.Met.13,898-968] 898-968

Livre 14

Glaucus et Scylla (fin), [Ov.Met.14,1-74] 14, 1-74

Circé et Glaucus, [Ov.Met.14,1-74] 14, 1-74

Phébus et la Sibylle, [Ov.Met.14,101-153] 14, 101-153

Picus, Canente et Circé, [Ov.Met.14,308-440] 14, 308-440

Pomone et Vertumne, [Ov.Met.14,609-697] 14, 609-697 ; [Ov.Met.14,761-771] 761-771

Iphis et Anaxarète, [Ov.Met.14,698-761] 14, 698-761

Romulus et Hersilia, [Ov.Met.14,805-851] 14, 805-851

Livre 15

Égérie et Numa, [Ov.Met.15,479-551] 15, 479-551

Dans son Mythe et poésie dans les Métamorphoses d'Ovide, Jacqueline Fabre - Serris (1995), à la suite d'autres chercheurs, construit une dichotomie antagoniste entre les notions de « poésie amoureuse » et de « poésie épique ». Or, comme nous le remarquions lors du compte rendu de son livre, leur rapprochement est dissymétrique, puisque la référence se fait, d'un côté, à un thème, de l'autre, à un genre dans son composé de forme et de contenu. On ne peut éluder que l'épopée depuis ses origines homériques aime l'éros : celui d'Ulysse et Calypso, et Circé, et Pénélope, celui d'Achille et Patrocle, et Briséis, celui d'Hélène et Pâris, d'Hector et Andromaque. Les amours de Jason et Médée au chant 3 des Argonautiques annoncent celles de la Didon et de l'Énée virgiliens... Ovide le fait dire d'ailleurs à son porte-parole, Nason, dans l'apologie des Tristes où il défend l'Art d'aimer qui l'aurait fait exiler[Ov.Tr.2,371-380] [8]. La question serait alors : « Quelque chose diffèrerait-il avec les Métamorphoses et quoi en vérité ? ».

J. -P. Vernant commente les premiers vers de la Théogonie d'Hésiode[9]  [Hes.Op.116-120] : Chaos, Terre, Amour, telle est [...] la triade des Puissances dont la genèse précède et introduit tout le processus d'organisation cosmogonique... [...] la naissance d'Aphrodite marque le moment où le processus générateur va être soumis à des règles strictes, où il va s'opérer, sans confusion et sans excès, par l'union momentanée de deux principes contraires, masculin et féminin rapprochés par le désir, mais maintenus à distance par l'opposition de leur nature... Ainsi se constitue un monde où il existe, associés et confrontés, des partenaires qui vont donner à la genèse, au fur et à mesure qu'elle se poursuit, un cours dramatique, fait de mariages, de procréations, de rivalités entre générations successives, d'alliances et d'hostilité, de combats, d'échecs et de victoires[10].

La généalogie est première dans la constitution de l'épopée occidentale, chez Hésiode, sous la forme d'une généalogie divine ou « théogonie », c'est-à-dire à la fois d'un récit de l'engendrement des dieux et, plus étroitement, de l' enchaînement, de la structure, de ce récit. Or, d'une part, Eros a immédiatement partie liée avec elle et, d'autre part, Eros et eris ne sont pas dissociables. Il n'y a pas de clivage entre l'histoire qui raconte l'engendrement des enfants de Terre et Ciel et celle qui raconte la castration de Ciel et la prise de pouvoir de Chronos. C'est en tant que descendant de telle lignée que le dieu ou le héros est amené et légitimé à revendiquer un pouvoir qu'il conquiert dans l'eris. Pour suivre J. -P. Vernant : La narration hésiodique est donc indissolublement une théogonie, qui expose la suite des générations divines, et un vaste mythe de souveraineté relatant de quelle façon, à travers quels combats [...], Zeus a réussi à établir sur tout l'univers une suprématie royale qui donne à l'ordre présent du monde son fondement et qui en garantit la permanence.

À parcourir rapidement l'Iliade, il est loisible de constater que c'est parce qu'Achille possède Briséis, que lui prend Agamemnon, que la guerre de Troie se suspend ; c'est parce qu'Achille aime Patrocle qu'Hector tue, qu'il revient au combat ; c'est parce qu'Hector part au combat que paraît son amour pour Andromaque... Aussi bien, dans les Argonautiques d'Apollonios de Rhodes, l'amour de Médée est l'instrument du triomphe de Jason et des Argonautes et de leur retour dans leur patrie. Si le cas est plus subtil pour les amours de voyage d'Ulysse, ou encore d'Énée chez Didon[11], le poète redit néanmoins que la Sidonienne a pour rôle de réparer la flotte du héros, fracassée par la tempête soulevée par Junon, avant qu'il ne reparte vers l'Italie, et pour qu'il puisse repartir, « qu'ainsi l'ont filé les destins ».

L'éros, loin d'être secondaire dans l'épopée, en structure donc l'intrigue par le biais de la généalogie et de la causalité. Pour transposer l'expression de Daniel Madelénat (1974), le destin de l'éros est totalement intriqué dans celui des collectivités dont les héros, ses proies, sont les champions. Cet éros-là est en rapport à la fois de création et de dépendance par rapport à l'ordre cosmique, l'éros individuel ne se dissociant pas du destin des collectivités auxquelles participent les individus, qu'ils soient dieux ou héros.

1. Les Métamorphoses, généalogie héroïque et cosmogonie

Deucalion et Pyrrha, fils et fille des frères Prométhée et Épiméthée, forment, au livre 1, le premier couple du poème. Leur affectueux dialogue a pour objet non leur couple dans sa tendresse réciproque mais le sauvetage du monde englouti sous les eaux du Déluge, à l'origine des temps, et la recréation du genre humain : [Ov.Met.1,348-394]

L'univers était restauré ; quand Deucalion le vit désert, et les terres désolées où régnait un profond silence, il parla en pleurant à Pyrrha [...]. Il dit, et ils pleuraient. Ils décidèrent d'implorer la puissance céleste et de chercher secours auprès des oracles sacrés. Sur-le- champ, ils se rendent ensemble près des ondes du Céphise [...]. La déesse [Thémis] s'émut, et leur rendit l'oracle : « Éloignez-vous du temple, voilez votre tête, défaites la ceinture de vos vêtements et jetez par-dessus votre épaule les os de votre grande mère ». Longtemps ils restèrent interdits, puis Pyrrha, la première, rompt le silence en refusant d'obéir aux ordres de la déesse ; elle la prie d'une voix tremblante de lui pardonner et redoute d'offenser l'ombre de sa mère en lançant ses os. Cependant ils repassent dans leur esprit les réponses obscures de l'oracle aux sombres arcanes qui leur a été rendu, et, entre eux, les tournent et retournent. Alors le fils de Prométhée calme doucement la fille d'Épiméthée : « Si je ne me laisse pas abuser par trop de subtilité, l'oracle est religieux et il ne nous conseille aucun sacrilège. Notre ' grande mère ', c'est la Terre. Les pierres du corps de la Terre, je crois qu'il les appelle ses ' os '. Ce sont eux qu'il nous ordonne de jeter par-dessus notre épaule .»[12].

Redditus orbis erat; quem postquam vidit inanem / et desolatas agere alta silentia terras, / Deucalion lacrimis ita Pyrrham adfatur obortis: ... / dixerat, et flebant: placuit caeleste precari / numen et auxilium per sacras quaerere sortes. / nulla mora est: adeunt pariter Cephesidas undas,... Mota dea est sortemque dedit: 'discedite templo / et velate caput cinctasque resolvite vestes / ossaque post tergum magnae iactate parentis!' / obstupuere diu: rumpitque silentia voce / Pyrrha prior iussisque deae parere recusat, / detque sibi veniam pavido rogat ore pavetque / laedere iactatis maternas ossibus umbras. / interea repetunt caecis obscura latebris / verba datae sortis secum inter seque volutant. / inde Promethides placidis Epimethida dictis / mulcet et 'aut fallax' ait 'est sollertia nobis,  / aut (pia sunt nullumque nefas oracula suadent!) / magna parens terra est: lapides in corpore terrae / ossa reor dici; iacere hos post terga iubemur.'

Certains des récits d'union se concluent explicitement sur un engendrement et un enfantement : Arcas, naît de Jupiter et de Callisto (2) ; Esculape, d'Apollon et de Coronis (2) ; il reparaît au livre 15 [Ov.Met.15,622-744] (622-744) ; Bacchus, de Sémélé et de Jupiter ; Adonis est fils de Myrrha et de son père Cinyras (10)... Mais, comme l'annonce leur titre, les Métamorphoses sont centrées sur un autre processus, qui apparaît comme processus de mise au jour de réalités nouvelles. Deucalion et Pyrrha, précisément, n'engendrent pas dans une union sexuelle[13] mais en accomplissant les ordres de l'oracle comme les a interprétés le jeune homme.

Les Métamorphoses sont entées sur des mythes dans lesquels telle transformation est provoquée par l'amour, par suite d'un désir, partagé ou non..., et réalise, suspend et/ou commémore ce désir en amenant à l'existence un réel encore inconnu : Daphné, le laurier (1) ; Syrinx, la flûte (2) ; Écho, l'écho (3) ; Aréthuse et Salmacis, telle source de Sicile (5) et de Carie (4)..., un réel naturel. Ce réel sera parfois, aussi, symbolique, comme le laurier d'Apollon et Daphné, emblème du triomphe et de la Domus augustéenne, et comme le cyprès d'Apollon et Cyparissus, voué à perpétuer tant le deuil du jeune homme pour le cerf qu'il aimait et celui d'Apollon qui le perd, que celui des membres de la communauté romaine qui en partagent le symbole. On voit bien ainsi comment ces histoires d'amour-là viennent construire le monde et la communauté humaine qui l'habite.

Ces engendrements sont l'œuvre surnaturelle de puissances divines et s'inscrivent dans un déroulement dépendant du Fatum. L'explicitation des causes de l'aventure amoureuse est en particulier un topos, et même un leitmotiv. Ainsi, à propos d'Apollon et de Daphné, le narrateur vient remarquer que l'amour du dieu ne naquit pas d'une fors ignara, d'« une inconsciente fortune », mais de la colère de Cupidon humilié par le dieu, Cupidinis ira[14]. Le rapt de Proserpine est provoqué par la volonté de Vénus d'étendre son empire jusqu'aux Enfers[Ov.Met.5,362-384][15]. La nymphe Galatée, poursuivie par le Cyclope, se plaint de la toute-puissance de la déesse, puisqu'elle gouverne jusqu'au monstre « impitoyable », « horreur des forêts » et « contempteur de l'Olympe ». La volonté de Jupiter, qui redoute l'oracle lui annonçant un fils qui serait plus grand que lui, est à l'origine de l'union de Thétis et Pélée[Ov.Met.11,221-228][16]. Et si l'amour incestueux de Myrrha ne peut être revendiqué par Cupidon, il est « soufflé d'un brandon pris au Styx et de serpents renflés de venin, par l'une des trois sœurs » Parques[Ov.Met.10,311-315][17].

Juxtaposant les principes d'engendrement naturel et surnaturel, les Métamorphoses soumettent l'éros à un ordre cosmique supérieur, global, où il est inclus et intervient comme médium de sa réalisation : cette représentation est proprement épique. Il s'y profile peut-être néanmoins la représentation de relations « érotiques » où l'éros particulier serait moins intriqué dans l'aventure de la communauté, à peine dans la génération et dans la création des êtres. Les relations des protagonistes pourraient n'avoir de sens et ne valoir que pour eux-mêmes, où y tendraient. Leurs aventures ne seraient pas ou peu soumises à l'intervention divine, à celle du Fatum, voire à une providence.

2. L'enlèvement d'Europe et les métamorphoses de Thétis : séduction et engendrement

Le récit de l'enlèvement d'Europe, par exemple, n'est nullement couronné, à la fin du livre 2, par la naissance de Minos, Rhadamanthe et Sarpédon ; et cela alors même qu'au livre 8, Scylla, fille de Nisus, s'éprend du premier « fils d'Europe »[Ov.Met.8,23][18] qui assiège la ville de son père. La comparaison avec le poème de Moschos accentue l'évidence du choix ovidien, puisque, chez l'Alexandrin, Jupiter promet sa descendance à Europe pour la séduire[19]. Toute l'ambivalence narrative et descriptive d'Ovide est, en revanche, concentrée d'abord sur la dualité de Jupiter - taureau et sur son approche amoureuse, puis sur l'attitude à la fois craintive et confiante de la jeune fille montée sur le dos de l'animal en partance pour la Crète[20]. Le récit est donc polarisé sur les circonstances de l'attrait et de la rencontre des protagonistes, non sur leur étreinte et ses suites.

Ici, la métamorphose de Jupiter est, en soi, péripétie. Elle introduit la dualité à l'intérieur du même. Ovide le signifie par une intervention du narrateur : [Ov.Met.2,427-431]

Non bene conueniunt nec in una sede morantur
maiestas et amor [...]

Ne se conviennent bien ni ne vont ensemble
majesté et amour[21].

Plus malicieusement encore, lorsque le même dieu séduit Callisto sous la figure de Diane[Ov. Met. 2, 427-431] :

[...] De caespite uirgo
se leuat et ? Salue numen me iudice ' dixit
? Audiat ipse licet maius Ioue ' Ridet et audit
et sibi praeferri se gaudet et oscula iungit
nec moderata satis nec sic a uirgine danda

[...] La jeune fille se soulève
du gazon et : « Salut, dit-elle, divinité à mon gré,
dût-il m'écouter en personne, supérieure à Jupiter ! ». Il rit, il écoute,
il se réjouit de se voir préférer à lui-même, et il l'embrasse
sans retenue de baisers que ne saurait donner une jeune fille[22],

le narrateur manifeste le paradoxe par la dualité de cas du même pronom autour du même verbe, sibi praeferri se. Il s'amuse encore d'une ambiguïté analogue au livre 14, lorsque Vertumne, après avoir cherché à conquérir Pomone sous mille apparences de travailleurs dans la campagne romaine, revêt les traits d'une vieille femme pour pénétrer dans l'hortus conclusus de sa belle : [Ov.Met.14,675sqq.]

Sed si tu sapies si te bene iungere anumque
hanc audire uoles quae te plus omnibus illis
plus quam credis amo [...] Pro quo
me quoque pignus habes neque enim sibi notior ille est
quam mihi [...]

Mais si tu es sage, si tu veux te bien marier et écouter la vieille
que je suis, moi qui t'aime plus que tous les autres,
plus que tu ne peux le croire. [...] Pour lui,
tu m'as comme garant, car il ne se connaît pas mieux
que moi [...]

Dans ces trois passages, le narrateur introduit l'idée d'une division dans le dieu métamorphosé. En particulier, le Jupiter qui se métamorphose en taureau pour Europe s'abaisserait, quand bien même sa capacité à devenir taureau relève de sa toute-puissance et la révèle. B. Otis note que cette représentation est absolument étrangère à la divinité homérique[23].

La différence est sensible à relire en parallèle un épisode tel que celui de la conquête de Thétis par Pélée [Ov.Met.11,221-265][24]. Le narrateur s'adresse à la déesse marine [Ov.Met.11,241-246et260-262]  :

Et n'aurais-tu recouru, changeant de forme maintes fois,
à tes artifices ordinaires, il eût gagné son entreprise,
mais tantôt tu étais oiseau, oiseau, il te tenait,
tu étais tantôt arbre lourd, Pélée pesait sur l'arbre.
Tu pris pour troisième forme une tigresse tachetée : elle
terrorisa l'Éacide, qui détacha ses bras de toi.
[...]
À peine Pélée avait pris possession de son corps virginal
qu'elle change de forme, jusqu'à ce qu'elle sente que ses membres
sont prisonniers et ses bras tendus à droite et à gauche[...][25]

quod nisi venisses variatis saepe figuris
ad solitas artes, auso foret ille potitus;
sed modo tu volucris: volucrem tamen ille tenebat;
nunc gravis arbor eras: haerebat in arbore Peleus;
tertia forma fuit maculosae tigridis: illa
territus Aeacides a corpore bracchia solvit. ...
vix bene virgineos Peleus invaserat artus:
illa novat formas, donec sua membra teneri
sentit et in partes diversas bracchia tendi.

Ses transformations, reprises de celles de Protée dans l'Odyssée, puis dans la quatrième Géorgique[26] [Hom.Od.4,351sqq] [Verg.G.4,437-442] , ne remettent aucunement en cause l'unité de la déesse. En outre, elles sont un instrument de lutte, et déjà en cela épiques. Elles relèvent d'une conception religieuse que l'on est tentée d'appeler archaïque où la métamorphose n'altère pas la nature « une » du dieu métamorphosé.

Les deux métamorphoses de Jupiter et celle de Vertumne, où le héros joue de sa double nature, n'appartiennent plus au même univers. La conquête y passe par ce jeu : romanesque ?

Aventure amoureuse et prégnance du grand genre : intrigue collective et élégie dans l'épisode de Céyx et Alcyone ( [Ov.Met.11,410-572] 11,410-572); la tragédie de Térée, Procnè et Philomèle et l'horreur [Ov.Met.6,412-674] 6, 412-674).

Il ne suffit donc pas que l'attention soit portée sur la relation amoureuse dans son déploiement et et non dans sa conséquence généalogique pour produire du romanesque. L'étude de la métamorphose introduit à l'idée d'une dualité nécessaire dans l'ethos des personnages.

Les épisodes concernant les héros Céyx ( [Ov.Met.11,410-572] 11, 410-572) et Térée (6, [Ov.Met.6,412-674] 412-674) sont fondés sur une multiplication de péripéties provoquées par Éros, néanmoins, elles semblent échapper, pour des raisons différentes, au romanesque.

Le rapport instauré entre le héros Céyx et sa communauté par les aventures de son frère et par celles de Pélée ; la narration de la tempête qu'il essuie, qui implique tout son équipage et le cosmos comme dans l'Odyssée ou l'Énéide ; et encore le songe envoyé à Alcyone, désespérée de l'absence de son mari, par Junon protectrice des époux, ces trois composantes maintiennent fortement l'épisode dans la dimension épique. Mais la scène d'adieu qui confronte le mari et la femme[Ov.Met.6,414-473] [27], les derniers moments de Céyx, désormais solitaire, se noyant, prennent en revanche, en marge de la collectivité et de l'intervention divine, une coloration élégiaque[28] sur laquelle on reviendra.

L'épisode de Térée et Procnè a pour cadre les guerres au cours desquelles ce roi thrace vient à la rescousse de Pandion, roi d'Athènes, contre des attaques de Thèbes. Il met en scène l'intimité des relations sororales entre Procnè et Philomèle, des relations conjugales entre Térée et Procnè, des relations filiales des deux jeunes femmes vis-à-vis de leur père Pandion, tous liens initialement affectueux. Ces relations engagent la première péripétie : éloignée de sa sœur qui vit à Athènes et nostalgique d'elle, Procnè obtient de son mari la faveur qu'il fasse le voyage pour aller la chercher. Mais l'entrevue entre la belle-sœur et le beau-frère déclenche la passion du roi et entraîne l'enlèvement, le viol et la réclusion de Philomèle dans unebergerie [Ov.Met.6,574-575][29] où elle invente de tisser la toile de ses destins pour la faire porter à sa sœur. Ovide introduit un narrateur critique, en manière de chœur : il souligne la duplicité[Ov.Met.6,469et471] [30] et l'hybris de Térée[Ov.Met.6,461-465et480][31] qui provoque le furor des femmes, tous traits tragiques. Viol et mutilation de Philomèle[Ov.Met.6,511sqq.] [32], lacération de l'enfant par la mère et la tante[Ov.Met.6,636-646] [33], consommation du fils par le père, qui rappelle le festin d'Atrée, le récit est construit suivant une progression jusqu'à un paroxysme moins dans la terreur que dans l'horreur.

En dépit des relations familiales sentimentales premières, en dépit de la péripétie d'un voyage qui n'a pour motif que cette relation affective, en dépit aussi de la causalité naturelle que le narrateur attribue à l'amour du roi, né de la beauté de Philomèle, mais plus encore de sa propre lascivité indissociable de la lascivité de sa race[Ov.Met.6,455-460][34], en vertu d'un lieu commun éthique ethnique sur les Thraces, l'épique est tiré ici dans le sens d'un tragique de l'horreur, conformément aux matrices dont Ovide s'inspire : on sait que le passage relit les Térée presque perdus de Sophocle mais aussi d'Accius[35].

3. Entre épique et romanesque : les amours de Céphale et Procris ([Ov.Met.7,661-685] 7, 661-865)

Le récit des aventures de Céphale et Procris, au livre 7, introduit une dimension nouvelle dans la présentation des péripéties narratives et de leur moteur.

Le héros Céphale entre toujours en scène dans le contexte d'une campagne d'alliances guerrières. Fils d'Éole, gendre du roi d'Athènes Érechthée, il aborde avec une légation chez Éaque, roi d'Égine, pour maintenir sa fidélité alors que Minos de Crète le sollicite contre la ville de Pallas[Ov.Met.7,490-523][36]. Vieilli[Ov.Met.7,494-500][37] mais toujours beau, il est amené à raconter[Ov.Met.7,661-685][38] ses aventures. La situation d'énonciation reprend l'archétype homérique du récit en analepse d'Ulysse chez les Phéaciens, imité par celui d'Énée chez Didon[Hom.Od.8,469-486] [Verg.Aen.2,1sqq.] [39]. Ovide ne se dispense pas de signaler la retractatio par les pleurs qui accompagnent le début comme la fin de la narration  [Ov.Met.7,689et863-865] :

[...] en deuil 
de son épouse perdue, il parle ainsi, les larmes aux yeux.

tactusque dolore
coniugis amissae lacrimis ita fatur obortis:

Tels les souvenirs que le héros en pleurs leur rappelait, et ils pleuraient, et
entre alors Éaque, ses deux fils, une troupe
nouvelle que Céphale reçoit, solidement armée[40].

Flentibus haec lacrimans heros memorabat, et ecce
Aeacus ingreditur duplici cum prole novoque
milite; quem Cephalus cum fortibus accipit armis.

Elle répond à la curiosité du fils d'Éaque sur l'arme que porte le héros, destinée à la chasse, activité épique de l'otium[Ov.Met.7, 672-673] :

Il remarque que l'Éolide porte, fait d'un bois inconnu,
un javelot dont la pointe était d'or[41].

Le récit fait alterner deux théâtres, « l'Hymette toujours fleuri » et dans ses vallées [Ov.Met.7,702][Ov.Met.7,746][Ov.Met.7,804-810] [Ov.Met.7,836][42], le palais dans Athènes[Ov.Met.7,723][43]. Le javelot apparaît à la conclusion du premier des trois temps de l'histoire, dans une de ces chasses à l'animal - fléau telle qu'elles sont récurrentes dans l'épopée[44], la chasse au renard de Thèbes[Ov.Met.7,758-793][45]  ; son rôle y est d'ailleurs curieusement suspendu[Ov.Met.7,787-791][46]. Dans cet ensemble épique, où Céphale présente sa femme au sein de sa lignée, comme sœur de l'Orithye enlevée par Borée[Ov.Met.6,675-721] [47], et comme fille d'Érechthée, s'insère et s'entrelace une aventure amoureuse, où la descendance n'aura, elle, aucune place.

Elle est caractérisée par une péripétie dont la dualité en miroir est accentuée par Ovide comme par Hygin[48].

Au premier temps de l'histoire[Ov.Met.7,700-756][49], le héros est enlevé par Aurore au cours d'une chasse. Au désir de la déesse, il répond par la fidélité du cœur et du corps, par les lois du mariage. Renvoyé à son épouse, il est pris de jalousie. Et, pareil à Ulysse rentrant incognito à Ithaque auprès de Pénélope[Ov.Met.7,722] [50], il revient en son palais. Mais la mise à l'épreuve de Procris est tout autre que celle de la reine homérique, puisque Céphale met tout en œuvre pour la pousser à l'adultère, auquel Procris est prête à céder, lorsqu'il se révèle. Le stratagème lui ayant rendu son mari odieux, la jeune femme s'éloigne dans la sauvagerie des monts et se livre à son tour à la chasse, pour enfin se réconcilier avec son mari, et lui offrir le fameux javelot accompagné d'un chien. Au troisième temps de l'histoire[Ov.Met.7,794-862] [51], le héros, toujours chasseur et toujours solitaire, se livre au repos, dans la vallée, avec une grande jouissance qu'il exprime à voix haute. Il invoque A/aura, la « B/brise » qui le charme. Ce qu'un quidam rapporte à son épouse. Croyant à une présence féminine, celle-ci se rend au lieu de la chasse pour entendre de ses oreilles les appels, s'approcher, et, prise pour une bête sauvage, être transpercée par le javelot qu'elle-même a offert à son meurtrier et mari, qui toujours férit sa cible.

Dans les deux moments entièrement consacrés aux relations amoureuses des protagonistes, au premier abord, les péripéties semblent naître d'une part, des sentiments qu'ils éprouvent vis-à-vis l'un de l'autre : metus, timor de l'adultère pour Céphale[Ov.Met.7,715-722][52], haine en retour de son stratagème pour Procris[Ov.Met.7,743-746][53], passion renouvelée pour Céphale, puis apaisement (uenia) et retour à la concorde[Ov.Met.7,747-756][54]. Puis sensualité solitaire chez Céphale, douleur, crainte et suspicion chez Procris[Ov.Met.7,824-834][55] ; d'autre part de l'intervention du hasard en la personne du nescio quis qui rapporte à Procris les invocations de Céphale. Ces éléments : la multiplication des péripéties autour du pivot central, mise à l'épreuve et fuite de Procris, réconciliation, puis doute et mort de Procris ; l'apparente prévalence du moteur psychologique ; la liberté apparente des héros dans leurs réactions ; l'intervention arbitraire du hasard tirent l'épisode hors de l'épique.

Mais son excellence pour notre lecture tient à son ambiguïté. Dès le départ, Céphale attribue explicitement la responsabilité des événements aux dieux : Non ita dis uisum est, « les dieux n'en ont pas décidé ainsi »[Ov.Met.7,699][56]. C'est le désir d'Aurore qui met en branle l'histoire. Pourtant, le texte ne semble pas permettre de trancher entièrement entre deux interprétations.

En réponse au refus de Céphale, Aurore prononce des paroles ambiguës  [Ov.Met.7,711-713] :

[...] « Cesse tes plaintes, ingrat, me dit-elle,
garde ta Procris ; si je vois clair dans l'avenir,
tu voudras ne l'avoir pas gardée », et, furieuse, elle me rendit à elle.

« siste tuas, ingrate, querellas;
Procrin habe!” dixit, “quod si mea provida mens est,
non habuisse voles. » meque illi irata remisit.

Aurore fait-elle lecture d'un destin personnel promis à Céphale à cause de ses désirs, ou bien, lance-t-elle une malédiction, un sort, en déesse-fée ?

Sur le chemin du retour  [Ov.Met.7,711-721] :

Tandis que je m'en retourne et que je repasse en moi-même les rappels de la déesse,
je me prends à craindre que mon épouse n'ait pas bien
respecté le lien conjugal : sa beauté, son âge m'invitaient
à la croire adultère, ses mœurs m'en empêchaient.
Mais, pourtant, je m'étais absenté, mais celle d'auprès de qui je revenais
était un modèle de faute, mais nous, amants, nous craignons tout.
Je décide de me mettre en quête de ce dont je souffrirais et, avec des présents,
d'éprouver la chaste fidélité de Procris. Aurore favorise ma crainte
et transforme, je crois le sentir, mon apparence[57],

cum redeo mecumque deae memorata retracto,
esse metus coepit, ne iura iugalia coniunx
non bene servasset: facies aetasque iubebat
credere adulterium, prohibebant credere mores;
sed tamen afueram, sed et haec erat, unde redibam,
criminis exemplum, sed cuncta timemus amantes.
quaerere, quod doleam, statuo donisque pudicam
sollicitare fidem; favet huic Aurora timori
inmutatque meam (videor sensisse) figuram.

le monologue intérieur du héros oscille entre, d'un côté, la rationalisation psychologique : sur le comportement de Procris, mais surtout sur le rôle de l'Aurore comme exemple d'adultère, comme modèle de femme désirante et libre ; et il faut comprendre « Aurore favorise ma crainte » comme : « l'exemple de l'Aurore favorise ma crainte ». La métamorphose de Céphale à son entrée dans Athènes est alors un effet psychosomatique « naturel » de la jalousie. Le texte oscille, d'un autre côté, vers la lecture d'une intervention surnaturelle de l'Aurore intensifiant par son pouvoir divin ses doutes et transformant de manière merveilleuse ses traits, à la manière dont Athéna change Ulysse rentrant chez lui. Surnaturel qui s'accorde avec la magie du chien et du javelot qui touche invinciblement sa cible et revient à son possesseur[Ov.Met.7,752-757][58], donnés par Procris mais en tant qu'ils lui viennent de Diane[Ov.Met.7,743-746] [Ov.Met.7,754-755] [59].

L'hésitation entre interprétation rationnelle et interprétation surnaturelle est la ligne de démarcation infime d'un genre vers l'autre, dans un épisode ainsi révélateur d'une tension de l'épique vers le romanesque. La comparaison avec la synthèse d'Hygin est parlante, où la déesse Aurore tire explicitement tous les fils. Repoussée par Céphale, elle lui réplique  [Hyg.Fab.189] :

« Je ne veux pas que tu trompes ta foi avant qu'elle [Procris] ne l'ait la première trompée ». C'est pourquoi elle change son apparence en celle d'un étranger et lui donne des cadeaux magnifiques à porter à Procris. Céphale arrive, métamorphosé, donne les cadeaux à Procris, et partage son lit. Aurore lui retire alors son apparence d'étranger. Voyant Céphale, Procris comprend qu'elle a été trompée par Aurore[...][60]

Nolo ut fallas fidem nisi illa prior fefellerit. itaque commutat eum in hospitis figuram, atque dat munera speciosa quae Procri deferret. quae cum Cephalum uidisset, sensit se ab Aurora deceptam

3. Iphis et Anaxarète, Pyrame et Thisbé : héros sans condition et intrigue romanesque

Le point extrême de cette tension se dessine dans deux autres épisodes. Les solutions génériques qu'Ovide adopte pour représenter la passion y paraissent au vif.

Dans les précédents récits, les héros sont rois et reines, fils de rois, descendants de dieux : toujours définis et tenus par le lien généalogique. Ici, la relation à l'origine se modifie, avec des variantes. Les conclusions proposées dans une étude antérieure sur l'histoire de Pyrame et Thisbé[61] permettent de mieux démêler les caractéristiques de l'enchaînement des péripéties, de leur moteur et de la dépendance des personnages par rapport à une instance tierce, supérieure, qui détermine leur parcours. Les lignes qui suivent font écho aux thèses de M. Bakhtine dans sa troisième étude de l'Esthétique et théorie du roman[62].

Dans l'aventure d'Iphis et Anaxarète (14, 698-761)[Ov.Met.14,698-761] [63], la question de l'origine est formulée uniquement par rapport aux conséquences qu'elle entraîne pour leur relation particulière[Ov.Met.14,698-700][64]. Leur dissymétrie sociale, aristocratie troyenne pour l'une, médiocrité pour l'autre[65], provoque les dédains de la belle qui « méprise et raille » le garçon,spernit et irridet [Ov.Met.14,714][66]. En conséquence, c'est dans la position du héros élégiaque à la porte de sa domina, sa « maîtresse », que se poste Iphis, après avoir usé des intermédiaires, servantes et lettres, que l'élégie romaine met aussi en scène[67]. Jusqu'au suicide. Le type de mort choisi par le jeune homme serait d'ailleurs plus féminin que masculin, si l'on suit N. Loraux (1985). Il inverserait en quelque sorte la transgression à laquelle se livrent les héroïnes ovidiennes qui se transpercent d'une épée. La présence de sa mère auprès du défunt, orphelin de père (v. 742) [Ov.Met.14,742] , rappelle l'univers féminin de telle illustre élégie tibullienne où le héros s'imagine mourant loin de sa belle, comme de sa mère et de sa sœur qui ne lui rendront pas les derniers devoirs[Tib1,3,5-8] [68]. Le récit, empruntant encore à la topique élégiaque, débouche sur l'ex-voto funèbre d'un corps appendu à la porte de la dame, en dépouille triomphale [Ov.Met.14,718-720]  :

Vincis Anaxarete neque erunt tibi taedia tandem
ulla ferenda mei. Laetos molire triumphos
et Paeana uoca nitidaque incingere lauru[69]

 Victoire, Anaxarète ! tu n'auras plus enfin à souffrir
tes dégoûts de moi. Entame l'allégresse du triomphe,
crie ' Péan ' et couronne-toi de laurier brillant [70].

puis sur l'érection de la dame cruelle en statue de pierre,Venus prospiciens [Ov.Met.14,748-761][71], en forme d'ornement funéraire. Dans la mort d'amour, le héros recherche une gloire qui s'érige d'abord aux yeux de la femme aimée [Ov.Met.14,722-723]  :

Certe aliquid laudare mei cogeris amoris
quo tibi sim gratus meritumque fatebere nostrum

Au moins te faudra-t-il faire de mon amour quelque louange
de t'avoir plu et reconnaître mon mérite.

Les péripéties post mortem, la découverte du cadavre de l'amant  [Ov.Met.14,741-742] :

[...] adapertaque ianua factum
prodidit ; exclamant famuli

[...] et la porte entr'ouverte révéla
l'événement ; les serviteurs crient[...],

puis le passage du cortège devant la maison de la belle cruelle  [Ov.Met.7,748-750] :

Forte uiae uicina domus qua flebilis ibat
pompa fuit duraeque sonus plangoris ad aures
uenit Anaxaretes [...]

Le sort fit que la maison était voisine de la route par où allait
la triste procession et que le bruit du deuil vint
aux oreilles d'Anaxarète [...]

sont attribuées au hasard : Forte.

L'épisode de Pyrame et Thisbé marque le détachement le plus poussé par rapport à l'ancrage généalogique, puisque les héros n'en ont aucun et que leurs pères ne sont anonymement évoqués que comme purs agents de l'interdit qui les sépare[72]. Les multiples péripéties de leur aventure : le décalage entre leurs moments de sortie de la ville, l'irruption d'une lionne sur le lieu de leur rendez-vous, la perte de son voile par Thisbé et sa mise en pièces par la lionne, l'arrivée de Pyrame sur les lieux en l'absence de la jeune femme et sa découverte du voile ensanglanté, sont, à la fois vraisemblables et dépendantes de la pure coïncidence ; jusque et surtout dans leur amour dont l'origine trouve une formulation remarquable : contiguas tenuere domos, « ils habitaient deux maisons contiguës »[Ov.Met.4,57] [73], puisqu'il naît littéralement de la con-tingence, de la co-ïncidence. Ici, plus encore que dans les événements post mortem du suicide d'Iphis, que dans la survenue du quidam écoutant les jouissances de Céphale, c'est la Tychè qui joue et non les dieux ou le Fatum. L'alogon, l'irrationnel, le surnaturel, sont le plus possible mis entre parenthèses. Il est ambigu dans l'épisode de Céphale et Procris, relégué dans la conclusion de l'épisode où Iphis prie les dieux d'immortaliser son aventure  [Ov.Met.14,729-732] :

Si tamen, o Superi, mortalia facta uidetis,
este mei memores ? nihil ultra lingua precari
sustinet ? et longo facite ut narremur in aeuo
et quae dempsistis uitae date tempora famae

Si pourtant, Dieux d'en haut, des mortels vous voyez les actes,
souvenez-vous de moi ? ma langue ne peut vous prier
davantage ?, faites qu'au long des siècles on conte mon histoire
et le temps que vous retirez à ma vie, donnez-le à ma gloire[74],

tandis que le narrateur prépare la métamorphose surnaturelle du dénouement où : Anaxaretes quam iam deus ultor agebat, « Anaxarète, que déjà aiguillonnait un dieu vengeur », est poussée « tout en haut de sa maison, à la fenêtre ouverte »[Ov.Met.14,748-752] [75] où le spectacle du cortège funèbre la pétrifie. Les dieux, invoqués par Thisbé, mais ni nommés ni mis en scène, n'interviennent qu'in extremis dans la métamorphose des baies blanches en mûres noires, symboles du double deuil.

Les récits que nous avons parcourus font donc du pathos erotikon une certaine aventure. Dans tous, la narration est constituée de manière épique, faisant de la destinée du couple mis en scène le vecteur soumis de la communauté divine et humaine. Même dans l'histoire de Pyrame et Thisbé, quand l'histoire n'a rien de collectif dans son déroulement, le dénouement le réintroduit à travers la métamorphose qui appartient au mythe ; les dieux interviennent in extremis certes, mais c'est précisément pour que l'histoire des amants prenne sens pour le monde et l'humanité dans l'invention du mûrier noir.

Néanmoins, il arrive que l'aventure particulière soit décrochée tant soit peu de la communauté humaine et du rapport aux puissances supérieures, que le merveilleux soit détaché de sa dépendance au divin, aux forces supérieures, pour relever de la Tyché. Quelle en est la conséquence pour les héros ? S'y font-ils pour autant les artisans de leur destin par leurs qualités ou leurs défauts propres ou sont-ils soumis à un autre type de fatalité? La coïncidence est-elle heureuse ou malheureuse ?

Ovide suggère, et c'est nouveau, que, même pour Jupiter, la métamorphose serait une transgression, une sortie d'un code éthique qui veut que [Ov.Met.2,846-847]  :

La puissance et l'amour ne s'accordent pas bien et [n'aillent] pas
ensemble [...][76].

En sens inverse, poussée par l'amour, Thisbé se surpasse et se transforme, amoureuse voilée, en femme audacieuse qui échappe aux gardiens, analogue de ce fait aux héroïnes des romans. L'invention des subterfuges, des codes de communication par les amoureux séparés par la paroi de Babylone, la découverte, exaltée par le narrateur, de la fente pour la transgression de l'interdit, le dialogue à travers la paroi, l'imagination par Thisbé d'un embryon de déguisement, son voile, tout cela sous l'impulsion d'Éros, ressortit sans doute à ce que nous appelons « romanesque ».

Mais la comparaison avec le roman grec de Chariton, sous-jacente dans notre lecture, s'impose à ce point. Cécile Daude montre que, quand l'héroïne, Callirhoé, refuse les avances du Grand Roi, elle manifeste que l'amour qu'elle porte à Chéréas est inséparable de celui qu'elle a pour la cité grecque [Charito6,7,10]  :

«Chéréas, dit-elle à l'ambassadeur, est un noble (eugénès) que ne vainquirent pas même les Athéniens qui, à Marathon et Salamine, vainquirent ton Grand Roi. »

Et, réciproquement : Callirhoè incarne (...) d'une certaine manière ce que Chéréas est aussi pour elle : une image idéalisée et universalisée de la cité, qui ne peut plus se confondre avec aucune cité, et qui ne pourra coïncider de nouveau avec Syracuse qu'en la transfigurant. Autrement dit, cette représentation du premier roman grec connu de nous réintroduit une nouvelle instance tierce, celle de la Cité harmonisée par la paideia, qui forge l'idéal des amants. Au Fatum épico-tragique est substituée une Fortune providentielle.

Le poème ovidien de connaît pas cela. Dans l'article consacré précédemment à « Pyrame et Thisbé », je lisais, à partir de cette notation du chapitre 9,  52a, 6-7, d'Aristote : Nous trouvons les coups du hasard particulièrement surprenants lorsqu'ils semblent arrivés à dessein, une sorte de prédestination à l'échec dans la symbolique des lieux de leur aventure : de « l'enceinte de Sémiramis » sur le rempart de laquelle, à la limite de la cité, ils sont nés et se sont épris, au choix du « tombeau de Ninus » pour lieu de rendez-vous où ils meurent puis sont ensevelis. Mais, il était difficile d'accorder cette idée d'une prédestination avec la prévalence de la Tychè dans le récit. Il me semble plus clair aujourd'hui que la disparition du cadre théologique, cosmogonique et prescrit de l'éros génère l'erotikon pathema qui fait le sujet tant de l'élégie que du roman grec, et dont l'on trouve ainsi les postulations dans le récit ovidien.

Nous autres modernes chrétiens post-romantiques réservons peut-être le nom de « passion », par quoi on traduit souvent erotikon pathema, à ce qui se joue dans l'élégie et qui prévaut magnifiquement dans plusieurs des aventures amoureuses que nous avons lues. C'est-à-dire à un réel, celui que découvrent les élégiaques romains depuis Gallus, où la passion émerge comme non-sens, sans voyage ni épreuve qui se révèle constructive. Si le tragique, pour suivre encore Aristote, est le plus fort quand l'hostilité surgit au cœur des alliances, dans une famille mythique, dans les épisodes lus ici, l'élégiaque est le déplacement du tragique dans la sphère amoureuse duelle. L'hostilité vient là du sujet amoureux, qui cause la perte de l'autre et/ou la sienne propre. Ainsi Thisbé, cause de la mort de Pyrame[Ov.Met.4,151-152] [77], ainsi Pyrame cause de la mort de Thisbé, ainsi Céphale, cause de la mort de Procris, qui en est elle-même aussi cause, ainsi Anaxarète, cause de la mort d'Iphis : ce paradoxe de l'amour-haine, de l'amour qui tue, est un leitmotiv de l'élégie en général, des Héroïdes ovidiennes en particulier, de leurs épitaphes fictives.

Ovide ne fait que suggérer qu'il y aurait pour l'éros une détermination intérieure particulière : à propos de la prédisposition libidineuse de Térée. Mais elle se ramène à des stéréotypes éthiques, qui ne constituent pas un sujet. Bien davantage, il suggère le pouvoir des signifiants, en poète qu'il est. Ainsi, Céphale qui a rejeté le désir d'Aurora, rêve-t-il au plaisir que lui donne Aura, et Procris s'y trompe-t-elle ? Ainsi Pyrame et Thisbé qui sont nés sur l'enceinte de Sémiramis souhaitent se retrouver auprès du tombeau de Ninus pour faire le lien entre eux comme entre ces amants du premier roman grec que nous connaissions, le Roman de Ninus. Faire littéralement comme eux, c'est-à-dire réunir dans la mort échec amoureux et postulation héroïque, puisqu'il semblerait que la geste de Sémiramis et de Ninus s'achève sur l'assassinat de Ninus par la reine et sur le suicide de celle-ci, si l'on en croit les notices d'Hygin[Hyg.Fab.240][Hyg.Fab.253][78].

Le tragique moderne de l'histoire de Pyrame et Thisbé, celui que module l'élégie contemporaine des Métamorphoses, a pour enjeu un ego hors de la cité. Elle est l'inverse de l'idéalisation heureuse du roman grec aux personnages héroïques, amants et emblèmes de celle-ci.

Au moment et au lieu précis où écrit Ovide, les guerres civiles ont pu faire pressentir la menace d'une sortie de la cité, au moment et au lieu où écrit Chariton, il n'en va pas ainsi, la Cité continue en muant.



[1] p. 345.

[2] Parthénios passe pour avoir été le maître de grec de Virgile. Voir J.-P. Boucher, (1966), p. 74 ; et l'édition de J. M. Edmonds et S. Gaselee, Loeb Classical Library, 1989 (1916).

[3] « Avatar » (voir Le Littré) : du sanscrit avatara, qui désigne, dans la religion indienne, en particulier les incarnations de Vishnou.

[4] Autre traduction, plus simple, légère, d'erotikon pathema, qui a l'avantage de renvoyer au titre latin de la première œuvre élégiaque d'Ovide, et à la pléiade de recueils qui le reprendront à la Renaissance, mais qui laisse dans l'ombre la dimension passive que pointe l'adjectif grec.

[5] Étendu sur deux livres à leur charnière, ou comprenant l'enchâssement d'un second récit amoureux, logiquement lié (« Écho et Narcisse », « Narcisse et lui-même », au livre 3) ou à fonction d'exemple (« Iphis et Anaxarète » dans le discours de Vertumne à Pomone, au livre 14)...

[6] Mét., 4, 283.

[7]Ce simple parcours donne d'ailleurs, bien que ce ne soit pas notre question, une idée de la prévalence de certaines divinités sur d'autres.

[8] Ov., Tr., 2, 371-380 :

L'Iliade même est-elle autre chose qu'une adultère pour qui
combattirent l'amant et l'époux ?
Commence-t-elle par autre chose que la passion pour Briséis et la manière
dont l'enlèvement de la belle fâcha les chefs ?
Et qu'est l'Odyssée qu'une femme recherchée
en l'absence de son époux par quantité d'hommes épris ?
D'où saurions-nous, sans le témoignage du grand Homère,
que deux déesses brûlèrent de passion pour leur hôte ?

[9]

Donc avant tout vint à l'être Béance (Chaos), mais ensuite
Terre aux larges flancs, assise sûre à jamais pour les Immortels
qui occupent les cimes de l'Olympe neigeux
et les tartares de sombre brume, au tréfonds du sous-sol aux larges routes
et aussi Amour (Eros), le plus beau des dieux immortels,
celui qui rompt les membres[...].

[10] Essai cité, p. 8  et p. 14-15. Voir A. Bonnafé (1985). Elle renvoie à J. Taillardat (1982/1).

[11] À ce propos, on reprendra la mise au point excellente faite par Fernand Delarue sur épopée éthique et épopée pathétique autour de l'Achilléide et de la Thébaïde de Stace.

[12] Mét. 1, 348-394.

[13] Voir Brooks Otis, op. cit..

[14] Mét. 1, 452-453.

[15] Mét., 5, 362-384.

[16] Mét., 11, 221-228.

[17] Mét., 10, 311-315.

[18] Mét., 8, 23.

[19] Bucoliques grecs, II. Moschos et Pseudo-Moschos, « Europè », texte ét. et trad. par P. E. Legrand, Paris (CUF), 1927, v. 160-161. Sur la relation entre la bucolique de Moschos et le passage d'Ovide, voir B. Otis, op. cit., p. 366-367.

[20] Voir notre étude: A. Videau (1993-1994).

[21] Mét., 2, 846-847.

[22] Mét., 2, 427-431.

[23] Op. cit., p. 104 : « Homère n'a évidemment pas de difficulté à traiter des conduites amoureuses des dieux, mais la comédie ovidienne n'est pas l'épopée homérique ». Le terme de « comédie » vaut d'être repris, mais dans un autre lieu.

[24] Mét., 11, 221-265.

[25] V. 241-246 et v. 260-262.

[26] Hom., Od., 4, 351 sqq. ; Virg., Géorg., 4, 437-442.

[27] Aux vers 414-473.

[28] Voir Isabelle Mervaut-Jouteur (2001), p. 181-184 et ses réflexions sur les changements de genres. J'ai étudié très précisément les rapports de l'épisode avec l'élégie d'exil ovidienne (Les Tristes et l'élégie romaine..., op. cit., partie I, chapitre III, « Dans la tempête », p. 71 sqq.).

[29] Mét., 6, 574-575 : [...] grande doloris/ ingenium est miserisque uenit sollertia rebus ; « [...] grande est l'ingéniosité/ de la douleur et l'habileté naît du malheur » ; 576 : callida, Philomèle est « rusée ».

[30] Mét., 6, 469 et 471 ; de l'éloquence que lui souffle l'amour aux supplications adressées à son beau-père et à sa belle-sœur, qu'il fait croire émanées de sa femme.

[31] Mét., 6, 461-465 et 480.

[32] Mét., 6,511 sqq.

[33] Mét., 6,636-646 :à la suite des fêtes en l'honneur de Bacchus où les deux femmes se déguisent en Bacchantes. La scène fait pendant à la mort de Penthée, inspirée des Bacchantesd'Euripide, au dénouement du livre 3.

[34] Mét.,  6, 455-460 : [...] « à la vue de la jeune fille Térée s'embrasa... Il brûle du vice de sa race et du sien propre »,uitio gentisque suoque.

[35] Voir B. Otis (1966), p. 377-381 et les références à I. Cazzaniga, (1950-1951) ; à Cicéron, ad Att. 10, 6, 2, 3 et 5, 1 ; au fragment d'Accius (Nonius 270, 24).

[36] Auxvers 490-523.

[37] Mét., 7, 494-500.

[38] Mét., 7, 661-865.

[39] Od., 8, 469-586 ; En. 2, 1 sqq.

[40] Mét., 7, 689 et 863-865.

[41] Mét., 7, 672-673.

[42] Mét., 7, 702 , 746 , 804-810 et 836.

[43] Mét., 7, 723 : Palladias ineo [...] Athenas / ingrediorque domum ; « J'entre dans la palladienne Athènes et pénètre dans ma demeure. » 

[44] Voir dans les Métamorphoses la chasse au sanglier de Calydon au livre 10.

[45] Mét., 7, 758-793.

[46] V. 787-791 :

Je recourais à mon javelot ; tandis que ma droite
le balance, que je cherche à passer mes doigts dans la courroie,
j'ai détourné les yeux,et je les avaisramenés
vers le même point : au milieu de la plaine, miracle !, j'aperçois
deux marbres, l'un qui, croirais-tu, fuit, l'autre qui aboie.

On a là un excellent exemple de « récit suspendu » tel qu'il caractérise le poème ovidien.

[47] Ovide relie l'épisode à celui de Mét., 6, 675-721.

[48] C'est ce qui ressort de la synthèse visualisée en tableau synoptique par B. Otis (1966), p. 381-384, après A. Rohde (1971), p. 30-51 et V. Pöschl (1959). Trois des quatre autres versions (Phérécyde, Nicandre, Hygin) comportent la séduction de Procris par le héros déguisé ou ses sbires ; chez Apollodore, elle trompesonmari avec un certainPtéléonpourune couronne d'or. Lajalousiede Procris est absente des versions de Nicandre et d'Apollodore. D'autre part, Ovide édulcore ou épure en passant sous silence la séduction homosexuelle de Céphale par Procris revenue à lui en jeune homme avec le javelot et le chien.

[49] Mét., 7, 700-756.

[50] La mention au vers 722 de l'entrée de Céphale dans la ville sous le double patronage de Pallas et d'Athéna souligne le rapport avec le texte homérique où c'est la déesse qui a métamorphosé Ulysse en mendiant.

[51] Mét., V7, 794-862.

[52] Mét., 7, 715-722.

[53] Mét., 7, 743-746.

[54] Mét., 7,747-756.

[55] Mét., 7, 824-834.

[56] Mét., 7, 699.

[57] Mét., 7, 711-721.

[58] Mét., 7, 752-757.

[59] Mét., 7, 743-746 , 754-755 ; un javelot magique qui fait le fil directeur de l'histoire, dont l'histoire raconte une sorte d'étiologie, puisqu'elle répond à la question : cur, unde, quis auctor ? « pourquoi, d'où, quel auteur du présent ? » (Mét. 7, 686).

[60] Hyginus, Fabulae, éd. P. K. Marshall, Stuttgardiae et Lipsiae (Teubner), 1993.

[61] A. Videau (2002).

[62] Paris (Tel),1978 (Moscou, 1975, étude de 1937-1940), p. 246-247.

[63] M. Manson (1982).

[64] Mét., 14, 698-700 .

Viderat a ueteris generosam sanguine Teucri
Iphis Anaxareten humile de stirpe natus

[65] Antéposant le verbe, repris en anaphore, Ovide met en contact, en chiasme, les qualifiants et les noms des héros aux deux cas opposés, sujet, objet.

[66] Mét., 14, 714.

[67] Mét., 14, 701 sqq.

[68] Tibulle, Élégies, 1, 3, 5-8.

[69] Mét., 14, 718-720.

[70] On rapprochera ce dénouement de l'Élégie , 2, 14, de Properce, v. 25-28 et v. 31-32.

Je suspendrai, ô Cythérée, ce grand trophée à tes colonnes,
avec dessous mon nom ces vers :
' Devant ton temple, ô déesse, je pose, Properce,
ces dépouilles, un amant reçu une nuit entière '
[...]
S'il arrivait que tu viennes à changer pour moi par ma faute,
puissé-je avant tomber mort devant ton seuil !

[71] Mét., 14, 748-761.

[72] Mét., 4, 61.

[73] Mét., 4, 57.

[74] Mét.,  14, 722-723 ; 729-732.

[75] Mét., 14,748-752.

[76] Mét., 2,846-847.

[77] leti.../ causa ... tui (Mét., 4, 151-152).

[78] Fabulæ, op. cit. 240 et 253.

 

 

 

 


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