Dans son étude fondatrice de 1876, Der griechische Roman
und seine Vorlaüfer, Le Roman grec et ses antécédents, l'illustre philologue
allemand Erwin Rohde, ami de Nietszche et auteur d'un autre monument, Psyché,
consacré à la conception antique de l'âme (1893)[1],
considère que la constitution du genre, au IIe siècle, se
place au confluent de trois mouvements de création littéraire. Leur description
dans ses trois premiers chapitres : (1) La narration érotique des
poètes hellénistiques ; (2) Utopies ethnographiques, fables et
romans ; (3) La sophistique grecque de l'époque impériale, converge vers
le dernier : (4) Les romans d'amour sophistiques et leur
spécificité.
Il faut saluer le caractère pionnier et l'immense érudition
de cet ouvrage, en dépit des critiques justifiées dont ses analyses ont pu
faire l'objet[2].
Cependant, nous sommes sensibles aujourd'hui au biaisement qu'il opère, et qui
servira de point de départ à notre lecture : nous y reconnaissons une
manifestation, parmi d'autres, du parti pris d'hellénisme de la philologie
allemande, tel qu'il s'est développé depuis Winckelmann, et dont Hölderlin,
puis Nietzsche, et à leur suite Heidegger, ont été les représentants
majeurs – et où l'on peut déceler la volonté de retour à une origine et à
une langue en deçà de la latinité des pays voisins. Quand Rohde aborde le poète
latin Ovide[3],
c'est pour y lire, en filigrane, la « narration érotique » de ce
qu'il appelle « élégie hellénistique » : il étend d'ailleurs
celle-ci, sans discontinuité, de la mort d'Alexandre (323 avant J.-C.) au IVe
siècle chrétien, jusqu'aux Dionysiaques de Nonnos de Pannopolis.
Or il vaut la peine d'éclairer la place particulière, et
décisive pour la compréhension de l'émergence du roman et du romanesque,
qu'occupe l'œuvre d'Ovide. Cette œuvre latine mais – comme le voulait Rohde -
toute imprégnée de lectures grecques, a elle-même nourri les auteurs des romans
dits grecs et leurs contemporains. En témoignent, par exemple, la Galerie de tableaux
de Philostrate, qui suit de très près plusieurs scènes du livre 3 des
Métamorphoses, ou le roman de Leucippè et Clitophon d'Achille Tatius, qui
s'ouvre sur la vision d'un tableau de l'enlèvement d'Europe, tableau
inspiré de la fin du livre 2 d'Ovide et de son modèle alexandrin, l'Idylle du
Grec Moschos.
Ovide, né en 43 avant J.-C., au cœur des guerres civiles, mort en
17, trois ans après Auguste, est donc actif au moment de la transition
politique de la République à l'Empire romain, qui coïncide avec le tournant de
l'ère païenne à l'ère chrétienne : les Métamorphoses ont été composées
entre 1 avant J.-C. et 9, date de l'exil du poète à Tomes. Quand, dans son
premier chapitre, Rohde évoque la place du genre élégiaque dans la
représentation du sentiment amoureux qui va se déployer dans le roman grec, il
parle de Mittelstellung, d'une « position médiane » de
l'élégie entre l'épopée et le roman[4].
Or l'œuvre d'Ovide, qu'H. Fränkel présentait déjà en 1945 comme A poet
between Two Worlds, occupe dans sa globalité cette position médiane. Le
Latin fait briller en effet toutes les facettes du poème élégiaque, déjà
taillées ou seulement ébauchées par ses prédécesseurs tant grecs (Callimaque)
que romains (Gallus, Catulle, Tibulle, Properce), dans une considérable
production : des Amours de sa prime jeunesse[5] à sa mort, avec les Tristes et les Pontiques, ses
sept recueils, Amours, Art d'aimer, Remèdes à l'amour, Héroïdes, Tristes,
Pontiques et Fastes – sans compter l'Ibis, les Halieutiques ni les Fards – lui
permettent de revendiquer le titre de « Virgile de l'élégie » qu'il
s'attribue dans les Remèdes à l'amour. De cette constante élégiaque se
distinguent les Métamorphoses en hexamètres dactyliques, mètre adopté à Rome
pour l'épopée par Ennius (IIIe siècle) à l'instar des Grecs depuis
Homère.
Celles-ci constituent en tout point une œuvre complexe et
originale. Du point de vue de la composition, elles conjuguent deux
principes : un principe narratif diachronique et un principe analogique[6].
La trame narrative, résumée par le narrateur principal dans l'incipit[7], s'étend des origines du monde
jusqu'à l'époque contemporaine de l'auteur, jusqu'à l'apothéose, au livre 15,
de César, à sa métamorphose en astre (« catastérisme »), et à celle qui s'annonce
pour son successeur régnant, Auguste. Elle met en continuité le mythe et
l'histoire, pour le dire schématiquement, en mythifiant l'histoire et en
historicisant le mythe. Son parcours chronologique total est associé à un
parcours spatial non moins total, puisque presque toutes les contrées alors
connues du monde sont évoquées à travers l'un ou l'autre récit. Cette épopée
universelle n'est pas unifiée autour d'un héros et de ses tribulations,
qu'elles soient rapportées dans une action « une », selon le modèle qu'Aristote
reconnaît dans l'Odyssée et que Virgile imite dans l'Énéide, ou racontées dans des
récits multiples sans lien de causalité logique, comme dans les poèmes
cycliques grecs que critique le même Aristote[8]. Ovide ne renonce pour autant pas, localement, à
ces deux types de narration. Les livres 3 et 4 [Ov.Met.3-4]comprennent
une sorte de « cycle de Bacchus », dont nous allons interpréter un
épisode. Ce cycle dépend lui-même d'un « cycle de Cadmus »[9] d'abord consacré à la geste
unifiée de ce héros fondateur de Thèbes, mais que le « cycle » de son
petit-fils excèdera.
Cette vaste trame narrative organise une succession
d'histoires rapprochées par analogie, chacune recelant un ou plusieurs récits
de métamorphose(s). Comme l'annonce le narrateur inaugural, il s'agit de dire
« les formes changées en des corps encore
inconnus ». L'œuvre apparaît donc à la fois comme une sorte de
collection de métamorphoses concrètes en même temps que comme l'illustration
sans cesse renouvelée du principe abstrait de la métamorphose comme
explication du monde, phénomène naturel et/ou surnaturel, dépendant de
l'intervention des dieux : [...] [Ov.Met.1,2] uos mutastis et illas ([...] vous vous êtes métamorphosés ainsi que ces formes)
(1, 2)[10].
Elle renouerait ainsi à la fois avec les épopées cosmogoniques (Hésiode) et
cosmologiques (les présocratiques, Lucrèce).
Or si cette épopée originale dans l'organisation de son
mythos, nous intéresse ici davantage, par exemple, que l'Énéide de Virgile,
c'est parce qu'elle apparaît comme une exploration universelle d'Eros, des
figures du désir, autrement dit du pathos erotikon.
C'est l'expression employée par Chariton pour définir les aventures de Chéréas
et Callirhoé : dès la première phrase, après avoir décliné
son nom, son origine et sa fonction, le narrateur pose l'argument : [Charito1,1,1] « [...] je
vais conter une histoire d'amour arrivée à Syracuse »[11].
Pour C. Daude, Eros serait, avec le « roman » grec, pour la
première fois « sujet dans le récit de son propre développement »[12].
Parmi les innombrables figures d'Eros que les Métamorphoses d'Ovide présentent
dès avant ce roman, l'aventure de Pyrame et Thisbé a paru particulièrement apte
à mettre en lumière cette émergence dans l'épopée du roman et du romanesque
qu'avait déjà remarquée Rohde. Nous verrons dans cet épisode un révélateur des
miroitements génériques propres aux Métamorphoses, et nous lirons son
« romanesque » dans une perspective générique plus stricte que celle
de l'érudit allemand, à la croisée d'une interrogation sur l'épopée, la
tragédie et l'élégie ; nous examinerons le statut de ses personnages et le
lieu de son action, l'organisation de cette action et les effets qu'elle tend à
produire sur le lecteur, enfin le caractère et la relation des deux
protagonistes.
1. La perfection en miroir d'un couple
sans généalogie
L'origine de ceux-ci n'est pas spécifiée : ni origine
divine ni origine royale, comme la plupart des héros de l'œuvre, mais pas non
plus origine prolétaire, comme c'est parfois le cas ainsi, au [Ov.Met.6]
livre 6, pour Arachné[13].
Ils sont présentés dans deux hyperboles comme « le
plus beau des jeunes gens » et « la
plus renommée des filles de l'Orient », celle que l'on porte aux
nues,prælata [Ov.Met.4,55-56]:
Pyramus et Thisbe, iuuenum pulcherrimus alter,
altera, quas Oriens habuit, prælata puellis.
Pyrame et Thisbé l'un le plus beau des jeunes gens, l'autre la plus renommée des filles de l'Orient
Le qualificatif masculin pulcher,
quoiqu'au superlatif relatif, confère au jeune homme une supériorité absolue
sur ceux de son âge sans exception aucune, le qualificatif féminin contient le
préfixe præ– qui signifie l'antécédence, la prééminence. Leur perfection
physique, forma[14], qui sera aussi l'attribut des personnages de
roman comme Chéréas et Callirhoé chez Chariton, à la fois distingue Pyrame et
Thisbé de leurs pairs et les rend semblables entre eux : c'est ce que
représente le chiasme qui les décrit, organisé autour de la frontière entre les
deux premiers hexamètres (en rejet et contre-rejet), avec, rejetés à l'extérieur
les iuuenum et puellis,
et, en vis-à-vis, comme en miroir la répétition de l'indéfini alter/altera,
qui fait paire dans la langue latine. Cette désignation, dont seule la marque
du sexe, le -a du féminin, diffère, les pose comme deux alter ego.
Au contraire des héros épiques traditionnels, Éacides et
autres Tyndarides, Pyrame et Thisbé ne sont donc pas insérés dans une
généalogie. Ils n'existent que par une définition relative, relative aux autres
et entre eux.
2. Babylone : l'histoire, le
mythe, le roman et l'élégie
Ils sont en même temps minutieusement insérés dans
l'espace : espace d'une région du monde, « l'Orient »[15],
espace d'une ville décrite par une périphrase dont l'hyperbate, altam... urbem,
englobe, à la rime, la partie précise qu'ils en habitent, [Ov.Met.4,57-58]
[...] là où, dit-on, Sémiramis
avait ceint les hauteurs de la ville de murs en brique cuite.
[...] tenuere domos, ubi dicitur altam
coctilibus muris cinxisse Semiramis urbem[16].
Dans l'épisode, comme dans bien d'autres des Métamorphoses,
le narrateur initial a laissé la parole à un narrateur secondaire, une
narratrice en l'occurrence. L'action principale, située à Thèbes en Béotie au [Ov.Met.3] livre 3, a changé de théâtre. La narration
s'enchaîne comme « cycle de Bacchus », du massacre, par sa mère
Agavè, de Penthée refusant de reconnaître la divinité de son cousin germain,
fils de Sémélé et de Jupiter, passage imité des Bacchantes d'Euripide, au sort,
à Orchomène, autre ville de la même région, des filles de Minyas qui à leur
tour méprisent le dieu nouveau. Ces sœurs se tiennent chez elles et, en filant,
se racontent des histoires, en marge des célébrations publiques du dieu de la
tragédie. La première narratrice hésite initialement entre quatre récits[17]
[Ov.Met.4,43-55] :
Illa, quid e multis referat – nam plurima
norat –,
cogitat et dubia est, de te, Babylonia, narret,
Derceti, quam uersa squamis uelantibus artus
stagna Palæstini credunt motasse figura,
an magis, ut [...]
donec idem passa est, an, quæ poma alba ferebat
ut nunc nigra ferat contactu sanguinis arbor :
hoc placet ; hanc, quoniam uulgaris fabula non est,
talibus orsa modis lana sua fila sequente :
« Pyramus et Thisbe [...] ».
Elle cherche quelle histoire parmi tant – elle en
savait beaucoup –
raconter et se demande si ce sera la tienne, babylonienne
Dercétis, dont les Palestiniens croient qu'après ta métamorphose,
le corps couvert d'écailles, tu battais les eaux d'un lac,
ou plutôt comment ta fille, revêtue de plumes,
vécut ses derniers ans sur de blancs colombiers
[...] ou encore comment l'arbre qui portait
des fruits blancs, au contact du sang, aujourd'hui en porte de noirs :
elle choisit cela ; comme l'histoire n'en est pas répandue,
elle la commence, sur ce mode, tandis que la laine se dévide en ses fils :
« Pyrame et Thisbé [...] ».
C'est donc du répertoire d'une matière proche-orientale que
la première des Minyades tire l'histoire de Pyrame et Thisbé, installant le
récit loin de la Grèce et de Rome, dans une contrée exotique. Le nom même de
Pyrame, qui est aussi celui d'un fleuve de Cilicie, appartient à la région,
sans que l'on puisse préciser son origine sémitique, arménienne, phénicienne ou
assyrienne[18].
Or si les jeunes gens n'ont pas de généalogie, leur aventure
est néanmoins inscrite par rapport à un lointain passé (cinxisse, au parfait) ; le narrateur suggère
à son propos une tradition orale (dicitur).
Au livre 2 de sa Bibliothèque historique, un peu antérieure aux compositions
d'Ovide (entre 56 avant J.-C. et 26 avant J.-C.), Diodore raconte les expéditions
guerrières de Sémiramis en Égypte, en Éthiopie et en Inde [D.S.2,4-20] (2, 4-20), et ces récits y précèdent le
parcours indien de Dionysos [D.S.2,38-39] (2,
38-39). La même association se fait donc chez Ovide. Conquérante, Sémiramis est
aussi la fondatrice de la ville de Babylone. L'enceinte, dont la description
ovidienne est calquée sur celle de Théocrite dans l'Idylle 16 [Theoc.Ep.16,98-100] à Hiéron de Syracuse[19],
est décrite comme l'une des sept merveilles du monde dans les Mythes [Hyg.,Fab.275] [Hyg.,Fab.123] (Fabulæ) d'Hygin[20],
premier bibliothécaire de la Bibliothèque palatine créée par Auguste
(- 28), contemporain et sans doute ami du poète[21]. Les
historiens modernes ont identifié la reine Sémiramis à la Samouramat qui exerça
la régence en Assyrie pendant la minorité de son fils au IXe siècle
avant notre ère (810-805 avant J.-C.). À son enceinte répond le « tombeau de Ninus »[22], busta Nini,
où les jeunes gens doivent se rejoindre. Leur aventure se déroule donc entre
ces deux édifices, l'enceinte, référée à l'héroïne, et le tombeau, référé au
héros. Or ce personnage de Ninus apparaît dans un texte narratif en prose, sans
visée historiographique ni mythographique, composé entre 100 avant J.-C. et 50 au plus tard, selon ses éditeurs[23].
Il est donc probablement produit dans un moment quasi contemporain des
Métamorphoses. Il s'agit de fragments dont les deux premiers ont été publiés
pour la première fois par le papyrologue allemand Ulrich von Wilcken en 1893[24] :
dans l'un, le héros, Ninus, et l'héroïne, qui n'est pas nommée, enfants de deux
sœurs et amoureux l'un de l'autre, s'efforcent de convaincre chacun leur tante
de les marier rapidement. Le nom de la mère de la jeune fille, Dercéia,
« la Serpentine » tout comme la Dercétis du préambule ovidien, invite
à voir en elle Sémiramis. Dans le second fragment, alors que les jeunes gens
paraissent être ensemble, Ninus conduit des expéditions militaires contre les
Arméniens, avec ses alliés grecs et cariens, et le narrateur fait entendre les
appréhensions de la jeune femme. Un très bel article de M.-H. Quet
(1992), dans le Monde du roman grec, atteste la diffusion plus tardive du
roman dans l'Orient impérial romain par l'étude de deux mosaïques du IIe
siècle, d'Iskenderun et de Daphné, faubourg résidentiel d'Antioche. Elles
figurent un homme tenant un portrait. Sur la première, le nom de Ninos est
donné par une légende inscrite au-dessus de sa tête et, quelles que soient les
hypothèses émises sur la signification exacte des scènes, elles
représenteraient bien deux Ninos au portrait de Sémiramis.
L'aventure ovidienne de Pyrame et Thisbé s'écrit donc sur un
arrière-plan historico-mythique. La Dercétis métamorphosée en serpent d'eau,
dont la fille de Minyas ne raconte pas l'histoire, qu'Ovide résume pourtant par
prétérition à la manière callimachéenne[25],
est la mère de la reine Sémiramis et la fille muée en colombe sur la fin de sa
vie, c'est la reine elle-même. Les lieux des amours ovidiennes sont constitués
par deux monuments grandioses des princes du pays babyloniens, deux héros
conquérants originels, de stature épique. Mais cet univers exotique est aussi
celui du « roman grec », du Roman de Ninus aux voyages de
Callirhoé jusque chez le Grand Roi, chez Chariton. On ajoutera un dernier
maillon, intermédiaire, qui viendrait conforter les vues de Rohde. À l'Assyrie
de Sémiramis et à celle de Dionysos se superpose celle des conquêtes
d'Alexandre. L'un de ses successeurs en Égypte hellénistique, Ptolémée III Évergète,
est le héros d'une élégie, « La Boucle de Bérénice » de
Callimaque. Le poète l'y montre quittant au lendemain des noces, pour
conquérir... l'Assyrie, la belle Bérénice qui voue alors à Aphrodite cette
« boucle » dont la plainte constitue la matière du poème. L'élégie
est transposée à Rome, avec le même mètre, par Catulle dans ses Poèmes[26].
De la dimension épique de ce monde oriental, les indications
de lieu ovidiennes progressent par rétrécissement jusqu'au plus étroit, pour
s'achever sur [Ov.Met.4,57] « deux maisons contiguës », contiguas tenuere domos (v. 57). Il s'agit
donc aussi d'une histoire de quartier, entre voisins. Elle n'est pas bucolique,
puisque les héros veilleront à « ne pas se
perdre dans la campagne »[27].
Et, si elle est urbaine puisque située à Babylone, elle ne l'est qu'à moitié
puisqu'ils habitent en quelque sorte sur l'enceinte de Sémiramis, à la
limite donc entre l'urbs et la campagne.
3. La représentation d'un amour
passionnel
Si l'espace minime parcouru par les deux protagonistes, de
la limite de la ville à la limite de la campagne, est donc construit par le
passé de la cité, c'est néanmoins dans le souvenir d'un couple, et le récit se
focalise sur une aventure, l'amour, qui concerne ces deux protagonistes
individuellement. Comme dans le récit de l'approche amoureuse d'Europe par
Jupiter déguisé en taureau et de l'apprivoisement progressif de la jeune fille [Ov.Met.2,833-875] (Mét., 2, 833-875), comme dans
celui de la folie de Narcisse (Mét., 3, 415 sqq.) ou celui de
l'amour de Pomone et Vertumne [Ov.Met.14,606-676] (Mét., 14,
606-676), Ovide décrit (ici de manière synthétique) un processus dont il
spécifie les étapes. En peignant ainsi les phases de l'énamoration et en les
variant à chaque fois, Ovide fait de cette histoire une parmi ses Métamorphoses,
parmi les métamorphoses causées par l'amour.
Le point de départ en est anodin : les héros [Ov.Met.4,57] contiguas
tenuere domos, « habitaient deux
maisons contiguës » (v. 57). Ovide
fait de « cette proximité » un moteur et ils commencent, première
étape, par « se connaître », [Ov.Met.4,59] Notitiam
(v. 59). La scène de rencontre que les romans grecs développeront est
ainsi réduite à sa plus simple expression. On peut la comparer à celle de
Chéréas et Callirhoè, par exemple, qui est exemplaire du rôle de la Fortune,
Tychè, dans les rebondissements de l'action tels qu'ils ont été théorisés par
M. Bakhtine (1978) : Chéréas revient de la palestre, Callirhoè d'une
cérémonie au temple
d'Aphrodite, « à un
tournant de rue particulièrement étroit ». Chez Ovide, la rencontre
est aussi absolument contingente, absolument dépourvue de motivation, divine ou
providentielle, quelle qu'elle soit. Les deux étapes suivantes : ils [Ov.Met.4,59] « se
rapproche[nt] » (v. 59), [Ov.Met.4,60] « leur amour grandit » (v. 60),
aboutissent à un suspens. L'aventure passionnelle naît alors de l'interdit du
mariage, désigné par une métonymie, taedæ,
les torches portées lors du rite de l'hymen.
L'interdiction des pères, en contradiction avec l'attente créée
par la proximité physique des amoureux, constitue une première péripétie.
Exprimée elliptiquement sous la coupe penthémimère du vers [Ov.Met.4,61] 61, dans son premier hémistiche, elle ne
s'accompagne elle non plus d'aucune motivation : ni de type comique, bien
que cette situation d'amour interdit par l'autorité des pères dans un contexte
grec et urbain soit celle d'une comédie, plus térentienne d'ailleurs que
plautinienne (voir l'Héautontimorouménos ou le Phormion) : la qualité
implicitement égale des amoureux exclut en effet le ressort le plus fréquent du
genre, par lequel une supposée courtisane, aimée d'un jeune homme de bonne
famille, est reconnue, au dénouement seulement, comme étant aussi de bonne
origine (ainsi chez Plaute, dans la Casina, le Miles gloriosus, le Poenulus et
le Rudens) ; ni de type tragique, puisque aucune haine de famille
transmise héréditairement n'est non plus invoquée. À la pure contingence de la
cohabitation répond le pur arbitraire de l'interdit.
Les conséquences passionnelles de cet interdit sont
amplifiées. La recherche stylistique du vers 62 mime leur originalité [Ov.Met.4,62] :
Ex æquo captis ardebant mentibus ambo.
Ils brûlaient à égalité l'un et l'autre des feux qui ravissaient leur esprit
Le verbe unique, ardebant,
« ils brûlaient »,
au centre du vers, pluriel, intransitif, est inclus entre les deux termes du
syntagme métaphorique qui décrit l'amour comme une capture, et, au-delà,
concentriquement, entre les deux termes assonants qui expriment l'identité des
héros dans l'amour : ex aequo,
l'égalité ; ambo, la paire. Par
son uniformité, le vers holospondaïque (tout en syllabes longues) rend
l'uniformité de leur sentiment. Son crescendo sans limite est représenté par
une métaphore physiologique de l'affect, feu intérieur bouillonnant comme une
lave [Ov.Met.4,64] :
Quoque magis tegitur, tectus magis aestuat ignis
Et plus l'ardeur se cache, plus, cachée, elle bout[28].
Ovide reprend la même représentation physiologique dans les
Tristes[29].
Son protagoniste autobiographique, poète exilé, se plaint qu'un lecteur cherche
à l'empêcher[30]
d'exprimer sa nostalgie à travers une écriture élégiaque qu'il assimile
métaphoriquement à des pleurs [Ov.Tr.5,1,63-64] :
Strangulat inclusus dolor atque exæstuat intus
cogitur et uires multiplicare suas.
Une douleur renfermée étouffe, elle bouillonne
intérieurement,
et, contrainte, redouble de violence[31].
À la femme aimante qui, restée à Rome, souffre de leur
séparation, il conseille de pleurer avec cet argument en forme de sentence [Ov.Tr.4,3,38] :
Les larmes assouvissent la douleur et l'emportent,
Expletur lacrimis egeriturque dolor[32].
L'expression de la passion amoureuse comme celle des
douleurs de l'exil libère, à travers les pleurs et/ou la parole, des
« humeurs » qui s'accumuleraient autrement à l'intérieur du sujet et
par leur concentration anormale causeraient en lui un état pathologique ;
elle purge le sujet au sens médical du terme[33]. C'est ainsi que la passion de Pyrame et Thisbé
reste « bouillante » jusqu'à ce que l'échange de leurs paroles en
autorise l'épanchement.
Dans le « réel » de la narration, mis ainsi en
continuité avec la métaphore, les amoureux découvrent opportunément une mince
fente, tenui rima, qui libère tant soit peu
leur feu. Le narrateur intervient là-dessus pour exalter le caractère
extraordinaire de la perception amoureuse (les héros sont les premiers au long
des siècles à avoir fait cette découverte), plaçant davantage encore les amants
dans une sphère à part[34].
L'absence de tout confident, [Ov.Met.4,63]
Conscius omnis abest[35],
qui engage dans le récit l'accroissement de la passion, l'oriente elle aussi
hors du registre dramatique tant de la comédie, où l'on sait le rôle central du
seruus, esclave intermédiaire, que de la tragédie, où telle nourrice
peut jouer aussi les intermédiaires : elle l'oriente vers le registre de
ce genre élégiaque dont Ovide est un maître. Quand il pose en préalable la
solitude accrue, absolue, des protagonistes, en même temps que leur exclusion
du langage articulé, il intègre dans l'épopée des situations récurrentes de
l'élégie romaine. La conséquence de cette exclusion, le recours à un langage
non-articulé : [Ov.Met.4,63] « Ils parlent avec la tête et par signes », nutu signisque locuntur[36], appartient aussi à ce genre. Ainsi chez Tibulle,
dans des conseils adressés à un mari [Tib.1,6,19-20] :
neu te decipiat nutu digitoque liquorem,
ne trahat et mensae ducat in orbe notas.
Qu'elle ne te trompe pas par ses signes de tête ni n'étire
de vin
sur la table en traçant des caractères à sa surface...,
conseils tibulliens qu'Ovide cite comme justification de ses
écrits amoureux dans les Tristes : [Ov.Tr.2,1,453]
Vtque refert, digitis sæpe est nutuque locutus
Comme il le raconte (« Tibulle », héros de
Tibulle), souvent il parlait des doigts et de la tête,
et qu'il a déjà imités en les amplifiant dans tout le poème
1, 4 de ses Amours : [Ov.Am.1,4,17-18]
Regarde-moi, mes mouvements de tête, les expressions de mon
visage,
lis mes signes furtifs et renvoie-m'en à ton tour...[37]
me specta nutusque meos vultumque loquacem ;
excipe furtivas et refer ipsa notas
Solitude, langage inarticulé, dépassement de l'impossibilité
de communiquer par l'invention d'un nouveau code d'échange, ce sont là des traits
topiques de la mise en scène de la passion élégiaque et ils sont sentis et
donnés comme tels par Ovide.
Dans la comédie du Miles gloriosus de Plaute,
l'esclave Palestrion invente un stratagème analogue à celui de Pyrame et
Thisbé : [Plaut.Mil.138-143]
« [...] j'ai mis, chez nous, au point des moyens
magnifiques pour permettre aux amants de se rencontrer ; le soldat a donné
à sa concubine une chambre fermée à clef, dans laquelle personne qu'elle n'a le
droit de mettre le pied, et dans cette chambre, j'ai percé la paroi, afin que
la dame pût passer secrètement de cette
maison dans celle-ci .»
itaque ego paravi hic intus magnas machinas,
qui amantis una inter se facerem convenas.
nam unum conclave, concubinae quod dedit
miles, quo nemo nisi eapse inferret pedem,
in eo conclavi égo perfodi parietem,
qua commeatus clam esset hinc huc mulieri ;
La comparaison fait ressortir la différence de la comédie à
l'épopée : il ne s'agit justement pas pour Pyrame et Thisbé d'une union
physique achevée. L'invention du subterfuge de la fente qui les place de part
et d'autre de la paroi fait encore partie des topoï élégiaques intégrés
par Ovide : la paroi constitue une sorte de redoublement par dédoublement
symétrique du « lieu » « commun » de l'élégie, le limen,
le seuil de la porte sur lequel l'amant supplie l'objet aimé de lui donner
accès. La porte muée ici en [Ov.Met.4,66] paries domui communis utrique, en une « paroi commune aux deux maisons », est double
et double aussi la parole qui transgresse l'interdit. Chacun des deux amants,
l'homme et la femme à égalité, supplie devant la porte close et supplie la
porte close. Le discours direct unanime du [Ov.Met.4,73]
vers 73 peut se lire ainsi comme un double paraklausithyron, un double
« chant devant la porte close ». Dans cette configuration élégiaque,
la paroi personnifiée viendrait alors aussi tenir lieu de l'impossible
confident des amoureux, dans le mutisme et l'absence de retour.
Le récit, aux vers [Ov.Met.4,63-80] 63
à 80, de ces subterfuges entièrement transposés de l'élégie romaine, est
inscrit dans une durée que différencient du parfait de l'énamoration[38],
tout d'abord le présent de narration dans la répétition des premiers stratagèmes
[Ov.Met.4,63-64] (v. 63-64), puis l'imparfait de
durée pour l'habitude du rendez-vous devant la fente[39]. Il
constitue la quatrième étape dans le crescendo vers une union potentielle, que
l'auteur fait annoncer par les héros dans leur prière à deux voix [Ov.Met.4,74-75] : Quantum... /...
nimium est uel..., « Que t'en
coûterait-il de permettre à nos corps de s'unir tout entiers... ? ».
La scène de la fente, conséquence du veto paternel, apparaît ainsi comme un
" suspens " de l'action, un délai, en latin mora. Ce
" suspens " s'organise autour d'un extraordinaire, rima-mira, – comme le narrateur l'a annoncé par la
formule [Ov.Met.4,53] fabula
non uulgaris, « une histoire pas
ordinaire » – mais qui est aussi parfaitement vraisemblable, et
dont l'auteur donne une explication rationnelle [Ov.Met.4,65-66]
: quam duxerat olim cum fieret,
« [une fente] qui s'était jadis produite à la
construction »[40].
La fin du discours qu'Ovide fait tenir aux amants se lit à la fois comme leur
pensée constante et comme appartenant aussi à l'instant particulier auquel va
s'enchaîner l'aventure. Il fait transition vers l'unicité du moment de l'action
qui s'amorce aux [Ov.Met.4,78-80] vers 78-80 avec
les verbes au parfait de narration d'aspect ponctuel dixere et dedere :
Talia diuersa nequiquam sede locuti
sub noctem dixere « Vale » partique dedere
oscula quisque suæ non peruenientia contra.
Après avoir ainsi vainement parlé, assis de part et
d'autre,
à la nuit, ils se dirent bonsoir et donnèrent chacun
à leur mur des baisers qui ne parvenaient pas de l'autre côté.
4. Péripéties tragiques et romanesque
On sait qu'Aristote, dans son étude centrée sur la tragédie,
marque la proximité des deux grands genres épique et tragique, et que tout en
en définissant leurs différences, en particulier celle de la durée, il met en
évidence leurs ressorts communs. Pour analyser le type d'action qui se déroule
à partir de la situation statique exposée aux [Ov.Met.4,55-80]
vers 55-80 de l'aventure de Pyrame et Thisbé, nous l'examinerons à la
lumière de deux catégories élaborées dans La Poétique à propos du
mythos : d'une part le vraisemblable, d'autre part la péripétie et la reconnaissance.
L'action se joue en quatre temps [Ov.Met.4,81-163]
(v. 81 à 163). Le nœud que constitue la décision des amoureux aux [Ov.
Me;t. 4, 81-92] vers 81-92 est rythmé par des indications temporelles cosmiques
typiques de l'épopée [Ov.Met.4,81] [Ov.Met.4,91-93] :
L'aurore du jour suivant avait fait disparaître les feux de
la nuit [...]
La lumière [...] se précipite dans les ondes et des ondes la nuit se
lève[41].
postera nocturnos Aurora removerat ignes, ...
et lux,...praecipitatur aquis, et aquis nox exit ab isdem.
À l'arrivée de Thisbé au rendez-vous[42] succède une première péripétie. L'irruption de
l'inattendu, au second hémistiche du [Ov.Met.4,96] vers
96, Venit ecce, est mimée par le
présentatif, l'antéposition du verbe et le rejet du sujet qui favorisent
l'effet de surprise chez le lecteur. Il ne s'agit pas d'irrationnel (alogon) du
merveilleux épique, mais d'une coïncidence. L'apparition de la lionne qui
appartient de plein droit au paysage exotique assyrien, est rendue
vraisemblable, comme le remarquait déjà Rohde qui parlait de proparaskeuè, par
la présence de la fontaine qu'Ovide a qualifiée [Ov.Met.4,90]
de « fraîche », gelido... fonti[43], dès l'évocation de leur dessein par les
amants : « fraîche » :
on peut donc la supposer désaltérante. Au moment de son irruption inattendue,
la lionne est épuisée de sa chasse, puisqu'elle a [Ov.Met.4,97]
« massacré » « des bovins », en nombre, cæde [...] boum
spumantis oblita rictus – l'insistance est dans le préverbe ob-
et dans le participe – et [Ov.Met.4,98] « Elle vient étancher sa soif à la source voisine »,
à la limite de la ville. Après avoir chassé Thisbé, [Ov.Met.4,102]
« elle s'est désaltérée à longs traits »[44].
L'effet provoqué sur Thisbé, comme celui que le récit est
censé provoquer sur le lecteur, paraît moins la terreur telle que la définit
Aristote à propos de la tragédie, que l'horreur devant le monstrueux (to tératodès)
que le philosophe rattache au « spectacle », et qu'il considère comme
d'un effet trop facile au chapitre 14 de La Poétique. Ses commentateurs,
R. Dupont-Roc et J. Lallot, notent à ce propos : « Le monstrueux provoque la frayeur à l'état brut,
la frayeur immédiate, le trouble physique qui ne laisse place à aucune
réflexion »[45].
Il s'agit bien de vue pour Thisbé (opsis) : Ovide place en rejet,
au [Ov.Met.4,100] vers 100, le verbe vidit, et rend possible et vraisemblable pour le
lecteur la vision terrifiante aux [Ov.Met.4,99] « rayons de la lune », ad lunæ radios[46]. Le spectaculaire est accentué par le contraste,
en clair-obscur, entre les « rayons »
et l'obscurum [...] antrum où s'enfuit la jeune fille (au vers
suivant, en hyperbate), puis par celui de la violence de la lionne (cruentato laniauit) avec la délicatesse du
vêtement érotique (tenues) au [Ov.Met.4,104] vers 104 :
ore cruentato tenues laniauit amictus.
Elle déchira de sa gueule ensanglantée le fin voile.
Le sang qui coule ici pour la première fois s'étend ensuite,
en crescendo, au fil du récit, qui se trouve ainsi tiré de plus en plus
fortement vers l'horreur du spectacle.
L'arrivée, parallèle, de Pyrame au rendez-vous est marquée,
parallèlement, par une deuxième péripétie, conséquence d'une méprise ou pseudo
reconnaissance [Ov.Met.4,105-127] [47].
L'effet que produit sur le jeune homme la vue des signes laissés par le passage
de la lionne est conforme aussi à celui que décrit Aristote chez le spectateur
du monstrueux : la sidération immédiate par le regard, [Ov.Met.4,105] uidit
(v. 105), qui exclut la réflexion, provoquant l'horreur qui glace son
sang, à défaut de lui faire dresser les cheveux sur la tête [Ov.Met.4,106] (horridus) :
expalluit ore, « tout son visage pâlit »[48]. La découverte – repperit en contre-rejet au [Ov.Met.4,108]
vers 108, sur le même plan que Pyramus –,
entraîne immédiatement des paroles de mort dans sa bouche [Ov.Met.4,108] :
Vna duos, inquit, nox perdet amantes,
Une nuit unique perdra deux amoureux [...].
dont certaines anticipent sur le désir d'une lacération
pire, assumée, qui préface le suicide[Ov.Met.4, 112-114] :
Nostrum diuellite corpus
et scelerata fero consumite uiscera morsu,
o [...] leones[49].
[...] Déchirez mon corps
et dévorez de vos dents mes entrailles criminelles,
ô lions...
Le monologue et le suicide du jeune homme sont focalisés sur
la représentation du sang qui coule, cruor :
[Ov.Met.4,117-125]
Accipe nunc, inquit, nostri quoque sanguinis haustus.
Quoque erat accinctus, demisit in ilia ferrum,
nec mora, feruenti moriens e uulnere traxit.
Vt iacuit resupinus humo, cruor emicat alte,
non aliter quam cum uitiato fistula plumbo
scinditur et tenui stridente foramine longas
eiaculatur aquas atque ictibus æra rumpit.
Arborei fetus adspergine cædis in atram
uertuntur faciem, madefactaque sanguine radix
purpureo tinguit pendentia mora colore[50]
À présent, dit-il, reçois aussi les flots de mon sang.
Et, du glaive dont il était ceint il s'enfonça le fer dans l'aine ;
sans tarder, mourant, il le tira de la blessure bouillonnante.
Sitôt qu'il gît à terre allongé en arrière, le sang jaillit bien haut,
tout comme lorsqu'un tube au plomb vicié
se fend et que par le mince trou sifflant il lance
de longs jets d'eau et déchire l'air qu'il fouette.
Les fruits de l'arbre, arrosés par sa mort,
s'assombrissent et la racine trempée de sang
colore de pourpre les mûres qui pendent.
jusqu'à l'hyperbole du verbe de la comparaison eiaculatur.
Or cette comparaison hyperbolique, homérique par son
ampleur, n'en est pas moins réaliste : elle crée une vraisemblance autour
du terme pivot fistula. Fistula est usité en médecine pour traduire le
grec syrinx, c'est-à-dire tout « tube » connu du corps dont la « veine ». En ce sens, non seulement le mot est
exactement adapté à la représentation du corps transpercé, mais sa présence est
préparée par la métaphore physiologique exprimant plus tôt la violence du feu
amoureux. Pyrame exhale ici [Ov.Met.4,119] feruenti uulnere, par sa « blessure bouillonnante », l'humeur qui
chauffait en lui, cela en lieu et place de cette autre humeur que le verbe [Ov.Met.4,122] eiaculari
laisse attendre dans un récit d'amour. Pourquoi un corps ne fonctionnerait-il
pas sous une telle pression psychique comme un instrument ? Mais la
polysémie de fistula insère aussi
l'épanchement dans le décor mi-urbain, mi-rural de la scène, en relation avec
la fontaine proche du lieu.
Fistula, la
« conduite », appartient par
excellence à l'imaginaire romain. On sait combien ce peuple s'est illustré dans
l'aquae ductus, l'art des aqueducs. Pour Frontin, curateur des eaux en
97-98, date de son traité De Aquae ductu, les aqueducs sont à Rome ce
que les pyramides sont à l'Égypte, l'équivalent d'une des sept merveilles du
monde, à l'instar de l'enceinte de Sémiramis[51]. Au moment où Ovide écrit, Auguste en faisait
passer l'administration sous la responsabilité de l'Empereur et un parent de la
troisième femme du poète, Paulus Fabius Maximus, devint l'un des premiers
curateurs en 11 avant J.-C.. Par cette polysémie Ovide fait ainsi miroiter, derrière
la grandeur de Babylone, celle de Rome qui, après Alexandre puis les Lagides,
l'a conquise[52].
Le poète atténue ainsi doublement l'irrationnel (alogon) par lequel les fruits
de l'arbre se colorent de rouge : d'une part, par l'isotopie médicale de
l'amour – humeur bouillonnante, d'autre part, par sa mise en relation
métonymique avec les eaux romaines de la fontaine.
Au chapitre 6 [Arist.Po.50a33-35] (50a
33-35) de la Poétique, Aristote note : « [...] les plus forts moteurs par lesquels la tragédie entraîne,
qui sont des ' parties ' de l'histoire, ce sont les péripéties et les
reconnaissances »[53]. Les premières sont définies au chapitre 11
[Arist.Po.52a22] (52a 22) : « La
péripétie est... le renversement qui inverse l'effet des actions » ;
au chapitre 9 [Arist.Po.52a1-4] (52a 1-4) : « ce qui arrive quand un enchaînement causal se produit
contre toute attente », para tèn doxan.
La place de la « reconnaissance »
est précisée au chapitre 11 [Arist.Po.52a29-32] (52a 29-32), en tant que
« renversement qui fait passer de l'ignorance
à la connaissance, révélant alliance ou hostilité entre ceux qui sont désignés
pour le bonheur ou le malheur », et Aristote complète [Arist.Po.52a34-36] (ibid. 34-36) : « Il existe d'autres reconnaissances à propos d'inanimés ».
Reprenant la question au chapitre 16, il distingue les divers modes de
reconnaissance par les inanimés : 1) par les signes distinctifs ; 2)
« forgés par le poète » ; 3)
par le souvenir ; 4) par raisonnement, la seconde dans l'ordre de la
qualité ; 5) « celle qui résulte des
faits eux-mêmes », la meilleure. C'est la première qui est en jeu
dans la mort de Pyrame : la reconnaissance « par les signes distinctifs ». La
pseudo-reconnaissance du voile de Thisbé induit le raisonnement et
l'interprétation erronée de Pyrame qui entraîne la deuxième péripétie, celle de
sa mort. Or, de ce type de reconnaissance, Aristote spécifie qu'elle est pour
lui « la plus étrangère à l'art poétique ».
Le retour de la jeune femme au dénouement[54] est accompagné d'un effet dilatoire [Ov.Mét.4,132] : hæret,
v. 132, [Ov.Met.4,137] remorata, v. 137, autour de sa difficulté à
reconnaître le lieu : est-ce le bon arbre ?, puis d'une seconde
« reconnaissance à partir des objets » aux [Ov.Met.4,147-148] vers
147-148, à partir du même vêtement :
Quæ postquam uestemque suam cognouit et ense
uidit ebur uacuum [...]
Quand elle reconnut son vêtement et qu'elle vit
l'ivoire vide du glaive [...]
La mise en scène du corps déchiré de la femme dans la
douleur, qui fait pendant à la représentation de Pyrame, et le
dialogue-monologue adressé à un destinataire quasi-absent, ressortit de nouveau
à l'élégie, genre où se déploie aussi le topos du réveil du mourant
amoureux à la voix de l'amant[55].
Le récit du rendez-vous manqué est donc construit sur
l'enchaînement de deux péripéties successives, la fuite de Thisbé et la mort de
Pyrame, conséquences de l'irruption inopinée de la lionne puis de la
pseudo-reconnaissance du voile de Thisbé par le jeune homme. Mais ces retournements
inattendus sont entourés systématiquement du maximum de vraisemblance. Ovide se
place ainsi hors du domaine propre à l'épopée, hors de l'irrationnel du
merveilleux polythéiste : il l'atténue au maximum dans la première
coloration des fruits en rouge par le sang de Pyrame, et le cantonne à la
métamorphose finale du mûrier en deuil aux fruits noirs[56]. Dans cette
métamorphose en deux temps, au contraire de beaucoup d'épisodes des
Métamorphoses (mais non de tous) les dieux ne sont présents, deus ex machina,
qu'à l'issue de l'histoire, in extremis, après la prière de Thisbé à
l'arbre (v. 164) : un seul mot d'un hémistiche, et c'est une présence
passive :[Ov.Met.4,164]
Leurs vœux ont pourtant touché les dieux.
vota tamen tetigere deos
5. Amour et identité
Les premiers vers du récit indiquent la qualité physique des
jeunes gens, mais ne disent rien de leurs éventuelles qualités morales, au
contraire, par exemple, du couple de Deucalion et Pyrrha au livre I du poème
ovidien [Ov.Met.1,322-323et327] :
Personne n'était meilleur ni plus épris de justice que
Deucalion, personne n'était plus respectueux des dieux que
Pyrrha... innocents tous les deux, tous les deux pieux [57].
non illo melior quisquam nec amantior aequi
vir fuit aut illa metuentior ulla deorum.
[...]
innocuos ambo, cultores numinis ambo,
Ce manque va de pair avec leur absence d'origine noble, qui
les différencie des héros d'épopée aussi bien que de ceux des romans grecs (ou
des Roméo et Juliette qui seront leurs avatars modernes). Sont-ils pour autant
des héros sans qualité aucune ? L'incipit analysé plus haut met en
place le couple indissociable de deux semblables. Leur dénomination, immédiate,
se fait dans un syntagme qu'attache le passage phonique du [t] de la
copule et, sur le [t] du prénom de Thisbé. La suite du récit distingue tant soit peu
la jeune femme : pudique, si l'on interprète le voile qu'elle prend pour
s'échapper de chez elle autant comme une marque de retenue (pudor) que
comme un moyen de dissimulation ; timide, craintive à l'irruption de la
lionne et à son retour sur les lieux[58];
mais aussi attentionnée envers son amant, veillant à ne pas le faire attendre[59].
Elle fait bien un personnage de femme convenant aux yeux des mœurs antiques et
de leur représentation.
Néanmoins, tout le récit privilégie l'identité des héros. À,
partir de leur identité physique première alter/altera, Ovide représente leur identique position
des deux côtés du mur, par un nouveau chiasme dans le second hémistiche du vers
[Ov.Met.4,71] 71 : hinc Thisbe Pyramus illinc. Leur identité
s'exprime aussi dans l'unique souffle et l'unique discours commenté plus haut,
dans les mêmes gestes[60].
Ils ont la même plainte [Ov.Met.4,84] (v. 84) :
multa prius questi, et la même décision, statuunt (ibid., en contact). Mais en outre dans
le récit de l'action, l'aveuglement, l'absence de prudence ( [Ov.Met.4,96] « l'amour
la rendait audacieuse ») et de réflexion (il n'y a aucun délai,
chez Pyrame, entre la découverte du voile taché et sa déploration suivie de son
suicide), l'absence de souci de soi (Thisbé préfère mourir), sont les
caractéristiques communes de leur passion et les conduisent à l'issue mortelle.
La sensibilité de l'homme [Ov.Met.4,106-107] : expalluit ore/Pyramus, dans un rejet et
contre-rejet qui soulignent la violence de l'affect, se distingue à peine de
celle de la femme : [Ov.Met.4,134-135] oraque buxo/ pallidiora [...] exhorruit[61]. Et l'amour virilise en retour Thisbé, audax, puisqu'elle se suicide avec la même arme
que son amant[62],
dans le même mouvement impulsif d'identification à sa passion.
6. Pour conclure
Avec le récit des aventures de Pyrame et Thisbé, on est donc
en présence d'un épisode épique. De l'épopée, il a la longue durée et la
rythmique cosmique, l'arrière-plan de conquêtes aux dimensions du monde, enfin
la ponctuation finale par un irrationnel mythique : la venue à l'existence
par l'intervention d'êtres surnaturels – pour suivre la définition de Mircea
Eliade (1962) – d'un fruit nouveau, les mûres noires, sur un arbre
nouveau ; la morus nigra L. se substitue dans le récit à la
morus alba L., originaire de Chine, dont les Romains avaient connaissance
par l'industrie de la soie de l'Euphrate et de la Syrie qui préparait les
tissus de Cos. Mais les dieux, ni nommés ni mis en scène, n'interviennent qu'in
extremis. L'auteur renonce autant que faire se peut à l'irrationnel épique
païen, polythéiste.
La situation de départ qu'il met en scène est inscrite dans
l'espace quotidien de deux maisons sans que la classe sociale des protagonistes
soit jamais précisée : s'ils ont des pères, ils n'ont, au contraire des héros
épiques, ni nom ni lignée. Le récit est par ailleurs constamment gouverné par
la recherche de la cohérence et du vraisemblable, que ce soit en ce qui
concerne le lieu où les héros vivent : habitant à la limite de la ville,
ils en sortent aisément. La banale contiguïté de leurs maisons est, peu
banalement, à l'origine de leur amour et conditionne son développement.
L'apparition et le comportement de la lionne sont motivés. L'aventure arrive à
Thisbé par le fait d'un retard de Pyrame sur les lieux, clairement
explicité [Ov.Met.4,105] : serius egressus. Cette rationalité minutieuse,
antinomique de l'alogon, rapproche le texte du roman. L'enchaînement
multiplié des péripéties fait aussi songer en miniature à la multiplicité des
rebondissements du roman grec, avec lequel l'épisode partage le cadre exotique
de la ville babylonienne. Par cette recherche du dépaysement du lecteur, par
les effets de surprise réitérés qu'il crée, relevant non du destin tragique (anankè
ou fatum) mais des coïncidences de la Tychè (Fortuna) insérés dans un
système des faits néanmoins vraisemblable, Ovide introduit donc une dimension
que l'on pourrait qualifier de romanesque. L'invention des subterfuges, des
codes de communication par les amoureux, la découverte de la fente pour la transgression
de l'interdit, le dialogue à travers la paroi, le voile employé par Thisbé
comme un embryon de déguisement, tout cela sous l'impulsion d'Éros, ressortit
encore à ce que nous appelons romanesque – et cela d'autant plus que le moteur
global du récit est ce même Éros qui est sujet des romans grecs. Il n'est pas
jusqu'au rapport des héros au couple mythique royal des origines, et non à
leurs parents, qui n'esquisse le rapport aux modèles perdus propre au roman
moderne depuis le Quichotte. Poussée par l'amour, Thisbé se surpasse et se
métamorphose, amoureuse voilée, en femme audacieuse qui échappe aux gardiens,
analogue en cela aux héroïnes des romans. Vivant sur l'enceinte de la reine
Sémiramis, attirés par le tombeau du roi Ninus, les jeunes gens sont des émules
des héros mythiques conquérants et amants.
Comme les roman grecs, l'épyllion,
« mini-épopée », de Pyrame et Thisbé fait du pathos erotikon, du
« sentiment amoureux », une aventure avec ses
rebondissements au même titre que les aventures du héros guerrier champion de
sa cité dans l'épopée traditionnelle. Mais si elle se déroule dans le même
espace qu'une partie de ces romans, pour autant elle ne met en œuvre ni voyage
ni aventure constructive. Au contraire, l'aventure de Pyrame et Thisbé, dominée
par la contingence, n'est pas menée par une Fortune providentielle. À
l'inverse, si quelque prédestination se lisait dans la symbolique des lieux, le
choix du tombeau de Ninus auprès duquel les amoureux choisissent de se
retrouver et meurent puis sont ensevelis, annoncerait plutôt leur échec à être
des héros comme à réaliser leur amour.
Pour Aristote « nous
trouvons les coups du hasard particulièrement surprenants lorsqu'ils semblent
arrivés à dessein » (chapitre 9, [Arist.Po.52a6-7]
52a, 6-7). Ainsi dans le choix du « tombeau de Ninus », ainsi quand la petite
ruse de Thisbé, voilée pour se dissimuler (« en
déjouant la surveillance de ses parents », « le visage voilé »), entraîne la perte de la
jeune fille. Si le tragique, pour toujours suivre Aristote, est le plus fort
quand l'hostilité surgit dans une famille, au cœur des alliances, dans
l'épisode de Pyrame et Thisbé un déplacement se fait sur la sphère amoureuse.
L'hostilité vient du sujet amoureux, cause de la perte de l'autre : Pyrame
anticipe sur celle qu'il provoquera réellement [Ov.Met.4,110]
: Ego te... peremi[63]. Et il retourne contre lui-même, virtuellement,
la même violence qu'il croit subie par Thisbé sous la dent des lions, la mise
en pièces [Ov.Met.4,112-115] : Nostrum diuellite corpus[64], puis réellement, celle de sa propre main. Thisbé
est cause de la mort de Pyrame [Ov.Met.4,151-152] :
leti [...]/ causa [...] tui[65].
Ce paradoxe de l'amour-haine, de l'amour qui tue est un leitmotiv de
l'élégie en général, des Héroïdes ovidiennes en particulier, de leurs épitaphes
fictives.
En le mettant en scène dans son épopée, Ovide produit ce
qu'Aristote considère comme le moins tragique des tragiques. Ses retournements
sont fondés en effet sur des reconnaissances matérielles, opérées par la vue et
non par l'intellect, où il met en scène le monstrueux et représente et provoque
non la terreur mais l'horreur du spectacle sanglant d'une double mise à mort
amoureuse et de l'imagination du diasparagmos. Le tragique moderne de
l'histoire de Pyrame et Thisbé, celui que module l'élégie contemporaine des
Métamorphoses, a pour enjeu l'ego hors de la cité. Elle est l'inverse de
l'idéalisation heureuse du roman grec aux personnages héroïques, amants et
emblèmes de celle-ci. Lorsque Callirhoé refuse les avances du Grand Roi, elle
montre que l'amour qu'elle porte à Chéréas est inséparable de celui qu'elle a
pour la cité grecque : « Chéréas,
dit-elle à l'ambassadeur, est un noble (eugénès) que ne vainquirent pas même
les Athéniens qui, à Marathon et Salamine, vainquirent ton Grand Roi ».
En cela, commente Cécile Daude, « Callirhoé
incarne [...] d'une certaine manière ce que Chéréas est aussi pour elle : une
image idéalisée et universalisée de la cité, qui ne peut plus se confondre avec
aucune cité, et qui ne pourra coïncider de nouveau avec Syracuse qu'en la
transfigurant »[66].
Conformément à ce qu'avance Bakhtine, « l'aventure
est, pour les héros, un circuit fermé dans un espace culturel lui-même clos,
permettant une épreuve de qualification, une confirmation à occuper la place
qui leur est dévolue dès le début dans la cité ».
Mais de ce qui est, dans l'élégie, un accident arrivé à un
ordinaire ego, Ovide fait ici une parabole symbolique sur l'identité
dans l'amour, articulée autour de quelques signifiants. Quand les héros sont
faits l'un pour l'autre, ils le sont trop : leur identité et leur proximité
confinent à l'inceste que représente leur habitation jumelle, on dirait siamoise,
sur l'enceinte de la reine. Dans le Roman de Ninus, Sémiramis et
Ninus sont d'ailleurs fils de deux sœurs, cousins germains, Sémiramis dont
Hygin raconte qu'elle aurait assassiné Ninus et se serait suicidée[67]. Symétrie sur le mur (limes), symétrie et identité des sentiments, symétrie
et identité des comportements, le reflet et l'unisson ne sont pas moins fatals
aux amoureux babyloniens que ceux qui affectent Narcisse épris de son image
(ou selon une autre tradition de sa sœur jumelle[68])
au bord d'une autre fontaine. En mettant en jeu Éros et l'errance qu'il induit
Ovide crée donc du romanesque, mais c'est le romanesque noir d'une fable où
la perfection dans la passion mène à la mort et où l'égalité des héros masculin
et féminin, présente dans les romans, tourne à une identité mortelle. Les
fentes, celle du mur, et le percement de leur corps ne leur offrent qu'une
union inversée, celle qui achève leur proximité dans des maisons jumelles,
sur une limite, in una... urna, quand « l'un »,
una, assone avec « l'urne », urna,
que le feu, pyr, de la passion de Pyramus assone avec le bûcher, pyra, des busta Nini
et avec la « pyramide » (?)
du tombeau, et que Thisbé assone avec this,
l'amoncellement du sable ou des os. Cet amour né du mur, amor, murus, où
le retard, mora, mène à la mort, sans délai,
mora, s'achève à l'ombre du mûrier, morus, et de ses fruits, mora, qui, en anagramme, emblématisent l'amor, la mora et
la mort : un amour de fous, mori ?
[1]
Traduit en France en 1928, rééd. Vrin, 2001, chance que n'a jamais eue son
ouvrage sur le roman grec.
[2]
Voir la synthèse d'A. Billault (1991) : pour
B. E. Perry (1967), Rohde
méconnaîtrait que la création littéraire procède d'un univers mental commun à
un auteur et à son public.
[3]
Aux pages 132 sq de son premier chapitre.
[4] E. Rohde (1960), p. 151.
[5] Tristes,
4, 10, 57-58 [Ov.Tr.4,10,57-58] :
Quand je lus en public pour la première fois mes jeunes
vers, / ma barbe n'avait été rasée qu'une ou deux fois.
[6]
Sur cette combinaison de la narration chronologique et du principe analogique,
Voir la belle thèse de Gilles Tronchet
(1998).
[7]
Mét., 1, 3-4 [Ov.Met.1,3-4] : [?] primaque ab origine mundi/ ad mea ?tempora :
« depuis les origines du monde/ jusqu'à mon époque ».
[8]
[Arist.Po.51a19-29] Poét. , 8, 51 a 19-29 :
« Aussi semble-t-il bien que tous les poètes
qui ont composé une Héracléide, une Théséide ou des poèmes de ce genre se
soient fourvoyés : ils croient que, parce qu'Héraclès était un individu
unique, il s'ensuit que l'histoire, elle aussi, est « une ». Mais Homère, qui est
incomparable sous tous les rapports, semble là aussi avoir vu juste (?) :
en composant l'Odyssée, il n'a pas raconté tout ce qui a pu arriver à Ulysse,
par exemple la blessure reçue sur le Parnasse ou la folie simulée devant
l'armée rassemblée, puisque aucun de ces deux événements n'entraînait
nécessairement l'un ni vraisemblablement l'autre ; mais c'est autour d'une
action « une » au sens où nous l'entendons qu'il a agencé l'Odyssée, et pareillement
l'Iliade », trad. R. Dupont-Roc et J. Lallot,
Paris, Seuil, 1980.
[9] Mét., 3,
1-fin et 4, 416-603 [Ov.Met.4,416-603] .
[10]
On pourra lire cette association explicite par exemple dans le récit de la fin
du chaos [Ov. <[Met.
1,21] (1, 21).
[13]Voire
un bouvier : le narrateur des « paysans devenus
grenouilles » ; des paysans de Lycie ; les pêcheurs et pirates.
[14]
Voir. P. Monteil
(1962).
[15]
V. [Ov.Met.4,56] 56 : altera, quas Oriens habuit, prælata puellis.
[18]
Voir W. H. Roscher (1884-1937),
article « Pyramus ».
[19]
V. 98-100 :
« Puissent aussi les chanteurs porter la gloire
altière de Hiéron par-delà la mer de Scythie et là où régnait Sémiramis qui
cimenta d'asphalte ses larges remparts ».
[20]
V. 275 : « Sémiramis, fille de Dercétis,
(fonda) Babylone en (As)syrie » ; v. 123 : quem fecit Semiramis Dercetis filia latere cocto et
sulphure ferro uinctum, latum pedes XXV altum pedes LX in circuitu stadiorum
CCC. Le bibliothécaire cite en outre le temple de la Diane d'Éphèse
construit par l'Amazone Otrera épouse de Mars, le monument de Mausole, le
colosse de Rhodes, la statue de Jupiter olympien par Phidias, le palais de
Cyrus à Ecbatane et les pyramides d'Égypte.
[21]
Voir Tr., 3, 7. [Ov.Tr.3,7]
[22] V. 88. [Ov.Met.4,88]
[23] Voir
l'exotisme du Roman de Chariton « postérieur
d'une ou deux générations », et celui du Roman
d'Alexandre.
[24]
Hermes, 28, 1893, p. 161-193 ; voir éd. Loeb,
« The Ninus Romance », in The Love Romances of Parthenius and other
fragments, trad. anglaise S. Gaseele, Londres, 1916, 6e réimpr. 1989 ; un
troisième fragment est édité par M. Norsa
et G. Vitelli, in P S I ,13,
Florence, 1949, p. 82-86 ; commentaires : D. Levi, « The Novel of Ninus and Semiramis »,
PAPhS ,87, 1944, p. 420-428 ; P. Grimal, Introduction aux Romans grecs et latins,
op. cit., p. XI-XIII.
[25]
Voir Tibulle, Elégies, 1, 7, 13 sq. [Tib.1,7,13sqq.]
et A. Videau (2001), p. 17 sq.
[27] V. [Ov.Met.4,87] 87 :
aruo.
[28] V. [Ov.Met.4,64] 64.
[29] Voir A. Videau(-Delibes)
(1991), p. 461 sqq.
[30]
Tr., 5, 1, 56 [Ov.Tr.5,1,56] : Tu fletus inhibes [?] meos. Le
défaut d'expression provoque la « pourriture » du héros [Ov.Tr.5,1,77] (Tr., 5, 1, 77).
[31] [Ov. Tr.5,1,63-64]Tr., 5, 1, 63-64.
[32] [Ov. Tr. 4, 3, 38]Tr,. 4, 3, 38.
[33]
On peut rapprocher cette conception de la notion de « catharsis
musicale » chez Aristote au sens où l'interprète D. W. Lucas (1968)
dans son commentaire de la Poétique, p. 285. Il rappelle le passage de la
Politique ( [Arist.Pol.8,1339sqq.] VIII, 1339 sqq.)
où Aristote analyse le plaisir provoqué par la musique. « Il s'agirait,
résument R. Dupont-Roc et J. Lallot (op. cit. p. 192, note 3), du plaisir lié à la décharge de certaines humeurs dont la
concentration anormale était cause de l'état pathologique ».
[34] V. [Ov.Met.4,68-69] 68-69. Voir P. Veyne (1983).
[35] V. [Ov.Met.4,63] 63.
[37] Tibulle, Élégies, 1, 6, 19-20 ;
Ovide, Tristes, 2, 453-54 ; Amours, 1, 4, 17-18 sqq.
[38]
Tenuere,
[Ov. Met.4,57]v. 57 ; fecit, v. 59 [Ov.Met. 4,59]
; creuit, [Ov.Met.4,60] v. 60 ;
uetuere, potuere,
v. 61 [Ov.Met.4,61] .
[39]
Solebant,
[Ov.Met.4,70] v. 70, sæpe, [Ov.Met.4,71] v. 71.
[41] V. 81 ;
. v. 91-93 ; [Ov.Met.4,83] v. 83 :
tum, « alors »,
v. [Ov.Met.4,84] 84 : nocte silenti, « dans
le silence de la nuit ».
[42] V. [Ov.Met.4,93-104] 93-104.
[44]
V. 97 : « barbouillée, les babines écumantes
du massacre des bœufs » ; v. 98 ; v. 102.
[45]
Poétique, éd. cit., note à 2, [Arist.Po.53b10] 53 b, 10, p. 253.
[48]
V. 106, voir la couleur des fruits du mûrier.
[49]
V. 108 ; v. 12-114 :
Une nuit unique perdra deux amoureux [...].
[...] Déchirez mon corps
et dévorez de vos dents mes entrailles criminelles,
ô lions?
[50]
À présent, dit-il, reçois aussi les flots de mon sang.
Et, du glaive dont il était ceint il s'enfonça le fer dans l'aine ;
sans tarder, mourant, il le tira de la blessure bouillonnante.
Sitôt qu'il gît à terre allongé en arrière, le sang jaillit bien haut,
tout comme lorsqu'un tube au plomb vicié
se fend et que par le mince trou sifflant il lance
de longs jets d'eau et déchire l'air qu'il fouette.
Les fruits de l'arbre, arrosés par sa mort,
s'assombrissent et la racine trempée de sang
colore de pourpre les mûres qui pendent.
[51]
[Frontin.Aquaed.119,1] 119, 1 : « ... la protection des aqueducs, objet digne d'un soin
et d'un effort particuliers, car ils sont l'un des principaux signes de la
grandeur de l'Empire romain ».
[52]
Ce passage propose une réponse aux interrogations justement posées par J. Gaillard (1997), pp. 100-102. La réflexion sur la
romanisation et la « modernisation historique du mythe pourrait
certainement être poursuivie à propos de la construction du mur et des
questions de mitoyenneté qui tenaient une certaine place dans les débats
juridiques du moment. Sur la mitoyenneté, voir C. Saliou (2001), p. 9-15.
[54] V. [Ov. [Met.4,128-166]128-166.
[55]
Voir J. Estève-Forriol (1962), p. 141 et
A. Videau-Delibes (1991), p. 337.
[56] V.
[Ov.Met.4,89-90] 89-90 : « cet arbre chargé de fruits de neige était un haut mûrier » ;
v. 95 : « l'arbre convenu » ;
v. [Ov.Met.4,127] 127 : « les fruits de l'arbre? suspendus » ;
v. 131-132 : [Ov.Met.4,131-132] « la forme de l'arbre? la trouble » ;
v. [Ov.Met.4,158-161] 158-161 : « Et toi, arbre? meurtre » ;
v. 165 : « carlefruit,quand il
est mûr, est noir ». Les fruits du mûrier sont à l'origine « fruits de neige », d'une blancheur
remarquable, puis, « arrosés de sang »,
ils se teignent « en pourpre », et
c'est pourquoi Thisbé a du mal à reconnaître l'arbre, enfin la jeune fille
prie qu'ils deviennent « noirs ».
Couleur de « deuil » et de mort,
ils sont en harmonie avec le suicide des jeunes gens. Les fruits du mûrier sont
donc deux fois métamorphosés, successivement et graduellement.
[58] [Ov.Met.4,100] V.100 ;
[Ov.Met.4,128] v. 128.
[59]
V. [Ov.Met.4,128] 128 : ne fallat amantem.
[60] [Ov.Met.4,72] V. 72 ;
[Ov.Met.4,73-77] v. 73-77 ;
[Ov.Met.4,78-80] v.78-80.
[61]
V. 106-107 ; v. 134-135.
[62] Plusieurs
Héroïdes mettent en scène la femme amoureuse, armée de l'épée remise par le
père ou par l'amant, prête à s'en percer. Ainsi, Didon tenant l'épée d'Énée [Ov.Her.7,184-186] : « J'écris
et le glaive troyen est contre mon sein, et le long de mes joues mes larmes
coulent sur cette épée nue, qui, bientôt, au lieu de mes larmes, sera teinte de
mon sang ». Déjanire s'apprête à mourir comme sa mère Althée [Ov.Her.9,157] qui « a
enfoncé un poignard dans son propre sein ». Canacé écrivant à son
frère et amant, Macareus, se peint ainsi dès les premiers vers [Ov.Her.11,3-4] : « Ma
droite tient la plume, l'autre un fer nu », car
Éole, devant le crime incestueux de ses enfants, a ordonné à sa fille de mettre
fin à ses jours [Ov.
Her. 11, 98]: « Dans mon sein j'enfoncerai le don paternel
». Phyllis se plaint [Ov.Her.2,139] : « Souvent je voudrais périr d'une mort sanglante, percée
d'un glaive. » Briséis demande à Achille qui l'a abandonnée aux
mains d'Agamemnon : [Ov.Her.3,145-146] : « Dégaine ton épée, frappe mon corps ; j'ai du sang
pour jaillir de mon sein pénétré. »
[66] C. Daude, op. cit., p. 85-86.
[67]
Il en fait la meurtrière de son époux (voir Fabulae, 240) et sa
propre meurtrière (253). Ses termes sont étonnants. Il écrit : Semiramis in Babylonia equo amisso in pyram se coniecit,
« Sémiramis, à Babylone, se jeta à bride
abattue dans le feu du bûcher », après avoir écrit Thisbe Babylonia propter Pyramum, quod ipse se
interfecerat, « Thisbé la Babylonienne
à cause de Pyrame, parce qu'il s'était lui-même suicidé ».
L'assonance entre le nom de Pyrame et celui du bûcher funèbre, pyra,
transcrit du grec est inscrite. Le lien analogique qu'Ovide propose entre les
récits était donc sans doute plus précis qu'il ne le laisse transparaître.
[68]
Voir Narcisses, P. Hadot
(1976), p. 127-160 ; Pausanias, Descriptio Graeciae, 9, 31, 7.