L’étude des transferts
culturels n’implique pas uniquement la façon dont des notions de philosophie
grecque ont été reçues et exprimées dans le monde romain. Elle peut aider
également à éclairer les textes-sources ou à faire connaître des écrits
aujourd’hui disparus.
C’est le cas
spécialement des notions d’endelecheia/entelecheia. La question de la nature de
l’âme est souvent abordée, dans les textes anciens, sur le mode doxographique.
La théorie d’Aristote est alors résumée à une équation qui associe
systématiquement l’âme à l’« entéléchie ». Le terme est passé, en
translittération, en latin puis en français, pour désigner, dans notre langue,
à la fois l’« état de perfection, de parfait accomplissement de
l’être » et le « principe métaphysique qui détermine un être à une
existence définie »[1].
Déjà, dans le monde
grec, en dehors de quelques commentateurs qui, comme Alexandre d’Aphrodise,
pouvaient développer une lecture approfondie du texte aristotélicien, les
auteurs de vulgarisation comme Plutarque, suivi de Theodoret [Theodor.5,17], Némésius d’Émèse [Nemes.28A.,68M.],
Stobée [Stob.Ecl.1,49[47]] ou Aetius Placitus [Aet.Plac.4,2,6], ont adopté une définition tirée du
texte même d’Aristote :
᾿Αριστοτέλης
[De
an. II 412a 27. b 5]
ἐντελέχειαν [Stobée
ἐνδελέχειαν] πρώτην
σώματος
φυσικοῦ,
ὀργανικοῦ,
δυνάμει ζωὴν
ἔχοντος· τὴν δ'
ἐντελέχειαν
ἀκουστέον
ἀντὶ τῆς ἐνεργείας
[Stobée ἀντὶ
τοῦ εἴδους καὶ
τῆς ἐνεργείας].(Plut., Mor. 12, 4, 2)[Plut.Mor.12,4,2]
Pour Aristote, c’est
l’entéléchie première d’un corps naturel, organisé, possédant la vie en
puissance.[2](Plut., Mor. 12, 4, 2)[Plut.Mor.12,4,2]
Il s’agit en effet
d’un « collage » de plusieurs citations du De anima du Stagirite lui-même : le début de la définition
correspond à An. 2, 1,
412a 27-28 ; le qualificatif ὀργανικός est utilisé un peu plus loin en 412b 6, et la
glose finale renvoie à An. 2, 1,
402a 26 [Aristot.An.2,1]. En outre, dans ce
traité, l’« entéléchie » est dénuée de tout mouvement.
La variante de Stobée
révèle en outre l’incertitude, déjà exprimée dans le monde grec, entre enté- et
endé-léchie, et le flou lexical est encore entretenu par les dictionnaires
comme le Liddell-Scott où à la rubrique ἐνδελέχεια, on peut lire « freq. confused with ἐντελέχεια » et vice versa pour ἐντελέχεια.
Cette substitution
d’une forme à l’autre est-elle le signe d’une ambiguïté, d’une confusion ?
Apparemment pas si on suit l’ironique Lucien qui imagine un procès intenté par
la lettre δ contre le τ pour l’avoir dépossédée de sa présence dans le mot ἐνδελέχεια devenu ἐντελέχεια[3] [Luc.J.voc.10,95] :
il y aurait donc une évolution des idées qui s’exprimerait à travers une
paronomase, elle-même source d’erreurs.
Dans l’hypothèse donc
où l’évolution lexicale traduirait une évolution épistémologique, la question
est de savoir, de quelle notion il est question dans les textes latins, s’il
est judicieux de suivre les corrections quasi systématiques des éditeurs et si
les témoins latins peuvent aider à éclairer la transmission des textes grecs.
Le témoignage de Cicéron…
Dans la littérature
latine, la première occurrence de cette notion apparaît en effet chez Cicéron.
Dans les Tusculanes, l’Arpinate se
met en scène, discutant avec Brutus de la mort et de l’âme. C’est l’occasion,
en ce début de dialogue, d’une assez riche doxographie sur les opinions des
principaux philosophes à propos des deux questions. Aristote se voit crédité de
la théorie de l’âme que voici :
Aristoteles […], cum quattuor nota illa genera principiorum esset complexus,
e quibus omnia orerentur, quintam quandam naturam censet esse, e qua sit mens […] ;
quintum genus adhibet uacans nomine et sic ipsum animum ἐνδελέχειαν
appellat nouo nomine quasi quandamcontinuatam motionem et perennem, (Cic., Tusc. 1, 22)[Cic.Tusc.1,22]
Aristote […] estime, après avoir étendu ses recherches à ces
quatre catégories bien connues d’éléments d’où tous les êtres procèderaient,
qu’il existe une cinquième essence spéciale d’où procède la pensée […] ; il a donc recours à une cinquième catégorie
qui n’a pas de nom et est conduit, en ce qui concerne l’âme même, à la désigner
par un terme nouveau, ἐνδελέχεια, ce qui revient à dire une espèce de mouvement
ininterrompu et perpétuel.[4] (Cic., Tusc. 1, 22)[Cic.Tusc.1,22]
En dépit d’une
tradition manuscrite unanime à donner la leçon translittérée endelecheian, l’éditeur J. Humbert
estime cependant qu’il s’agit d’une mélecture : « L’interprétation
que donne Cicéron (une espèce de mouvement) est fondée sur une mauvaise
lecture, ἐνδελέχεια […][5]. »
Si les autres éditeurs
modernes respectent la leçon des manuscrits, ils pointent cependant, comme
T. W. Dougan, la « double erreur » de Cicéron qui aurait
confondu les deux termes et aurait attribué à Aristote l’idée d’une âme motrice[6].
E. H. Warmington, de son côté, se demande si Cicéron a confondu les
deux termes, l’un ἐντελέχεια désignant l’actus,
la perfectio – le parfait état
d’une chose –, et l’autre la continuatio :
si l’Arpinate a utilisé le premier, il a donné une mauvaise signification et,
si c’est le second, il n’a pas utilisé un terme d’Aristote[7].
Ἐντελέχεια confondue avec ἐνδελέχεια, c’est ce que donne aussi la notice du
Liddell-Scott pour ce passage cicéronien. Cela veut dire que l’erreur lexicale
serait première et son interprétation – correcte au demeurant –
seconde. Si l’on ne se satisfait pas de ces explications un peu trop faciles,
sachant qu’une telle erreur n’est guère concevable pour quelqu’un d’aussi
parfaitement bilingue que Cicéron, il convient à tout le moins de chercher en
préalable l’origine possible, immédiate ou médiate, de la documentation
cicéronienne : le terme ἐντελέχεια est essentiellement employé par Aristote dans son
traité sur l’âme et dans la Métaphysique ;
or Cicéron, s’il connaissait sans aucun doute les ouvrages
« exotériques » du Stagirite[8],
ne se réfère guère aux textes ésotériques, et jamais au De anima. Du reste, dans ce dernier traité, Aristote proscrit
explicitement tout mouvement de l’âme[9].
J. Pépin, au terme d’une longue analyse, estime qu’il faut dissocier les
deux termes :
« Il faut
maintenant prêter attention au fait que [pour Aristote] la continuité de la
génération est traduite par l’adjectif ἐνδελεχής ; à plus forte raison devait-il être propre à
exprimer la perpétuité de la rotation du ciel, dont la perpétuité de la
génération n’est que l’effet et l’image ; mais cela revient à regarder
comme éminemment “convenable” que le substantif ait pris la place dans le De philosophia pour désigner la continuata motio et perennis essentielle
aux astres, et à l’âme leur parente. »[10]
C’est la conclusion à
laquelle était déjà arrivé D. Ross qui range ce passage des Tusculanes parmi les témoins du De philosophia perdu[11].
Au numéro 27, sont en effet regroupés plusieurs passages cicéroniens (Acad. 1, 7, 26 ; Tusc. 1, 10, 22 ; ibid. 1, 17, 41 et 1, 26, 65-27,
66) qui se réfèrent tous à l’âme qui partage avec les dieux le « cinquième
élément » (cf. Tusc. 1,
26, 65 : quinta quaedam natura)
introduit par Aristote à côté de la terre, l’eau, l’air et le feu. Vu le nombre
de références à la même idée dans ce premier livre des Tusculanes, Cicéron utilise apparemment comme source un traité
différent du De anima d’où les doxographes
– anciens et modernes – tirent leur définition de l’âme. Les
paragraphes 66-67 de Tusc. 1
sont à cet égard particulièrement éclairants :
Singularis est igitur quaedam natura atque uis animi
seiuncta ab his usitatis notisque naturis. Ita, quicquid est illud quod sentit,
quod sapit, quod uiuit, quod uiget, caeleste et diuinum ob eamque rem aeternum
sit necesse est. Nec uero deus ipse qui intellegitur a nobis, alio modo
intellegi potest nisi mens soluta quaedam et libera, segregata ab omni
concretione mortali, omnia sentiens et mouens ipsaque praedita motu sempiterno.
Hoc e genere atque eadem e natura
est humana mens. (Cic., Tusc. 1, 66-67)[Cic.Tusc.1,66-67]
Il existe donc pour
l’âme un élément et une essence qui sont d’un ordre exceptionnel et sans rapport
avec les éléments dont la notion nous est familière. Ainsi, quelle que soit la
nature de cet être qui a sentiment et raison, vie et activité, il est
nécessairement céleste et divin, et par cela même éternel. Au reste, la
divinité même, telle que nous la concevons, ne peut être conçue autrement que
comme un esprit de nature indépendante et libre, exclusive de toute composition
mortelle, qui connaît tout, qui meut tout et lui-même est doué d’un mouvement
éternel. L’âme humaine est du même ordre et c’est du même élément qu’elle
procède. (Cic., Tusc. 1, 66-67)[Cic.Tusc.1,66-67]
L’entité dont il est
ici question n’est autre que l’âme du monde, l’âme cosmique, et son mouvement
était déjà exprimé par Platon dans le Timée :
αὐτή
τε
ἀνακυκλουμένη
πρὸς αὑτήν, (Plat., Tim. 37A5-6)[Plat.Tim.37A5-6]
Elle se meut en
cercle elle-même en revenant sur elle-même.[12](Plat., Tim. 37A5-6)[Plat.Tim.37A5-6]
Ainsi le terme ἐνδελέχειαde Tusc. 1, 10, 22 n’est pas une
mélecture de ἐντελέχεια, mais vient d’un développement de physique tiré du De philosophia, traité d’Aristote
– sans doute jeune – qui garde la trace de l’influence platonicienne,
et, dans la terminologie cicéronienne de Tusc. 1,
22, l’originalité du Stagirite se situe moins dans l’idée de la motricité de
l’âme – qui est un héritage platonicien – que dans l’invention d’un
cinquième élément. Rien d’étonnant à ce que cet héritage ait été conservé par
Cicéron quand on sait l’intérêt de l’Arpinate pour le maître du Lycée, intérêt
qu’il partageait spécialement avec son ami Atticus. On peut donc dire que
Cicéron est le premier auteur antique à avoir recueilli les restes de ce que
nous appelons aujourd’hui l’« Aristote perdu », c’est-à-dire les
traités « exotériques » d’Aristote, et pas seulement de ses écrits
rhétoriques comme le pensait P. Moraux[13].
Dès lors la
pseudo-erreur de Cicéron est à mettre au compte de la méconnaissance par les
éditeurs modernes de cette notion aristotélicienne, comme l’a souligné depuis
longtemps J. Bidez : « Quant au concept de l’âme-endéléchie, abandonné
désormais par Aristote, il se perdit ensuite pour de longs siècles dans les
souvenirs, comme se sont perdus les écrits où avait été énoncée la doctrine qui
l’expliquait, et, dans tous les endroits des auteurs anciens où l’orthographe ἐνδελέχεια s’était conservée avec des extraits de l’Aristote
perdu, les critiques modernes ont cru devoir achever la victoire du τ sur le δ, en rétablissant systématiquement partout la forme ἐντελέχεια[14]. »
…et celui de Calcidius
Au IVe siècle de
notre ère, Calcidius[15],
après en avoir traduit les pages 17 à 53 – c’est-à-dire la moitié d’un dialogue
qui en compte 75 puisqu’il s’arrête à la page 92[16] –,
explique le Timée de Platon, ou
plutôt un certain nombre de « morceaux choisis » du texte grec, en un
vaste commentaire de 355 chapitres distribués en plusieurs traités. Le
passage du dialogue grec sur les mouvements de l’âme (Tim. 44B-C), cité au chapitre 211, sert de prétexte à
l’exégète latin pour traiter – si on reprend les titres qu’il donne
lui-même des différentes sections au chapitre 7 – des « raisons
pour lesquelles des hommes sont sensés et d’autres insensés ». Il s’agit
en réalité de définir le siège de l’âme et sa nature. Dans la première partie
du développement, Calcidius offre une véritable doxographie sur la question :
après avoir passé rapidement en revue les théories des atomistes et ceux, en
général, qui font de l’âme une substance corporelle, arrivent l’évocation des
penseurs qui situent l’âme dans le sang ou le cœur, puis la théorie d’Aristote.
C’est elle qui nous occupe ici. Le passage est fortement structuré : aux
chapitres 222-223, l’exégète développe la définition aristotélicienne de
l’âme, puis la commente, et, de même, dans les chapitres qui suivent, il
applique la même méthode pour définir la localisation de l’âme et la commenter,
avant d’exposer les idées de Platon sur la question.
Calcidius perpétue une
tradition philosophique qui remonte peut-être à Aristote lui-même qui ne donne
sa définition de l’âme (2, 1) qu’après avoir développé une longue doxographie
dans le livre 1. La théorie aristotélicienne, qui occupe, dans le
commentaire de Calcidius, le chapitre 222, offre une mosaïque de
citations, dans le désordre, du De anima 2,
1, comme le tableau ci-dessous peut nous en convaincre aisément :
c.
222
At uero Aristoteles animam definit hactenus : « Anima est prima
perfectio
corporis naturalis organici possibilitate uitam habentis », perfectionem
nunc
appellans specialem essentiam quae est in effigie. Essentia enim trifariam
intellegitur : una quae constat ex corpore, uelut animalia uel quae arte
fiunt,
essentia dicta, quia haec ipsa est et cetera quae sunt facit esse ;
altera qua
materiam informem et adhuc siluam mente consideramus, haec quippe
possibilitate omnia est quae ex se fieri possunt, effectu autem nondum
quicquam, ut massa aeris et intractata ligna ; tertia cui accidens
effectus perficit
eam exornatque impressione formae, ex qua forma quam insigniuit ars, id quod
perfectum est nomen accepit, ut statua, quae ex similitudine formae, cuius est
statua, simulacrum uocatur. Similiter, inquit, homo animal certe est, et est
ut
siluestris et materialis essentia, et haec composita ex materia formaque
quippe
ex corpore constat et anima; ergo corpus eius materia est, anima uero species
siue forma, iuxta quam speciem, id est animam, animal est cognominatum.
Hanc ergo speciem qua formantur singula generaliter Aristoteles entelechiam
[mss endelichiam(n)
endelechiam(n)], id est absolutam perfectionem,
uocat ;
hac enim obueniente siluae quae olim fuerant in sola possibilitate perueniunt
ad effectum. Item quod uiuit duplex est, anima et corpus, opinor, ut quae
discuntur duabus rebus sociantur, doctrina et anima, sed prius doctrina, qua
ipsa anima eruditur. Item salui sumus salute et corpore, sed prius salute,
per
quam corpus incolume est. Sic etiam uiuimus prius anima quam corpore,
siquidem uita corporis in anima locata est proptereaque anima
entelechia [mss ?] est
corporis. Quodque corpora partim dicuntur mathematica, ut sphaera et cubus, partim
artificiosa, ut nauis et statua, pleraque naturalia,
quae motus originem intra se habent, uita uidelicet utentia, naturalis anima
corporis entelechia sit necesse est. Competit alia etiam diuisio, nam
corporum
quaedam simplicia, ut elementa, quaedam composita, ut quae ex simplicibus
coagmentantur. Compositorum partim organica nuncupantur, partim sine
nomine, ut aurum aes gemmae, cetera immobili natura minime organica.
Animalium uero et stirpium et omnino qualiumcumque uita utentium organica
sunt, quippe modulata, et habent membrorum per quae agant aliquid aut
patiantur opportunitatem, ut ad sumendos cibos et generandam prolem paris
eiusdemque naturae, tum ad sentiendum et translatiuum ex loco ad locum
motum, ut cuncta gradientia, tum ad faciendum impetum iuxta desideria et
appetitus, ut animalium quae sunt firmiora. Ex quibus concludit Aristoteles
« entelechiam [mss ?] animam esse corporis naturalis
organici ». Tale porro
est quod corpus recipere oportet, et est, inquit; nam sunt quaedam sola
possibilitate animalia, ut oua uel semina, quaedam cum effectu et operatione,
ut
quae adhibito fotu ex isdem excuduntur animalia. Ex quo apparet entelechiam
fore animam non cuiuslibet corporis, sed eius quod potest animam sumere,
iuxta eiusdem uiuere patrocinium motusque uitales exercere in agendo, uitae
quoque passiones experiri, proptereaque definitioni additum:
« possibilitate
uitam habentis. »[17]. (Calc. In
Tim. 122)
|
An. 2, 1, 2
412a 19-21
et 27-28
412a 6-11
~9
~12
412a 10
~2, 414a sqq
~412a 15-18
412b 1 sqq
2, 413a 20 sqq
412a 19-21
412a 20-21
|
Ce tableau montre
d’emblée par quel zigzag Calcidius – ou sa source –reproduit le texte
d’Aristote. On reconnaît, dans la première phrase, la stricte traduction latine
– y compris pour ἐντελέχεια rendu avec exactitude par perfectio – de
la définition de Plutarque citée plus haut et largement accréditée dans la
tradition doxographique. L’ordre du développement grec est bouleversé et
l’intelligence de la pensée aristotélicienne s’en trouve légèrement altérée.
Celle-ci, quoique complexe – il n’est que de voir le nombre d’études
consacrées à cette définition de l’âme[18] –,
est cependant cohérente : reprenant la distinction entre les trois
substances – matière, figure-et-forme et un composé des deux –, l’âme
est dite « substance en tant que forme », soit entéléchie,
d’« un corps naturel possédant la vie en puissance ». Comparant ensuite science et
activité intellectuelle, Aristote qualifie l’âme d’« entéléchie
première ». Au chapitre suivant, pour distinguer le type d’animation d’une
plante et celle d’un homme, Aristote précise que l’âme est liée aux fonctions
vitales.
Bien qu’en réalité, la
psychologie aristotélicienne soit nettement rattachée à la métaphysique et à la
discussion sur l’essence, Calcidius, tout en évoquant la tripartition de
l’essence – la matière, la forme et le composé des deux –, ne la lie
pas fermement à l’âme. En intervertissant l’ordre des propositions du texte
grec et en associant seulement l’entéléchie à la forme, comme type de
substance, il ne fait pas apparaître clairement le lien entre les deux
articulations de la pensée aristotélicienne ; il donne au contraire
l’impression de vouloir le gommer, alors qu’il insiste sur l’équation :
âme/forme. Martelant le développement par la triple répétition de la définition
de l’âme, il produit un discours redondant. Le chapitre est essentiellement
descriptif, comme d’ailleurs les passages correspondants du De anima. Même quand il utilise des
exemples qui présentent des échos avec le texte du Stagirite, il en fausse un
peu le sens : ainsi de la science, qui, aux yeux d’Aristote (412a10-11 et
22-23), est une entéléchie, en tant à la fois que savoir et exercice de ce
savoir, alors qu’en latin, la doctrina
est établie en dualité avec anima :
« Item quod uiuit duplex est, anima et corpus, opinor, ut quae
discuntur duabus rebus sociantur, doctrina et anima, sed prius doctrina, qua
ipsa anima eruditur », dans un mélange entre deux passages de deux
chapitres différents, comme on le voit dans la marge de droite du tableau.
Calcidius se contente
d’expliquer isolément chaque partie de la définition : actualisation,
corps naturel, corps organique et capacité de vie[19],
ce qui produit un effet de juxtaposition proche du catalogue.
En outre, le lexique et
la syntaxe concourent à opacifier le texte, en engendrant un certain embarras
dans l’expression. Manifestement, Calcidius traduit du grec ; on reconnaît
aisément l’adaptation latine du champ lexical de la « forme » : species traduit le εἶδος grec, tandis que forma rend en latin la μορφή
du célèbre doublet
d’Aristote μορφή καὶ
εἶδος (cf. 412a8,ἕτερον
δὲ μορφὴν καὶ
εἶδος), doublet que nous retrouvons également chez Calcidius (ergo corpus eius materia est, anima uero species siue forma). Dans la première phrase du
chapitre, specialis, dérivé de species, est un hapax sémantique au sens
de « formel ».
Le vocabulaire latin
traduit la terminologie aristotélicienne : essentia/οὐσία ; silua/ὑλή ;possibilitas/δύναμις ; effectus/ἐνέργεια ; organica/ὀργανικά (cf. 412b 1), etc. En revanche accidens, dans la phrase [tertia]
cui accidens effectus perficit eam exornatque impressione formae […], pourrait faire penser à τὸ
συμβεβηκός, « l’accident ». En réalité, il n’en est
rien : dans cette phrase très torturée, il faut donner au mot sa pleine
valeur de participe présent du verbe accido,
« arriver, parvenir à », et construire, en suivant la suggestion de
J. H. Waszink, comme si nous avions : [tertia] cui accidens forma perficit eam et ad
effectum peruenire facit[20]
(cf. infra dans le même
chapitre : […] quae olim
fuerant in sola possibilitate perueniunt ad effectum), soit :
« [la troisième] à laquelle parvient la forme pour la parfaire et la faire
parvenir à l’effet […] ». Ou, plus simplement : « [la
troisième est celle] à laquelle s’ajoute l’acte pour contribuer à la réaliser
et pour l’orner en lui appliquant une figure ».
Bref, dans cette
transposition paraphrastique de la définition aristotélicienne de l’âme, la
brachylogie et la complexité de la phrase peuvent relever d’un « latin de
version grecque » !
Il reste que ce
chapitre 222 est un témoin d’autant plus précieux qu’il est, à ma
connaissance, unique de la réception du De
anima dans le monde latin, et qu’en dépit des remarques parfois critiques
de l’analyse précédente, cette page calcidienne permettrait d’avoir une idée
assez juste de la théorie définitive d’Aristote sur l’âme si le De anima avait disparu.
Revenons à
l’entéléchie. Si le texte d’Aristote (De
an. 2, 1, 412a21-22 et 412b9) offre ἐντελέχεια sans la moindre ambiguïté – tous les
manuscrits offrant la même leçon –, il n’en est pas de même dans le texte
latin où entelecheia est une
correction des éditeurs, les manuscrits offrant tous des formes plus ou moins
altérées d’endelecheia, comme on peut
s’en convaincre pour la première occurrence du terme dans le tableau ci-dessus.
Mais la correction – justifiée cette fois-ci – des éditeurs était
d’autant plus aisée que le traité d’Aristote est conservé assurément, mais
également parce que le terme grec est traduit sans ambiguïté par perfectio, glosé un peu plus loin par id est absolutam perfectionem et par
l’utilisation enfin du verbe perficere
un peu plus bas.
Dans une étude de 1989[21],
D. W. Graham s’est penché sur l’étymologie du termeἐντελέχεια, distinguant deux traditions rivales
d’interprétation : pour les uns, ἐντελέχεια est l’équivalent de
[τὸ] ἐντελές
ἔχειν, c’est-à-dire « avoir une complétude », ce qu’un humaniste
vénitien du XVe siècle, Ermolao Barbaro rendra par perfectihabia, qui – en dépit du barbarisme – a au moins
l’avantage de la transparence. Pour d’autres, l’étymologie correspondrait à
l’hypothèse formulée par Kurt von Fritz en 1938, et selon laquelle le mot
signifie ἐν[ἑαυτῷ]
τέλος ἔχειν, « avoir une fin en soi », ce qui n’est,
à ma connaissance, jamais attesté dans les textes anciens. Cette étymologie est
d’ailleurs jugée indéfendable par D. W. Graham qui rapproche ἐντελέχεια du terme ἐνεργεία. En fait, s’il y a effectivement une association
possible avec ἐνεργεία, c’est plus avec τελειότης qu’ἐντελέχεια est corrélé. La liaison des deux mots, fondée sur
une certaine assonance, apparaît déjà chez Aristote pour désigner
l’infini :
τελειότητος
ὕλη καὶ τὸ
δυνάμει ὅλον,
ἐντελεχείᾳ δ᾽
οὔ, (Arist., Phy. 3, 6)[Aristot.Phys.3,6]
[le tout infini] est matière de l’achèvement [de la
grandeur] et l’entier en
puissance, mais non en acte. (Arist., Phy. 3, 6)[Aristot.Phys.3,6]
Le rapprochement entre
τελειότης et ἐντελέχεια se fonde sur des raisons doctrinales sérieuses,
comme le note J. Pépin. La notion d’acte étant étroitement liée à celle de
fin, apparaît une notion proche de cette idée, qui est celle d’acte parfait.
« La notion de perfection et la notion d’acte se compénètrent donc ;
mais l’acte en tant que perfection est mieux nommé ἐντελέχεια que ἐνεργεία »[22],
le premier terme marquant la perfection une fois atteinte, alors que le second
décrit le processus qui va de la puissance à la réalisation, à l’état achevé.
En revanche, s’impose un lien fort de synonymie entre τελειότης et ἐντελέχεια, et les deux termes sont souvent associés dans la
tradition aristotélicienne, comme chez Alexandre d’Aphrodise : ἔθος δὲ
Ἀριστοτέλει
τὴν
τελειότητα
καὶ ἐντελέχειαν
λέγειν[23], (Alex. Aphrod. Dean.)[Alex.Aphrod.Dean.].
Le rapprochement est
passé de là dans les doxographies[24].
La conclusion méthodologique de J. Pépin que, « si l’on rencontre,
dans le voisinage immédiat de τελειότης, un mot pour lequel on hésite entre ἐνδ. et ἐντ., c’est la seconde de ces formes qui a chance d’être
la bonne » pourrait parfaitement s’appliquer à l’établissement du texte de
Calcidius, car sa traduction par perfectio
ne laisse planer aucune doute : on peut supposer la présence, dans sa
source grecque, du mot τελειότης, ou penser qu’il s’agit ici de la traduction
personnelle de l’exégète qui aurait bien vu τέλειος ou τελειότης à travers ἐντελέχεια.
Les métamorphoses d’Ent/Endéléchie
On voit bien
assurément, à travers les deux textes étudiés, qu’Aristote applique à l’âme
deux entités différentes, qui sont nettement discriminées dans la tradition latine.
Le choix par les éditeurs modernes de l’un ou l’autre des termes n’est pas
toujours facilité par les traductions latines. Que faire donc en l’absence de
tels indicateurs lexicaux pour distinguer les deux notions ?
Au début du
Ve siècle, Macrobe, dans son commentaire au Songe de Scipion de Cicéron, consacre un véritable mini-traité à
l’âme et, dans une énumération doxographique, associe sèchement l’âme, selon
Aristote, à l’enté/déléchie, sans qu’on ait le moindre indice sur la notion
évoquée. Les manuscrits offrant des leçons commençant majoritairement par ente- c’est cette leçon qu’a sagement
choisie M. Armisen-Marchetti dans son édition du texte[25].
Sensiblement à la même
époque, Martianus Capella, dans les Noces
de Philologie et Mercure[26],
utilise deux fois l’un ou l’autre de ces termes. Au début du livre 1, sont
évoquées diverses tentatives de Mercure pour se marier : le dieu a ainsi
voulu demander la main de la jeune Psyché qui est définie, au
paragraphe 7, comme Entelechiae ac
Solis filia, « fille d’Entéléchie et du Soleil ».
Une fois de plus, le
terme Entelechia est une correction
de l’éditeur, les manuscrits offrant tous Endelichiae.
Or qui est cette Psyché ? Sûrement pas l’âme – humaine – en tant
qu’entéléchie ou fille (?) d’entéléchie. Ce concept est nettement étranger au
passage. Il s’agit bien plutôt de l’Endéléchie[27]
dont il était question chez Cicéron et qui est très proche de l’âme du monde de
Platon. Le terme suppose un mouvement cosmique. Du reste, ce personnage est
associé au Soleil à propos duquel Julien (Or. 4,
131C) nous apprend que l’origine solaire des âmes serait une théorie
aristotélicienne ; en tout cas, nous sommes dans un contexte cosmique et
non humain.
Au livre 2, la
mortelle Philologie, la jeune fille qu’a finalement choisie Mercure, se livre à
de nombreux préparatifs pour pouvoir procéder à l’ascension qui doit la
conduire jusqu’à la Voie Lactée « où elle savait que le sénat des dieux
était réuni par Jupiter » (paragraphe 208 : ubi senatum deum a Ioue nouerat congregatum). La Voie Lactée, après
avoir été le lieu d’apothéose des hommes politiques dans le Songe de Scipion de Cicéron (Rep. 6), est devenue celui des
intellectuels, poètes ou philosophes : la jeune fille y reconnaît donc
Homère et Virgile, Orphée et Aristoxène, etc. Chacun de ces hommes illustres
est évoqué par un trait caractéristique de sa doctrine ; ainsi de
Pythagore, qui précède immédiatement Aristote, et sa philosophie du nombre[28].
Et voici ce qui est dit d’Aristote :
Aristoteles per caeli quoque culmina Entelechiam
scrupulosius requirebat […].
Aristote cherchait
aussi, avec un soin particulièrement minutieux, E. sur les sommets célestes […].
J. Willis a
choisi une fois de plus Ente-, là où les manuscrits, en dépit d’une orthographe
plus ou moins erronée, offrent néanmoins incontestablement la leçon Ende-
(a.c. : endelihiam,
endiliciam,
endelechiam,
endelic[h]iam).
En outre, dès 1940, S. Mariotti[29]
a montré pour ce passage que la leçon exacte est bien cette dernière forme. Il
s’agit là encore de l’âme cosmique en mouvement, associée qu’elle est aux caeli culmina c’est-à-dire à l’éther.
En plus du contexte et
des leçons des manuscrits, nous avons un argument supplémentaire pour opter
pour Endelechia : c’est la réception de ce texte. À l’époque carolingienne
en effet, dans ses Annotationes in
Martianum, J. Scot Érigène explique ainsi le premier passage des Noces :
Entelechia [mss Endelichia] ut Calcidius in expositione Timei Platonis exponit perfecta
aetas interpretatur. Aetas quippe adulta ἡλικία (mss
elekia) a Grecis dicitur. Entelechia [mss Endelichia] uero quasi ἐντός
ἡλικία [mss endoselekia]hocest intima
aetas. Generalem quippe mundi animam Entelechiam [mss Endelechiam] Plato nominat, ex qua speciales
animae siue rationabiles sint siue racione carentes in singulas mundani
corporis partes sole administrante, uel potius procreante, procedunt ut
Platonici perhibent. Quorum sectam Martianus sequitur asserens Psichen, hoc est
animam, Entelechie [mss
Endelikie] ac
Solis esse filiam, (Scot. Érig. In Mart)[Scot.Erig.InMart.]
Entelechia, comme
l’expose Calcidius dans son commentaire du Timée de Platon, est interprétée comme « âge
parfait ». L’âge adulte est de fait appelé ἡλικία par les Grecs. Entelechia est pour ainsi dire ἐντός ἡλικία, c’est-à-dire âge intime. Platon appelle Entelechie
l’âme du monde générale, d’où dérivent les âmes spéciales, douées ou non de
raison, en chaque partie du corps du monde, le Soleil y aidant ou plutôt les
procréant, selon les idées des Platoniciens. C’est leur secte que suit
Martianus quand il affirme que Psyché, c’est-à-dire l’âme, est fille
d’Entéléchie et du Soleil.[30] (Scot. Érig. In
Mart)[Scot.Erig.InMart.]
Ce texte est
particulièrement problématique. Certes, une fois de plus l’éditeur a corrigé
systématiquement les leçons des manuscrits qui portent, pour les deux
occurrences, Ende- et non Ente-. D’autre part la glose intima aetas – qui n’a aucun sens – a vraisemblablement
conduit l’éditeur à corriger la leçon endos
en ἐντόςet à translittérer elikia enἡλικία, du fait de son association à aetas. Or cette étymologie fantaisiste fausse l’autre lecture
possible de elikia, ἑλικίας qui, dérivée de ἕλιξ, a le sens de « spirale ». Dès lors, l’endos elekia exprimerait une espèce de
« spirale intérieure », qui ne serait pas absurde à propos des
mouvements spiralés des corps célestes. C’est d’ailleurs le terme ἕλιξ, hélice, qui est utilisé par Platon en Timée 39A7 à propos des mouvements planétaires, et est traduit
par Calcidius par in spiram et uelut
sinuosum acanthi uolumen. Ce mouvement correspond au mouvement de l’Autre
dans l’âme du monde (39D-40). En même temps, le rôle attribué au Soleil dans la
création des âmes corrobore l’interprétation que Julien avait déjà faite du
passage de Martianus.
On voit bien, en tout
cas, qu’Érigène attribue à Platon des notions qui, on l’a vu, sont
explicitement mises au compte d’Aristote par Calcidius. En même temps, les
« erreurs » d’Érigène ou des copistes sont éclairantes sur la
transmission des textes : on peut penser que la leçon originelle du texte
calcidien, Entelecheia, était déjà
altérée dans les copies qui circulaient au Moyen Âge.
Au XIIe siècle,
dans les Glosae super Platonem
attribuées à Bernard de Chartres, l’interprétation de la page 34C du Timée sur la création de l’âme sert de
prétexte à un résumé des chapitres 222, 223 et 225 du commentaire
calcidien, résumé où on retrouve un écho de la théorie aristotélicienne :
[…]
secundum Aristotelem anima est endelichia, id est forma corporis, quae corpus
uiuificando quodammodo informat. (Bern. hartr. In Plat.)[Bern.hartr.InPlat.]
[…] selon Aristote, l’âme est endéléchie, c’est-à-dire la forme du corps, qui
donne forme au corps, d’une certaine façon, en le vivifiant.[31](Bern. hartr. In
Plat.)[Bern.hartr.InPlat.]
À la différence du
passage d’Érigène,siendelichiaest
la seule leçon rapportée par l’éditeur, sa glose par référence à la forma corporis renvoie indubitablement à
l’entelechia du De anima.
Bernard Silvestre
enfin, dans la Cosmographia[32]
qu’il dédie à Thierry de Chartres, apparaît lui aussi tributaire aussi bien de
la traduction que de l’exégèse calcidiennes. Là encore cette source est
indissociable des autres « maîtres-livres », comme les appelle
E. Jeauneau[33] :
les Noces de Martianus à qui Bernard
emprunte l’affabulation et la technique du prosimetrum,
mais aussi le Commentaire au Songe de
Scipion de Macrobe et la Consolation
de Philosophie de Boèce. Il emprunte au Commentaire
de Calcidius une notion caractéristique qu’il transforme
considérablement : celle de Silva
la matière, qui est devenue l’héroïne de la Cosmographia.
Quant à Endelichia, elle n’a rien de
calcidien, puisqu’elle est assimilée à l’anima
mundi et non, comme chez Calcidius, à l’absoluta
perfectio aritstotélicienne ou à l’âme de n’importe quel corps. Elle
renvoie, de façon médiate, au texte de Cicéron et, de façon plus directe, aux
passages déjà relevés de Martianus Capella.
Ainsi, les erreurs de
copistes ont entraîné l’amalgame et la confusion entre des notions qui, à
l’origine, étaient fortement différenciées. Il est clair en tout cas que
l’homme du Moyen Âge connaissait l’Endelecheia
des œuvres « exotériques » d’Aristote et non l’Entelecheia de son De anima.
Ainsi, l’étude de la
notion Ente/Endelecheia est très éclairante sur l’histoire des textes et de
leurs éditions. En tout état de cause, l’établissement des textes antiques et
médiévaux oblige à croiser attentivement histoire du texte et histoire des
idées. Et les corrections indues des éditeurs modernes seraient comparables,
toutes proportions gardées, aux mélectures des copistes médiévaux, influencés
les uns et les autres par le terme aristotélicien le plus – ou le
seul – connu à leur époque. Au Moyen Âge en effet, on ne connaissait qu’Endéléchie,
tandis qu’aujourd’hui c’est Entéléchie ; et on a tendance à adopter une
attitude hypercritique sans tenir compte du contenu du texte. Les métamorphoses
d’Endé-léchie montrent à l’évidence que l’ars
scribendi est d’abord un ars
legendi !
Pendant longtemps, les
textes latins transmettent donc, sur l’âme, l’enseignement exotérique
d’Aristote, certainement pas de façon directe. Ils n’en restent pas moins de
précieux auxiliaires pour reconstituer des pans entiers de l’« Aristote
perdu ». À ce moment-là, nous aurions un état de la pensée du jeune
Aristote, à une époque où il est encore proche de l’Académie platonicienne,
alors que le De anima, ouvrage de la
maturité, offrirait l’état définitif de la psychologie aristotélicienne.
Il faut noter enfin la
position très originale de Calcidius : il est quasiment le seul Latin,
comme l’avait également fait Cicéron, à traduire effectivement le mot grec
qu’il a sous les yeux, en l’occurrence ἐντελέχεια, ce qui ne laisse planer aucune ambiguïté sur le
texte-source. Il est également le seul à offrir un écho de l’enseignement
ésotérique du Stagirite qu’il a puisé certainement soit à des commentaires
aristotéliciens, soit à de riches doxographies. Or les développements latins et
spécialement ceux de Calcidius font cruellement défaut dans le
« Nachleben » du De anima
d’Aristote dans le monde romain. Il y aurait donc une lacune à combler,
d’autant que, dans l’économie du traité sur l’âme, l’exégète accorde une place
à part à la théorie aristotélicienne, car c’est la seule doctrine qui, en
dehors de celle de Platon, soit citée et discutée tout du long.