Cet article a été
rédigé avant la publication des Annaeana Tragica de J. G. Fitch
(Leyde, 2004), où l’auteur défend sa colométrie des anapestes de Sénèque. Je
discuterai ces arguments dans une révision de mon article.
La publication récente
(2002) du premier volume de la nouvelle édition Loeb des tragédies de Sénèque[1]
ravivera peut-être l’intérêt des latinistes pour l’analyse de leurs parties
anapestiques : ils en verront les vers disposés d’une manière surprenante,
conforme à une théorie qui a déjà suscité le doute. Choqué par la nouvelle
colométrie mais impressionné par l’apparente rigueur de la démonstration qui
l’appuie, j’ai tenté de justifier rationnellement un rejet d’abord fondé sur un
sentiment et d’ajouter aux objections déjà formulées, non sans reconnaître les
aspects positifs de la thèse contestée. Dans un premier temps, les réflexions
qui suivent retracent, à grands traits, l’histoire de la question et mettent à
l’épreuve la théorie incriminée ; puis elles essaient de placer dans une
perspective historique la technique que semble suivre le poète latin, héritier
d’une tradition qui avait cessé d’être comprise. Cette mise en perspective
évoque la réception à Rome de la versification grecque vue au travers de la
colométrie alexandrine, et permet de mieux saisir la nature des anapestes de
Sénèque. Il y a encore, ce semble, un beau livre de métrique, de stylistique et
de critique textuelle et littéraire à écrire sur les anapestes de Sénèque[2] :
puissent les modestes remarques qu’on va lire contribuer à le susciter !
Avant 1819, le lecteur
des tragédies de Sénèque ou attribuées à Sénèque qui s’aventurait hors des
trimètres iambiques dans les anapestes rencontrait sur son chemin des monstres[3].
Friedrich Bothe débarrassa Sénèque de ces monstres dans une édition parue à
Leipzig en 1819. Un illustre métricien les croisait encore en 1894. Cette
année-là, Lucian Müller publie à Saint-Pétersbourg et à Leipzig la seconde
édition de son important traité De re metrica poetarum Latinorum[4]. Lisant les tragédies de Sénèque dans une édition variorum de 1728,
il cite[5]
seize dimètres anapestiques où la synaphie prosodique[6]
d’un colon à l’autre n’est pas respectée. Dans ces seize passages, ou bien la
dernière syllabe du premier mètre anapestique est brève, comme dans Hercule
Furieux, vers 1134[Sén.Herc.Fur.1134],
Patriusque furor B : ite infaustum, ou bien il y a
hiatus, comme dans[Sén.Med.342]
Médée, vers 342, Claustra profundi, H hinc atque
illinc. Refusant à juste titre d’admettre ces ruptures de la synaphie[7],
il suppose que ces anapestes sont non des dimètres, mais des monomètres, dont
l’utilisation stichique est attestée à une époque tardive[8].
L’ouverture de [Sén.Phaedr.]Phèdre
compterait alors… 180 vers. La thèse radicale de Lucien Müller a surtout trouvé
des contradicteurs[9]. En
1819, Bothe était parvenu à éliminer tous les cas de violation de la synaphie
prosodique en isolant comme monomètres les premiers cola des dimètres problématiques.
Ce faisant, Bothe ne modifiait que ponctuellement la colométrie des éditions
antérieures, où déjà des monomètres interrompaient ici ou là la succession des
dimètres. Mais il savait que si les retouches qu’on voit dans le texte de son
édition suffisaient à éliminer les violations de la synaphie prosodique, elles
ne permettaient pas à elles seules d’établir la colométrie véritable des
anapestes de Sénèque. Dans une note de son édition, il propose une nouvelle
colométrie des vers [Sén.Herc.Fur.173-180et194-197]173-180
et 194-197 de l’Hercule Furieux, prétendant qu’elle rend le passage concinnior,
« plus harmonieux », et ajoutant ceci : « Et c’est de la
même manière que partout les phrases seront adaptées aux mètres dans les
parties anapestiques de ces tragédies, la plupart du temps, cependant, dans les
notes plutôt que dans le texte même, afin qu’un changement de numérotation des
vers ne trouble pas ceux qui comparent d’autres éditions[10]. »
Je ne crois pas trahir la pensée de Bothe en lui attribuant l’opinion que dans
les anapestes de Sénèque vers et groupes de mots cohérents, membres de phrase
ou propositions, tendent à coïncider[11].
S’il avait mis dans le texte les suggestions qu’il réserva aux notes, la
colométrie des anapestes de Sénèque aurait peut-être progressé plus vite.
Gustav Richter redécouvrit ce que Bothe avait trouvé[12]
et publia en 1899 dans un programme d’Iéna le fruit de ses recherches[13].
Il y élabore une argumentation justifiant le remaniement de la colométrie en
fonction de la tendance à faire coïncider vers et groupes de mots cohérents.
Richter édita les tragédies de Sénèque en 1902[14],
mais il fallut attendre 1986 pour voir paraître, dans la collection classique
d’Oxford, sous la signature d’Otto Zwierlein, une édition qui fasse une application
poussée du principe prôné par Richter.
Soit le premier chœur
de [Sén.Agam.58-107]l’Agamemnon.
La première colonne ci-dessous présente le texte avec la colométrie donnée par E
et A, les deux sources du texte des tragédies de Sénèque. E
désigne le célèbre Etruscus (Laurentianus Plut., 37.13, de la fin du XIe siècle)
et A une famille de manuscrits qui, à l’occasion, se scindent en deux
groupes notés β et δ [15].
Je souligne les passages où j’observe, dans la colométrie transmise, une
concordance entre mètre et organisation du discours au niveau du dimètre ou de
la combinaison dimètre + monomètre « complétif » – c’est-à-dire
complétant le dimètre de façon que l’ensemble enferme un groupe de mots
cohérent. La seconde colonne présente le texte avec la colométrie de Zwierlein.
O regnorum magnis fallax
|
O regnorum magnis fallax
|
Fortuna bonis, in praecipiti
|
Fortuna bonis,
|
dubioque locas excelsa nimis.
59
|
in praecipiti dubioque locas
|
|
excelsa nimis.
|
Numquam placidam sceptra
quietem
|
Numquam placidam sceptra
quietem
|
certumue sui tenuere diem :
|
certumue sui tenuere diem :
|
alia ex aliis cura fatigat
|
alia ex aliis cura fatigat
|
uexatque animos noua tempestas.
|
uexatque animos noua tempestas.
|
|
|
Non sic Libycis Syrtibus
aequor
|
Non sic Libycis Syrtibus
aequor
|
furit alternos uoluere fluctus,
65
|
furit alternos uoluere fluctus,
|
non Euxini turget ab imis
|
non Euxini turget ab imis
|
commota uadis unda niuali
|
commota uadis
|
uicina polo, H ubi caeruleis
|
unda niuali uicina polo,
|
immunis aquis lucida uersat
|
ubi caeruleis immunis aquis
|
plaustra Bootes, 70
|
lucida uersat plaustra Bootes,
|
ut praecipites regum casus
|
ut praecipites regum casus
|
Fortuna rotat. Metui cupiunt
|
Fortuna rotat.
|
metuique timent, non nox
illis
|
Metui cupiunt metuique timent,
|
alma recessus praebet tutos,
|
non nox illis alma recessus
|
non curarum somnus domitor
75
|
praebet tutos,
|
pectora
soluit.
|
non curarum somnus domitor
|
|
pectora soluit.
|
|
|
Quas non arces scelus
alternum
|
Quas non arces scelus
alternum
|
dedit in
praeceps ? Impia quas non
|
dedit in
praeceps ? Impia quas non
|
arma fatigant ? Iura pudorque
|
arma fatigant ? Iura pudorque
|
et coniugii sacrata fides 80
|
et coniugii sacrata fides
|
fugiunt aulas ; sequitur
tristis
|
fugiunt aulas; sequitur
tristis
|
sanguinolenta Bellona manu
|
sanguinolenta Bellona manu
|
quaeque superbos urit Erinys,
|
quaeque superbos urit Erinys,
|
nimias semper comitata domos,
|
nimias semper comitata domos,
|
quas in planum quaelibet hora
85
|
quas in planum quaelibet hora
|
tulit ex alto. Licet arma uacent
|
tulit ex alto.
|
cessentque doli, sidunt ipso
|
Licet arma uacent cessentque doli,
|
pondere magna B ceditque
oneri
|
sidunt ipso pondere magna
|
fortuna suo.
|
ceditque oneri fortuna suo.
|
|
|
Vela secundis inflata Notis
90
|
Vela secundis inflata Notis
|
uentos nimium timuere suos ;
|
uentos nimium timuere suos ;
|
nubibus ipsis inserta caput
|
nubibus ipsis inserta caput
|
turris pluuio uapulat Austro,
|
turris pluuio uapulat Austro,
|
densasque nemus spargens umbras
|
densasque nemus spargens umbras
|
annosa uidet robora frangi ;
95
|
annosa uidet robora frangi ;
|
feriunt celsos
fulmina colles,
|
feriunt celsos fulmina colles,
|
corpora morbis
maiora patent,
|
corpora morbis maiora patent,
|
et cum in
pastus armenta uagos
|
et cum in pastus armenta uagos
|
uilia currant,
placet in uulnus
|
uilia
currant,
|
maxima ceruix : quidquid in altum
100
|
placet in
uulnus maxima ceruix :
|
Fortuna tulit, ruitura leuat.
|
quidquid in altum Fortuna tulit,
|
|
ruitura leuat.
|
|
|
Modicis rebus longius aeuum est :
|
Modicis rebus longius aeuum est :
|
felix mediae quisquis turbae
|
felix mediae quisquisturbae
|
sorte quietus B aura
stringit
|
sorte quietus
|
litora tuta timidusque mari 105
|
aura stringit litora tuta
|
credere cumbam
remo terras
|
timidusque mari credere cumbam
|
propiore legit.
|
remo terras propiore legit.
|
57 o E : om.
A || magnis EA : vanis Axelson || 59 locas excelsa
nimis Bentley : locas excelso nimis E nimis excelsa loco A
|| 63 vexatque A : vexat E || 65 volvere EA :
volvens Liberman || 81 fugiunt A : faciunt E || 84
nimias E : tumidas A || 103 medie quisquis turbe δ : medie turbe quisquis β quisquis medie turbe E || 104 sorte E :
parte A || 104/105 aura (EA) addubitat Liberman. An alno (i.
e. nave) ?
Je ne peux pas
approuver le maintien par Zwierlein de la colométrie transmise dans [Sén.Agam.78-79]Agamemnon,
vers 78-79[16] :
Quas non arces scelus
alternum
dedit in praeceps ? Impia quas non 78
arma fatigant ?
Iura pudorque […].
Non seulement la
phrase Impia quas non arma fatigant figure sur deux dimètres et est
précédée d’une phrase interrogative qui se termine et suivie d’une autre phrase
qui commence, mais, de surcroît, le vers 78 se termine sur le mot non.
La synaphie prosodique
est, dans la colométrie transmise, violée en trois endroits ([Sén.Agam.68,88,104]vers 68,
88 et 104), où interviennent des phénomènes (hiatus, brevis in longo)
qui ne peuvent se produire qu’à la fin et non à l’intérieur du vers. Ces
violations montrent que cette colométrie est incorrecte à trois reprises. En
deux endroits ([Sén.Agam.68-69et103-107]vers 68-69
et 103-107), le rétablissement de la nécessaire synaphie prosodique par la
correction la plus économique de la colométrie renforce la concordance
partielle entre mètre et organisation du discours constatée dans cette même
colométrie. D’où l’idée que la concordance entre mètre et discours a été
perturbée ailleurs que là où la violation de la synaphie prosodique fait
apparaître une perturbation de la colométrie. Dans une monographie consacrée
aux anapestes chez Sénèque et parue en 1987[17],
John Fitch présente comme « cruciale » l’observation suivante de
Richter : si la colométrie transmise par E et A est
plusieurs fois incorrecte, alors il est très probable que la colométrie
originale ait été perturbée ailleurs que là où l’hiatus ou la brevis
in longo mettent en évidence cette perturbation. Je dirais plutôt
« possible » ou « plausible ». Richter observe que là où la
présence de l’hiatus ou de la brevis in longo à l’intérieur du dimètre
amène à corriger la colométrie transmise par les deux sources du texte ou par
l’une d’elles, cette correction rétablit la correspondance entre unités
métriques et unités de sens. Selon Fitch, Richter a raison d’en conclure que
cette correspondance fournit un critère permettant de déceler et de corriger
les passages où la colométrie est altérée. Mais le raisonnement n’est pas sans
être circulaire, car, comme l’indique la formulation « cette correction rétablit
la correspondance », il part du principe dont il est censé démontrer la
validité.
La colométrie
originale de Sénèque est diversement troublée dans l’Etruscus et la
famille A, mais il est certain, contrairement à ce que laissait
entendre Müller[18], que
les anapestes n’étaient pas disposés comme de la prose dans l’archétype. Si
Müller avait raison, il faudrait supposer, là où l’Etruscus transmet une
colométrie présumée juste, une intervention trop habile pour que l’hypothèse en
soit plausible. La mise en conformité de la colométrie avec le principe de
correspondance entre mètre et phrase multiplie les monomètres ; si la
colométrie ainsi obtenue est la colométrie originale, il est permis de penser
que la cause principale de la perturbation de celle-ci est le gain de place
entraîné par l’élimination des monomètres.
Marchant sur les
traces de Fitch, je dirais qu’une distribution par dimètres et monomètres
observant la correspondance entre vers et organisation du discours accentue la
tendance à privilégier le schéma d[actyle] s[pondée] au second
colon du dimètre[19] et à
limiter l’emploi du schéma s[pondée] s[pondée] dans ce même colon.
Voici, pour illustration[20],
les proportions qu’on obtient en comparant, dans le premier chœur de l’Agamemnon
([Sén.Agam.57-107]vers 57-107)
la colométrie transmise par E et A avec la colométrie de
Zwierlein rectifiée aux vers 78-79 :
|
1er colon
|
|
2e colon
|
|
|
mss.
|
Zw. corr.
|
mss.
|
Zw. corr.
|
ds[21]
|
13
|
8
|
16
|
18
|
sa
|
17
|
13
|
10
|
12
|
ss
|
8
|
10
|
9
|
4
|
as
|
6
|
6
|
4
|
3
|
aa
|
3
|
5
|
8
|
6
|
dimètres
|
47
|
43
|
47
|
43
|
Comparons maintenant,
dans la magnifique ouverture de [Sén.Phaedr.1-84]Phèdre
(vers 1-84), la colométrie de Zwierlein avec celle du manuscrit E,
réputé le témoin le plus « fidèle ». La famille A présente une
colométrie légèrement différente dans les [Sén.Phaedr.1-41]vers 1-41 et
radicalement différente dans les vers [Sén.Phaedr.42-84]42-84, qui sont
distribués par trimètres.
|
1ercolon
|
|
2e colon
|
|
|
E
|
Zw.
|
E
|
Zw.
|
ds
|
21
|
12
|
31
|
37
|
sa
|
19
|
18
|
13
|
11
|
ss
|
18
|
22
|
14
|
9
|
as
|
13
|
12
|
9
|
10
|
aa
|
7
|
8
|
11
|
5
|
dimètres
|
78
|
72
|
78
|
72
|
La tendance à
privilégier le schéma dactyle spondée pour la seconde partie du dimètre
n’étonne guère : d’abord, c’est le schéma de la clausule de l’hexamètre
dactylique familier au lettré romain ; ensuite, c’est le schéma de
l’adonien, qui sert principalement à Sénèque de clausule après une succession
plus ou moins longue d’hendécasyllabes sapphiques (trois hendécasyllabes sapphiques
et un adonien forment, pour Horace et Sénèque, les quatre vers de la strophe
sapphique). Dans Œdipe, vers 449-466[Sén.Oedip.449-466], Sénèque termine une
série de tétramètres dactyliques acatalectiques par un adonien, les deux
derniers vers, formant, si on les met bout à bout[22],
un hexamètre dactylique avec diérèse bucolique. C’est un bon signe – mais
non une preuve – pour l’hypothèse de la correspondance entre vers et
organisation du discours que son application renforce la tendance à privilégier
le schéma dactyle spondée au second colon du dimètre anapestique. Je note que
le schéma ds est celui d’environ la moitié des monomètres anapestiques
dégagés par la colométrie de l’édition Zwierlein, dans laquelle l’immense
majorité des monomètres contient la fin d’un groupe grammaticalement ou
stylistiquement cohérent.
Dans son édition,
Zwierlein a heureusement renoncé à introduire dans la colométrie les trimètres
anapestiques dont il s’était fait l’avocat[23].
Ici et là, aussi bien dans E que dans A, on trouve une distribution
par trimètres, dont certains entraînent une violation de la synaphie
prosodique. Sénèque a-t-il composé un trimètre là où l’application du principe
de correspondance entre vers et organisation du discours fait apparaître un
dimètre et un monomètre liés par la synaphie prosodique et formant un groupe
grammaticalement ou stylistiquement cohérent ? Là où nous croyons que
Sénèque a composé deux dimètres suivis chacun d’un monomètre :
non nox illis alma recessus
praebet tutos,
non curarum somnus domitor
pectora soluit. ([Sén.Agam. 4-76]Agam. 74-76)
a-t-il en réalité
composé deux trimètres ? Si tel était le cas, je m’expliquerais mal
pourquoi le schéma dactyle spondée, naturellement privilégié à la fin du vers,
est aussi fréquent au second colon de ces prétendus trimètres qu’il l’est dans
les dimètres non suivis de monomètres complétifs. Dans quelques cas, on
constate, à la fin d’un dimètre suivi d’un monomètre complétif, la présence de
la syllabe brève qui marque la fin d’un vers. Ainsi dans ces deux vers que le
manuscrit E distribue correctement :
Colit impense femina
virque
numen geminum. ([Sén.Agam. 80-381]Agam. 380-381)
De tels passages, si
rares soient-ils, sembleraient suffire à prouver que Sénèque a bel et bien
enfermé dans un dimètre et un monomètre formant deux vers indépendants une
proposition (ou un groupe de mots cohérent) occupant trois mètres. Or, pourquoi
aurait-il composé des trimètres là où un dimètre suivi d’un monomètre qui, en
quelque sorte, le prolonge, lui donnait les mêmes possibilités
d’expression ?
Dans la colométrie que
propose sa monographie et que suit le premier volume de son édition, Fitch
introduit des monomètres au début d’une partie anapestique, d’une phrase ou
d’une proposition[24] et
scinde ici ou là un dimètre en deux monomètres. Voici le résultat pour le
premier chœur de l’Agamemnon, sans préjuger des choix textuels du second
volume, encore à paraître au moment où j’écris, de l’édition Loeb :
O regnorum
magnis fallax Fortuna bonis,
in praecipiti dubioque locas
excelsa nimis.
Numquam placidam sceptra quietem 60
certumue sui tenuere
diem :
alia ex aliis cura fatigat
uexatque animos noua tempestas.
Non sic Libycis Syrtibus aequor
furit alternos uoluere fluctus, 65
non Euxini
turget ab imis commota uadis
unda niuali uicina polo,
ubi caeruleis immunis aquis
lucida uersat plaustra Bootes, 70
ut praecipites regum casus
Fortuna rotat.
Metui cupiunt metuique timent,
non nox illis alma recessus
praebet tutos,
non curarum somnus domitor 75
pectora soluit.
Quas non arces scelus alternum
dedit in praeceps ?
Impia quas non arma
fatigant ?
Iura pudorque
et coniugii sacrata fides 80
fugiunt aulas ;
sequitur tristis
sanguinolenta Bellona manu
quaeque superbos urit Erinys,
nimias semper comitata domos,
quas in planum quaelibet hora 85
tulit ex alto.
Licet arma uacent cessentque doli,
sidunt ipso pondere magna
ceditque oneri fortuna suo.
uela secundis inflata Notis 90
uentos nimium timuere suos ;
nubibus ipsis inserta caput
turris pluuio uapulat Austro,
densasque nemus spargens umbras
annosa uidet robora frangi ; 95
feriunt celsos fulmina colles,
corpora morbis maiora
patent,
et cum in pastus
armenta uagos uilia currant,
placet in uulnus maxima ceruix : 100
quidquid in altum Fortuna tulit,
ruitura leuat.
Modicis rebus longius aeuum est :
felix mediae quisquis turbae
sorte quietus
aura stringit litora tuta 105
timidusque mari credere cumbam
remo terras propiore legit. ([Sén.Agam.58-107]Agam.
58-107)
La colométrie
transmise comprend des monomètres complétifs ou conclusifs, c’est-à-dire
fermant une partie anapestique ou un ensemble de dimètres clos du point de vue
du sens. L’introduction de nouveaux monomètres complétifs ou conclusifs
n’introduit donc pas une pratique colométrique neuve. Le phénomène de
« cohérence hypermétrique », par laquelle un vers court
« complète » un vers long qui précède, se constate dans la
combinaison hendécasyllabe sapphique + adonien :
misit infestos Troiae
ruinis
non semel arcus ? ([Sén.Troad.824-825]Troy. 824-825),
tandis qu’on observe dans
les séries ininterrompues d’hendécasyllabes sapphiques utilisés par Sénèque une
forte tendance à ce que chaque vers soit formé d’un groupe de mots cohérent.
Nous verrons que Sénèque conçoit l’hendécasyllabe sapphique comme un dicolon
(-˘ - - - | ˘ ˘ - ˘ - -) ; c’est pourquoi, il n’est
pas illégitime de rapprocher du dimètre anapestique le dicolon sapphique. Bien
que le tétramètre dactylique ne forme pas un dicolon, légitime aussi est le
rapprochement de la combinaison tétramètre dactylique acatalectique + adonien
(dimètre dactylique catalectique) dans Œdipe, [Sén.Oed.466]vers 466 :
et sequitur curvus
fugientia
carbasa delphin.
Tous les tétramètres qui précèdent forment un groupe de mots cohérent.
Bien sûr, ces rapprochements ont leur limite ; ainsi, l’adonien diffère
plus du dicolon que le monomètre anapestique du dimètre anapestique.
En revanche, la
tradition atteste très mal le monomètre répété et les monomètres initiaux[25].
L’introduction des monomètres initiaux [Sén.Agam.57]O regnorum
(vers 57), non Euxini (vers 66[Sén.Agam.66]), et cum in
pastus [Sén.Agam.98](vers 98) permet d’obtenir, après chaque
monomètre, un dimètre formant un groupe plus ou moins cohérent : magnis
fallax fortuna bonis (vers 58)[Sén.Agam.58], turget ab
imis commota vadis (vers 67[Sén.Agam.67]), armenta
vagos vilia currant ([Sén.Agam.99]vers 99). Le détachement de Iura pudorque
([Sén.Agam.79]vers 79)
élimine une distribution impossible et fait du dimètre précédent, Impia quas
non arma fatigant, un groupe cohérent (en revanche, cette cohérence ne peut
justifier le détachement de sequitur tristis, vers 82[Sén.Agam.82], qui
amène la succession de deux monomètres ; je suppose que la motivation de
ce détachement est rhétorique). La démarche de Fitch[26] se fonde en fait sur
l’exigence de cohérence du groupe formant le dimètre,
exigence qui commande aussi bien la colométrie[Sén.Agam.57-58] O regnorum | magnis
fallax Fortuna bonis (vers 57-58) que la colométrie in praecipiti
dubioque locas | excelsa nimis ([Sén.Agam.58-59]vers 58-59). Mais
on peut s’interroger sur la légitimité d’une exigence de cohérence aussi
systématique, quand on voit que, d’un dimètre à l’autre, la cohérence peut
n’exister qu’au niveau du groupe formé par les deux dimètres :
Labor exoritur durus
et omnes
agitat curas aperitque domos. ([Sén.Herc.Fur.137-138]Herc.
Fur. 137-138)
Audax nimium qui
freta primus
rate tam fragili perfida
rupit. ([Sén.Med.301-302]Méd. 301-302)
Si cette
« cohérence hypermétrique » (c’est-à-dire s’étendant au-delà du
dimètre) peut unir deux dimètres, pourquoi ne pourrait-elle unir un dimètre non
cohérent et un monomètre ? Faute de reconnaître le monomètre complétif,
Fitch est amené à introduire des distributions absurdes ; ainsi :
obitus pariter
tecum Alcides vidit
et ortus. ([Sén.Herc.Fur.1061-1062]Herc.
Fur. 1061-1062)
-------------
et (qui melius[27]
tua tela tamen
senserat) aer. ([Sén.Herc.Fur.1110-1111]Herc.
Fur. 1110-1111)
Cependant, aux
vers 73-74[Sén.Agam.73-74]
d’Agamemnon, il propose non cette colométrie :
non nox illis
alma recessus praebet
tutos,
mais celle-ci :
non nox illis alma
recessus
praebet tutos.
Pourtant, le dimètre alma
recessus praebet tutos semble plus « cohérent » que non nox
illis alma recessus. Entre :
non nox illis alma
recessus
praebet tutos,
et :
O regnorum magnis fallax
Fortuna bonis,
il n’y a guère de
différence. Le changement d’attitude du colométricien s’explique-t-il par le
refus de la succession d’un monomètre spondaïque (non nox illis) et d’un
second colon spondaïque (praebet tutos) ?
On peut aussi arguer
que le détachement de O regnorum est une conséquence paradoxale de
l’application de la « sense-correspondence ». En effet, le
« rééquilibrage » du dimètre entraîne un déséquilibre au niveau de
l’ensemble monomètre + dimètre par la mise en avant d’un élément qui dépend
d’un mot contenu dans le dimètre, est inintelligible par lui-même et ne peut
guère assumer seul le relief que lui donne sa position. Et on peut faire valoir
la symétrie structurelle et les rimes plus ou moins approchées de la
colométrie suivante :
O regnorum magnis
fallax
Fortuna bonis
in praecipiti
dubioque locas
excelsa nimis,
contre la
colométrie suivante :
O regnorum
magnis fallax Fortuna
bonis,
in praecipiti
dubioque locas
excelsa nimis.
Par ailleurs, la
colométrie de Fitch augmente notablement la proportion de monomètres
spondaïques : chez Zwierlein, sur dix monomètres, tous complétifs, que
contient le premier chœur de[Sén.Agam.]
l’Agamemnon, un seul est spondaïque ; chez Fitch, sur quatorze
monomètres (dont six initiaux), quatre (dont trois initiaux) sont spondaïques.
Dans l’ouverture de[Sén.Phaedr.]
Phèdre, la colométrie de Zwierlein ne compte aucun monomètre spondaïque
parmi dix-huit monomètres ; celle de Fitch compte six monomètres
spondaïques (dont un seul complétif) sur vingt-quatre monomètres. Sénèque, qui
tend à restreindre l’occurrence du schéma spondée spondée comme monomètre
complétif et comme second colon du dimètre[28],
changerait d’attitude quand il s’agit d’un monomètre initial ? On dira que
la continuité de sens pouvant exister entre un monomètre initial et le dimètre
suivant, de même que celle qui peut unir un dimètre au vers qui le suit,
atténue la lourdeur des deux spondées. Je répondrai que les deux spondées d’un
monomètre initial risquent fort d’avoir un relief sensiblement plus important que
les deux spondées du second colon d’un dimètre uni au vers suivant par le sens.
Il est donc permis de
douter que Sénèque ait usé du monomètre initial de la manière que Fitch veut.
Néanmoins, il y a recouru, de l’aveu même de Zwierlein[29],
qui admet six monomètres initiaux, tous motivés, selon, lui, par une mise en
relief rhétorique (d’ailleurs bien compatible avec la position initiale) :
Ite ad planctus
miseramque leva,
regina, manum. ([Sén.Troad.79-80]Troy. 79-80)
complete manus
hoc ex Troia
sumpsisse licet. ([Sén.Troad.102]Troy. 102)
Saevite manus[30] :
pulsu pectus tundite vasto. ([Sén.Troad.113-114]Troy.113-114)
Vertite planctus :
Priamo vestros fundite fletus. ([Sén.Troad.130-131]Troy. 130-131)
Felix Priamus :
felix quisquis bello
moriens
omnia secum consumpta tulit ([Sén.Troad.161]Troy. 161)
La spécificité de ces
monomètres initiaux, extraits d’un commos des Troyennes, saute
aux yeux ; on remarquera qu’ils forment une proposition indépendante.
Zwierlein admet aussi celui-ci :
Quod fuit huius
pretium cursus ? B
Aurea pellis
maiusque mari Medea malum,
merces prima digna carina. ([Sén.Med.361-363]Méd. 361-363)
Toutefois, la réponse
est si liée à la question que le monomètre – si la colométrie est
exacte – semble avoir une valeur continuative. L’inévitable monomètre Iura
pudorque ([Sén.Agam.79]Agamemnon,
vers 79) suit lui aussi une proposition interrogative, Impia quas non
arma fatigant ? Avec de la bonne volonté, on peut le légitimer par une
motivation rhétorique. Le dépit du chœur face à la disparition du droit et de
la retenue serait rendu par la scission du groupe cohérent Iura pudorque et
coniugii sacrata fides, scission mise en relief par la brevis in longo
et l’hiatus interlinéaire. Si on écarte la motivation rhétorique, on se gardera
de justifier par ce cas isolé[31] des monomètres initiaux sans motivation
rhétorique. Le
détachement de iura pudorque ne peut être mis, au point de vue
stylistique et rhétorique, sur le même plan que non Euxini | turget
ab imis commota vadis (Agamemnon, vers 66-67)[Sén.Agam.66-67]
ou et cum in pastus | armenta vagos vilia currant (Agamemnon,
vers 98-99)[Sén.Agam.98-99]. Dans [Sén.Phaedr.
356-357]Phèdre, vers 356-357, j’envisagerais la
colométrie de Fitch, Quid plura canam ? | Vincit saevas cura
novercas, non pour établir un « dimètre cohérent », mais parce
que cette distribution met mieux en valeur la rhétorique du passage. La
coexistence, au sein même du thrène alterné des [Sén.Troad.]Troyennes, des deux
types de monomètres initiaux, pose un problème de cohérence stylistique,
l’effet du monomètre initial Ite ad planctus (vers 79)[Sén.Troad.79]
n’est-il pas gâché par l’interférence du monomètre initial inexpressif ex
quo tetigit (vers 69[Sén.Troad.69]),
Vertice planctus ([Sén.Troad.130]vers 130)
par umerisque tuis ([Sén.Troad.127]vers 127) ?
La cohérence et l’efficacité stylistique suggèrent ici l’existence de deux
types distincts de monomètres, le monomètre complétif et le monomètre initial
expressif. D’un point de vue plus général, si l’on admet que Sénèque a disposé sous
forme de dimètre suivi d’un monomètre ce qui forme, du point de vue de
l’organisation du discours, un trimètre, alors, puisque la correspondance entre
vers et organisation du discours peut exister au niveau de la combinaison
dimètre + monomètre, pourquoi Sénèque aurait-il recouru à la combinaison
monomètre + dimètre, sinon dans des cas où la position du ou des mots formant
le monomètre initial se justifiait ?
La structure du commos
des Troyennes ([Sén.Troad.67-163]vers 67-163)
est la suivante : 30 (Chœur) + 32 (Hécube) + 32 (Chœur) + 30 (Hécube) + 20
(Chœur) + 29[32]
(Hécube) + 15 (Chœur + Hécube ?) mètres anapestiques, distribués, selon la
colométrie de Zwierlein, en 16 + 19 + 18 + 17 + 11 + 16 + 8 vers, et, selon
celle de Fitch, en 17 + 19 + 18 + 19 + 11 + 16 + 9 vers – distribution qui
brouille davantage l’équilibre apparu dans le calcul des mètres.
Voici la façon dont,
selon Fitch[33],
Sénèque a distribué les vers du thrène parodique de l’Apocolocyntose[Sén.Apocol.12]
(12) :
Fundite fletus, edite planctus, |
resonet tristi clamore forum : |
cecidit pulchre cordatus homo, |
quo non alius
fuit in toto | fortior orbe. 5
Ille citato | uincere cursu
poterat celeris, |
ille rebelles fundere
Parthos |
leuibusque sequi
Persida telis, |
certaque manu tendere
neruum, |
qui praecipites
uulnere paruo | 10
figeret hostes
pictaque Medi | terga
fugacis,
ille Britannos |
ultra noti litora
ponti |
et caeruleos scuta
Brigantas | 15
dare Romuleis colla
catenis |
iussit et ipsum
noua Romanae | iura
securis
tremere Oceanum. |
Deflete uirum,
quo non alius |
potuit citius discere causas, |
una tantum parte
audita, | 20
saepe neutra[34].
Quis nunc iudex |
toto lites audiet
anno ? |
Tibi iam cedet sede
relicta |
qui dat populo iura
silenti, |
Cretaea tenens oppida
centum. | 25
Caedite maestis
pectora palmis |
O causidici, uenale
genus, |
uosque poetae lugete
noui, |
uosque in primis
qui concusso | magna
parastis 30
lucra fritillo. |
Ne pouvant croire
qu’une colométrie aussi peu en accord avec le mouvement et la construction du
texte se fonde sur des principes justes, je lui opposerais cette colométrie,
qui fait apparaître la structure tripartite en 9 + 26 + 26 mètres anapestiques
distribués en 5 + 14 + 14 vers :
Fundite fletus, edite planctus,
resonet tristi clamore forum :
cecidit pulchre cordatus homo,
quo non alius fuit in toto
fortior orbe. 5
Ille citato uincere cursu
poterat celeris,
ille rebelles fundere
Parthos
leuibusque sequi
Persida telis,
certaque manu tendere
neruum,
qui praecipites
uulnere paruo 10
figeret hostes
pictaque Medi terga
fugacis.
Ille Britannos ultra
noti
litora ponti
et caeruleos scuta
Brigantas
dare Romuleis colla
catenis 15
iussit et ipsum noua
Romanae
iura securis tremere Oceanum.
Deflete uirum, quo non alius
potuit citius discere causas,
una tantum parte
audita, 20
saepe neutra.
Quis nunc iudex toto
lites
audiet
anno ?
Tibi iam cedet sede relicta
qui dat populo iura
silenti,
Cretaea tenens oppida
centum. 25
Caedite maestis
pectora palmis
O causidici, uenale
genus,
uosque poetae,
lugete, noui,
uosque in primis qui
concusso
magna parastis
lucra fritillo. 30
Des deux dimètres de
la fin, rapprocher[Sén.Med.301-302]
Médée, vers 301-302, dans la colométrie transmise et adoptée par
Zwierlein et par… Fitch : Audax nimium qui
freta primus | rate tam fragili perfida rupit. Le dimètre qui
concusso magna parastis (vers 29-30[Sén.Apocol.12,29-30]) introduit par
Fitch ne satisfait guère à ses propres principes[35].
D’après son découpage, vosque in primis serait un « monomètre continuatif »,
suivi d’un dimètre et d’un monomètre complétif. Comparer[Sén.Agam.316-318] Agamemnon,
vers 316-318, dans la colométrie strophique de E :
quaeque Erasini
gelidos fontes,
quaeque Eurotan,
quaeque virenti
tacitum ripa
bibis Ismenon.
Comme autre type de
monomètre continuatif, je citerai Hercule Furieux,[Sén.Herc.Fur.1063-1064]
vers 1063-1064[36] :
Solvite tantis animum
monstris,
solvite, superi[37].
Une autre variété rare
serait le « monomètre incomplètement complétif » de la colométrie de
Zwierlein dans[Sén.Agam.66-68]
Agamemnon, vers 66-68 :
non Euxini turget ab
imis
commota uadis
unda niuali uicina
polo,
et dans Hercule
Furieux, vers 1126-1128 :[Sén.Herc.Fur.1126-1128]
iam tamen ausi telum
Scythicis
leve corytis
missum certa librare
manu.
Ailleurs, le dimètre
et le monomètre complétif enferment un groupe de mots plus cohérent. Fitch met
en tête les monomètres inexpressifs non Euxini et iam tamen ausi,
et obtient deux dimètres consécutifs ; chacun d’eux est formé d’un groupe
de mots dont la cohérence est relative (commota…| unda ; telum…
| missum).
La colométrie adoptée
par Fitch dans[Sén.Agam.340sqq.]
Agamemnon, vers 340 et suivants, paraît nuire à la symétrie des
invocations aux vers [Sén.Agam.347sqq.]347
et suivants du chœur, symétrie matérialisée par la colométrie de Zwierlein,
identique, semble-t-il, à celle de A :
Tibi multifora tibia
buxo
sollemne canit […] ([Sén.Agam.348]Agam. 348)
Tuque, o magni gnata
Tonantis,
incluta Pallas […] ([Sén.Agam.356-357]Agam.356-357)
Et te Triviam nota
memores
voce precamur […] ([Sén.Agam.367-368]Agam.367-368)
Tuque ante omnis,
pater ac rector
fulmine pollens […] ([Sén.Agam 382-383]Agam. 382-383).
Ce qui est, selon Fitch :
Tibi multifora tibia
buxo
sollemne canit […]
Tuque, o magni gnata
Tonantis,
incluta Pallas […]
Et te Triviam
nota memores voce precamur […]
Tuque ante omnis
pater ac rector
fulmine pollens […]
De même, dans[Sén.Thyest.825-826]
Thyeste, vers 825-826, la colométrie de Fitch :
non succedunt
astra nec ullo micat
igne polus,
non Luna gravis
digerit umbras,
perturbe l’anaphore
mieux dégagée chez Zwierlein :
non succedunt astra
nec ullo
micat igne polus,
non Luna gravis
digerit umbras.
Dans l’ensemble, la
colométrie de Fitch reflète non l’organisation rhétorique, mais une exigence de
correspondance entre dimètres et unités de discours qui, dans son principe et
son application systématique, relève d’un formalisme grammatical[38]
et semble contraire aux effets architectoniques, stylistiques et rhétoriques
que Sénèque paraît rechercher, et, au fond, étrangère à la poésie latine qu’il
connaît et compose par ailleurs. La colométrie incriminée satisfait
l’aspiration de l’esprit à l’unité et à la systématicité, mais elle fait
violence à la matière littéraire qu’elle prétend ordonner et la défigure
souvent. En fait, dans les anapestes de Sénèque, la
« sense-correspondence » n’est ni absolue ni uniforme – aussi
peu uniforme que le style. Opposons, dans l’ouverture de Phèdre, la
prière d’Hyppolite, dont le caractère rituel et formulaire est bien exprimé par
la stricte coïncidence des vers et des membres grammaticaux :
Quidquid solis
pascitur arvis, 66
sive illud Arabs
divite silva, 67
sive illud inops
novit Garamans 68
vacuisque vagus
Sarmata campis, 71
sive ferocis iuga Pyrenes 69
sive Hyrcani celant
saltus, 70
arcus metuit, Diana,
tuos. 72
([Sén.Phaedr.66-72]Phèdre 66-72)
71 traiecit Leo || vacuisve Bentley
et la fougue lyrique
des instructions cynégétiques que donne le même Hippolyte à ses
serviteurs :
Hac, hac alii qua
nemus alta
texitur alno, qua
prata iacent 10
uae rorifera mulcens
aura
Zephyrus vernas evocat herbas,
ubi per graciles
levis Ilisos
labitur agros piger
et steriles
amne maligno radit
harenas. 15
([Sén.Phaedr.9-15]Phèdre 9-15)
Ici, la
non-coïncidence entre vers et membres est un instrument stylistique, et une
colométrie qui cherche à la réduire, sans pouvoir y parvenir complètement
– preuve de l’inadéquation de son principe fondateur – paraît être un
contresens :
Hac, hac alii
qua nemus alta
texitur alno,
qua prata iacent 10
quae rorifera mulcens
aura
Zephyrus vernas evocat herbas,
ubi per graciles
levis Ilisos labitur
agros
piger et steriles
amne maligno radit
harenas. 15
Si Sénèque avait suivi
le principe qui sous-tend la démarche de Fitch, je gage que le style de ses
parties anapestiques serait moins varié et qu’il n’eût pas composé le passage
qu’on vient de lire[39].
Mais, bien sûr, il ne faudrait pas substituer à un système rigide un autre
système tout aussi rigoureux : la colométrie doit être établie au cas par
cas, en confrontant dans chaque lieu les principes présumés de distribution des
dimètres et monomètres au mouvement rhétorique, à divers faits de style et de
forme (allitération, rimes, architecture du morceau par exemple). Certes, la
dimension arbitraire et subjective sera plus grande, mais l’élimination de
cette dimension se ferait au détriment de la plausibilité : l’art du poète
n’est pas rigide. Tentons maintenant l’« archéologie » des anapestes
de Sénèque.
La tradition attribue
à Aristophane de Byzance, né entre 258 et 255 avant J.-C. et mort vers 180
avant J.-C., la colométrisation de la poésie lyrique auparavant présentée
comme de la prose. La présentation du texte des Perses de
Timothée[Tim.Pers.] dans un papyrus de la seconde moitié du IVe siècle
tend à confirmer cette tradition, même si certains pensent qu’un seul homme ne
pouvait établir la colométrie d’un corpus aussi vaste. Ils entendent donc par
Aristophane de Byzance Aristophane et son équipe. On peut dire que le souci de
faire apparaître dans un texte écrit la structure métrique de leurs
compositions est étranger aux lyriques grecs pré-alexandrins. Les érudits
alexandrins qui ont édité les lyriques grecs ont pourvu les poèmes lyriques,
les anapestes déclamés et les parties lyriques du drame d’une distribution en
cola ou en vers dont les métriciens modernes peuvent prouver qu’elle reflète
imparfaitement la véritable composition métrique. Un exemple est la strophe
sapphique. Pour Alcée et Sappho, elle comprend trois vers, deux vers de onze
syllabes et un vers de seize syllabes[40].
Les éditeurs alexandrins ont disposé sur deux lignes le vers de seize syllabes.
Ils n’ont pas procédé ainsi parce que la longueur excessive de ce vers
compromettait la mise en page ou plutôt en colonne. En effet, un hexamètre
dactylique tel que οἶδέ τε καὶ
δεδάηκε·φυήν
γε μὲν οὐ κακός
ἐστι,[Hom.Od.8,134](Odyssée, 8, 134) comprend dix-sept syllabes
et tenait sur une ligne dans les éditions alexandrines[41].
En réalité, le métricien alexandrin a observé : 1) qu’après la
onzième syllabe il y avait une fin de mot, que l’on constate dans tous les
fragments d’Alcée connus à ce jour et qui est beaucoup plus fréquente que la
synaphie verbale dans ceux de Sappho ; 2) que la onzième syllabe est
selon les cas longue ou brève. Cette syllabe longue ou brève n’est pas la brevis
in longo qui marque la fin de vers, mais la syllaba anceps
caractéristique du début des cola éoliens ou, comme on dit, de la base
éolienne. Le métricien alexandrin s’est-il trompé là-dessus et s’est-il fondé
sur la fin de mot très fréquente et sur une apparente brevis in longo
pour identifier deux vers indépendants ? Pourtant, la pièce qu’il a
lui-même placée en tête du recueil des poèmes de Sappho contient un premier
exemple où la onzième syllabe du troisième vers, brève, est une syllabe
intérieure : πύκνα
δίννεντες
πτέρ' ἀπ'
ὠράνωἴθε-ρoς
διὰ μέσσω·([Sapph.1,11-12]vers 11-12).
L’éditeur alexandrin a-t-il voulu non distinguer deux vers indépendants, mais
mettre en évidence deux cola, dont le premier est un hendécasyllabe identique
aux deux premiers vers de la strophe sapphique et le second l’adonien
familier ? Le métricien qui croit que le troisième et dernier vers de la
strophe sapphique est composé d’un hendécasyllabe et d’un adonien se trompe.
Cette analyse est une description formelle qui laisse échapper le fond des
choses. Si elle était juste, la dernière syllabe du premier colon ne pourrait
être une syllabe brève. Donc, que l’éditeur alexandrin ait voulu distinguer des
vers ou des cola, dans les deux cas il s’est trompé. Quoi qu’ait voulu faire cet
éditeur, Horace, qui lit les strophes sapphiques d’Alcée dans l’édition
alexandrine, a pris chaque ligne pour un vers[42].
La preuve en est qu’il a admis quatre fois ([Hor.C.1,2,47-48]1, 2 , vers 47-48
; [Hor.C.1,12,
7-8et31-32]12, vers 7-8 et vers 31-32 ; [Hor.C.1,22, 15-16]22,
vers 15-16), entre le troisième hendécasyllabe et l’adonien, l’hiatus permis d’un
hendécasyllabe à l’autre. La nature métrique et rythmique de la strophe
sapphique était inconnue d’Horace ; inconnue lui était aussi la musique
sur laquelle Alcée chantait ses poèmes[43].
L’imitation par Horace, et a fortiori Sénèque, des formes lyriques de la
poésie grecque est toute livresque et formelle. Ce formalisme peut être
paradoxal : Horace, qui admet quatre fois l’hiatus et douze fois (quatre
fois dans[Hor.C.1]
Odes 1, trois fois dans [Hor.C.2]2, trois fois dans 3[Hor.C.3], deux
fois dans 4[Hor.C.4])
la brevis in longo caractéristiques de la fin d’un vers entre le
troisième hendécasyllabe et l’adonien, y observe six fois fois la synaphie
verbale ([Hor.C.1,2,19-20]1,
2, 19-20 u|xorius ; [Hor.C.1,25,11-12]25, 11-12 inter|lunia ;
[Hor.C.2,16,7-8]2,
16, 7-8 ve|nale ; [Hor.C.3,27,59-60]3, 27, 59-60 e|lidere ;
[Hor.C.4,2,23-24]4,
2, 23-24 nigroque [élision] | invidet Orco ; [Hor.C.S.47-48]Chant
Séculaire, 47-48, prolemque [élision] | et decus omne) !
Dans [Hor.C.3,12]Odes,
3, 12, Horace reproduit la colométrie alexandrine d’un poème d’Alcée[Alc.frg.10Voigt,Liberman]
(fragment 10 Voigt, Liberman) en ioniques mineurs sans voir qu’en réalité
le poème se compose de strophes faites non d’un tétramètre suivi de deux
trimètres, mais, comme le perçoit Héphestion[44],
d’une série de dix mètres ioniques[45].
Un fait indique l’erreur d’Horace : les cas où la fin de mot après un
mètre n’est pas respectée – notamment les cas que n’excuse pas la
séparation, par exemple, d’un préverbe et d’un verbe – se concentrent dans
les deux derniers mètres de chaque ligne[46] :
Miserarum est|
neque amori | dare ludum | neque dulci
mala vino | lavere,
aut ex|animari
metuentis | patruae ver|bera
linguae.
Tibi qualum |
Cythereae | puer ales, | tibi telas
operosae|que Minervae | studium aufert,
Neobule, | Liparei | nitor Hebri,
Simul unctos | Tiberinis | umeros la|vit in undis,
eques ipso | melior Bel|lerophonte,
neque pugno | neque segni | pede victus,
catus idem | per apertum | fugientis | agitato
grege cervos |
iaculari et | celer arto
latitantem |
fruticeto ex|cipere aprum.
On remarquera que la
convergence entre vers et groupes de mots cohérents n’a rien de systématique
dans ce poème rédigé dans un mètre dont le fonctionnement (diérèse, ensembles
cohérents de plusieurs vers certes plus longs) n’est pas éloigné de celui des
anapestes.
Si les poètes grecs ne
se préoccupaient pas de faire apparaître dans un texte écrit la structure de
leur métrique naturelle et vivante, il était en revanche essentiel pour Horace
et Sénèque, leurs imitateurs, que le texte écrit manifeste la structure de leur
métrique artificielle. Le comble de l’artificialité est atteint dans les ἀπολελυμένα, ou
morceaux lyriques astrophiques, d’Œdipe[Sén.Oedip.] et d’Agamemnon[Sén.Agam.][47].
Sénèque y reproduit, semble-t-il, l’aspect extérieur de la colométrie
alexandrine, transformant en vers indépendants des cola en synaphie. Soit ce
passage d’un chœur d’Œdipe[Sén.Oedip.724-734],
vers 724-734 :
725 protulit tellus – 727bis superatque pinus
ita descripsit A : protulit… imis | vallibus… circa | robora… pinus
E || 727 circa Reeve : supra EA || superatque E :
supraque A superasque Liberman || 728 delevit Fr. Leo
|| 729 er. caer. E : caer. er. A || 734 post aere
lacunam posuit Leo || 735-737 ita descripsit Leo : elisit…
linguas | a. – ignotae | clamore… experti EA || 735 agiles et ora
E : alias et arma A || 736 vocis ignotae EA :
ignota vocis Liberman (primum col. Alc. bis, ut v. 844).Sensus est « clamore experti sunt linguas antea
non agiles et ora antea vocis ignara » ; de ignotus sensu activo cum gen., cf. TLL VII,
1.324, 66 || 737 an lacuna ponenda post hunc versum ?
À y bien regarder, on
s’aperçoit qu’à côté de vers bien connus (asclépiade mineur, glyconien,
hendécasyllabes alcaïque et sapphique), il en est d’autres que Sénèque a bâti
en renversant l’ordre des cola[48]
qui constituent l’hendécasyllabe sapphique ou en unissant un colon de
l’hendécasyllabe sapphique à un autre colon de l’hendécasyllabe alcaïque. Les
cola constitutifs de vers plus grands peuvent former de petits vers
indépendants. On retrouve dans ce poème les vers employés par Horace dans les Odes
[Hor. C.] ou les cola
délimités dans ces vers par les fins de mot généralisées (signalées ci-dessus
par les barres verticales). On est loin de la variété des cola individualisés
par la colométrie alexandrine. Je remarque l’analogie entre, d’un côté, les
dimètres et les monomètres anapestiques et, de l’autre, les dicola et les cola
employés dans les ἀπολελυμένα de Sénèque.
On ne trouve dans ces compositions aucun tricolon, qui serait l’analogue du
trimètre anapestique supposé ; il serait absurde de distribuer les vers de
ces cantica non en dicola et en cola, mais exclusivement en cola
analogiques des monomètres anapestiques, seuls utilisés par Sénèque selon
Lucien Müller. Dans l’extrait transcrit ci-dessus, les petits cola ont le
caractère complétif de tant de monomètres anapestiques. Je trouve dans les ἀπολελυμένα quelques
cola initiaux[49], dont
celui-ci, tiré d’un chœur d’Agamemnon (vers 821-823[Sén. Agam. 821-823]),
est certifié :
ita descripsit Leo : stella quae mutat seque mirata est |
Hesperum… movet | ad… vices | caput… seni | collum marito E stella… est
| Hesperum… movit | ad… relabens | imposuit… mariti A || 822 movit A :
movet E || 823 seni collum marito E : senis humero
mariti A.
Dans la colométrie de
Zwierlein, deux cola appartenant à une phrase ou à un ensemble cohérent forment
un dicolon. Si l’on posait que tout dicolon doit former un groupe cohérent du
point de vue du sens, alors un certain nombre de dicola devraient être scindés
en deux cola. On peut ainsi opposer, dans [Sén.Agam.824-826]Agamemnon,
vers 824-826, la colométrie de E :
Sensit ortus, sensit
occasus,
Herculem nasci :
violentus ille
nocte non una poterat
creari,
à celle de A :
Sensit ortus, sensit
occasus,
Herculem nasci :
violentus ille
nocte non una poterat
creari.
Hélas, ni la brevis
in longo ni l’hiatus ne certifient une telle succession de deux cola,
analogique de la succession de deux monomètres résultant de la scission d’un
dimètre. Mais un dicolon doit-il toujours être formé d’un groupe
cohérent ? Aucune colométrie n’arrivera à éliminer d’une manière plausible
le dicolon « non cohérent » formé par Agamemnon, vers 822,
ad solitas vices caput, et relabens,[Sén.Agam.822] ou par Œdipe, vers 486,
Proetidas silvas petiere, et Argo[Sén.Œdip.486]. De même, dans les séries
d’hendécasyllabes sapphiques, ladite cohérence est une tendance, non une règle
(voir par exemple [Sén.Troad.830]Troyennes,
vers 830, tertius caelo gradus ? Hic recumbens).
Quelle utilisation les
tragiques grecs faisaient-ils des anapestes ? Je laisse la parole à Henri
Weil[50] :
« Il ne suffit pas de distinguer les vers chantés des vers simplement
déclamés. Il y avait un troisième débit intermédiaire, celui des vers dont la
déclamation était mesurée par un accompagnement musical. Parmi les mètres qui
se prêtaient à cette espèce de débit (la παρακαταλογή), il faut nommer en premier lieu les systèmes
anapestiques, si fréquents dans les drames grecs. [...] Cependant, il y a aussi
des anapestes chantés : on les reconnaît à certaines libertés métriques[51]
et aux formes du dialecte dorien, qui était devenu la marque de la poésie
chorique depuis que les grands poètes doriens l’avaient portée à sa
perfection. »
Les systèmes anapestiques[52]
sont une suite, à fin catalectique, de mètres ou dipodies[53]
anapestiques en synaphie prosodique dont le nombre est pair ou impair. Ainsi,
les anapestes de la parodos des Perses d’Eschyle[A.Pers.1-6]
forment neuf systèmes qui comptent respectivement treize, quinze, dix, quinze,
huit, seize, seize, dix-neuf et onze mètres. Voici comment le premier système
se présente dans l’édition de Martin West[54] (19982) :
Τάδε μὲν
Περσῶν τῶν
οἰχομένων
῾Ελλάδ’
ἐς αἶαν πιστὰ
καλεῖται,
καὶ τῶν
ἀφνεῶν καὶ πολυχρύσων
ἑδράνων
φύλακες,
κατὰ
πρεσβείαν οὓς
αὐτὸς ἄναξ
Ξέρξης
βασιλεὺς
Δαρειογενὴς
εἳλετο
χώρας
ἐφορεύειν.
Une telle disposition
a pour avantage de faire ressortir l’unité du système. Elle fait aussi
ressortir, à l’intérieur du système, des groupes syntaxiquement ou
stylistiquement cohérents qui occupent deux ou trois mètres. Néanmoins αὐτὸς
ἄναξ Ξέρξης
βασιλεὺς
Δαρειογενὴς forme un groupe cohérent que la disposition adoptée
par West disloque. Quoi qu’il en soit de cette disposition, ce n’est pas celle que
Sénèque pouvait connaître. Il pouvait lire ces vers d’Eschyle comme ils étaient
disposés dans l’édition alexandrine et, plus ou moins, je présume, comme nous
les lisons dans les manuscrits byzantins[55],
c’est-à-dire ainsi :
Τάδε μὲν
Περσῶν τῶν
οἰχομένων
῾Ελλάδ’ ἐς
αἶαν πιστὰ
καλεῖται,
καὶ τῶν
ἀφνεῶν καὶ
πολυχρύσων
ἑδράνων
φύλακες, κατὰ
πρεσβείαν
οὓς αὐτὸς
ἄναξ Ξέρξης
βασιλεὺς
Δαρειογενὴς
εἳλετο
χώρας
ἐφορεύειν.
Voici comment, je
présume, il pouvait lire le cinquième système, qui compte un nombre pair de
mètres anapestiques [A.Pers.29-32]:
᾿Αρτεμβάρης
θ’ ἱππιοχάρμης
καὶ
Μασίστρης,
ὅ τε
τοξοδάμας
ἐσθλὸς
᾿Ιμαῖος
Φαρανδάκης
θ’,
ἵππων τ’
ἐλατὴρ
Σοσθάνης.
L’éditeur alexandrin
aura distribué les anapestes des systèmes par dimètres et monomètres, le
système se terminant par un dimètre catalectique (le parémiaque). Sénèque
laisse de côté le dimètre catalectique, mais il reproduit le mélange de
dimètres et de monomètres[56],
de telle manière que dimètres et monomètres constituent des vers indépendants.
Les systèmes anapestiques des tragédies de la Rome républicaine et des Ménippées
de Varron[57] ne
semblent pas avoir été différents de ceux des tragédies grecques. Autant que je
sache, la colométrie des manuscrits de Plaute ne fait pas apparaître de
monomètres dans les systèmes anapestiques.
Les trimètres
n’existent pas dans la colométrie alexandrine des systèmes anapestiques, telle
que nous pouvons la connaître : voilà un argument de plus contre leur
introduction chez Sénèque. Quant à la correspondance entre mètre et phrase, la
colométrie alexandrine, autant qu’on puisse en juger, semble avoir tendu à
transformer en unité métrique ce qui, dans la composition des poètes, était une
unité stylistique[58]. En
effet, les tragiques grecs ont tendance à enclore un groupe de mots cohérent
dans deux ou trois mètres anapestiques, ce qui n’étonne guère si, tout en
restant dans la sphère des vers récités, l’on rapproche du dimètre anapestique
(douze syllabes dans sa forme pure), en tant qu’unité stylistique, le trimètre
iambique (douze syllabes dans sa forme pure), en tant qu’unité
métrico-stylistique, et du trimètre anapestique (dix-huit syllabes dans sa
forme pure) l’hexamètre dactylique (dix-sept syllabes dans sa forme pure). Les
huit mètres anapestiques du cinquième système de la parodos des Perses
n’ont pas été distribués en quatre dimètres : le monomètre καὶ
Μασίστρης – qui amenait nécessairement le second, car la
dernière ligne est toujours un dimètre catalectique – évite de diviser le
groupe ὅ τε
τοξοδάμας
ἐσθλὸς
᾿Ιμαῖος. Mais le premier système de la parodos des Perses
fait apparaître un dimètre peu « cohérent ». En effet, on a[A.Pers.4-5] :
καὶ τῶν
ἀφνεῶν καὶ
πολυχρύσων
ἑδράνων
φύλακες, κατὰ
πρεσβείαν
et non :
καὶ τῶν
ἀφνεῶν καὶ
πολυχρύσων
ἑδράνων
φύλακες,
κατὰ
πρεσβείαν
οὓς αὐτὸς
ἄναξ Ξέρξης
βασιλεὺς
Δαρειογενὴς
εἳλετο
χώρας
ἐφορεύειν.
Cette dernière
colométrie produit une suite de deux monomètres, dont je ne connais pas
d’exemple dans la colométrie transmise du drame grec.
Il est rare, dans la colométrie transmise du drame grec, qu’un système
commence par un monomètre. C’est le cas dans la Médée d’Euripide [E.Med.1081-1089](vers 1081-1089) :
Πολλάκις
ἤδη
διὰ
λεπτοτέρων
μύθων ἔμολον
καὶ πρὸς
ἁμίλλας ἦλθον
μείζους
ἢ χρὴ
γενεὰν θῆλυν
ἐρευνᾶν·
ἀλλὰ γὰρ
ἔστιν μοῦσα
καὶ ἡμῖν,
ἣ προσομιλεῖ
σοφίας ἕνεκεν·
πάσαισι
μὲν οὔ παῦρον
δὲ τι δὴ
γένος ἐν
πολλαῖς
εὕροις ἂν ἴσως
κοὐκ
ἀπόμουσον τὸ
γυναικῶν.
Le détachement du
monomètre initial amène dans les dimètres (sauf πάσαισι
μὲν οὔ· παῦρον δὲ τι δὴ) la correspondance prisée par John Fitch. Telle est, ce semble, la
colométrie des manuscrits byzantins, mais le système a dû se présenter ainsi
dans un papyrus de la fin de l’Antiquité (Mertens-Pack3 407) dont nous avons un fragment :
Πολλάκις
ἤδη διὰ
λεπτοτέρων
μύθων
ἔμολον καὶ
πρὸς ἁμίλλας
ἦλθον
μείζους ἢ χρὴ
γενεὰν
θῆλυν
ἐρευνᾶν·ἀλλὰ
γὰρ ἔστιν
μοῦσα καὶ
ἡμῖν, ἣ
προσομιλεῖ
σοφίας
ἕνεκεν·
πάσαισι μὲν οὔ
παῦρον δὲ τι δὴγένος
ἐν πολλαῖς
εὕροις ἂν
ἴσως
οὐκ
ἀπόμουσον τὸ
γυναικῶν.
A. M. Dale[59]
illustre par cet exemple l’idée que, dans un système au nombre de mètres
impair, le choix du monomètre isolé était affaire de goût. La colométrie du
papyrus malmène la correspondance entre vers et discours, mais elle introduit
avant le dimètre catalectique un monomètre, que l’on nomma παρατέλευτον[60] et dont on rechercha la présence. De ces deux
colométries, laquelle représente fidèlement la colométrie alexandrine ?
Est-ce celle des manuscrits byzantins, la colométrie du papyrus visant à
restituer le παρατέλευτον ? Mais la colométrie alexandrine était-elle
elle-même cohérente et constante ? Il y a de quoi en douter, si la
colométrie des manuscrits byzantins reflète bien la colométrie alexandrine. La
colométrie des manuscrits dégage un monomètre initial au vers 1081 de la Médée[E.Med.1081],
mais, dans les[A.Pers.140-143] Perses, vers 140-143, elle
dégage un dimètre initial suivi d’un monomètre :
Ἀλλ' ἄγε,
Πέρσαι, τόδ'
ἐνεζόμενοι
στέγος
ἀρχαῖον,
φροντίδα
κεδνὴν καὶ
βαθύβουλον
θώμεθα,
χρεία δὲ
προσήκει ||
et non l’inverse :
Ἀλλ' ἄγε,
Πέρσαι,
τόδ'
ἐνεζόμενοι
στέγος
ἀρχαῖον.
Il y a donc dans la
colométrie transmise des flottements. Dans quelle mesure faut-il les attribuer
à la colométrie alexandrine ? Il se peut que cette dernière ait subi des
modifications gommant la convergence entre vers et discours. Mais cette
convergence ne pouvait être absolue : la tendance à former des groupes cohérents
de deux ou trois mètres n’étant chez les poètes grecs qu’une tendance, ne
pouvait donner lieu à une distribution en dimètres et monomètres entièrement
satisfaisante du point de vue de la convergence entre groupes de mots cohérents
et unités métriques. Pour peu que la notion de système anapestique ne fût pas
étrangère au colométricien alexandrin[61],
alors dimètres et monomètres ne représentaient pas des vers indépendants à ses
yeux ; s’il n’avait pas pleinement conscience du caractère arbitraire de
toute distribution, du moins sa valeur relative ne pouvait lui échapper :
de là peut-être une certaine indifférence et un certain flottement entre des
réalisations différentes de la distribution en dimètres et monomètres. Sénèque
a fort bien pu étendre la tendance qu’il percevait dans les textes grecs à
enclore dans des dimètres les groupes de mots cohérents couvrant deux mètres.
A-t-il pu s’en faire une règle ? Je crois qu’une telle radicalisation eût
été à la fois trop contraire aux principes de la versification latine et
insuffisamment appuyée par la colométrie des anapestes grecs. Cette colométrie
saurait encore moins expliquer la multiplication des monomètres initiaux
inexpressifs.
Ce qui frappe avant
tout le métricien qui compare les anapestes de Sénèque à ceux de la tragédie
grecque, c’est l’abandon total de la catalexe, que Gottfried Hermann condamna
avec la plus grande vigueur[62].
Toujours est-il que l’absence de catalexe peut se rencontrer dans les anapestes
chantés de la tragédie grecque[63]
et qu’elle est bien attestée dans les systèmes anapestiques de Plaute[64].
Sénèque fut-il le premier dramaturge à abandonner totalement la catalexe dans
les vers anapestiques[65]?
On ne saurait l’affirmer, mais cela paraît plausible : Sénèque aurait pris
à l’égard des anapestes les libertés qu’il a prises avec d’autres vers[66].
Admettons que ce soit exact : quelle est la raison de ce renoncement
absolu[67]?
La catalexe se justifie dans le cadre du système anapestique dont elle marque
le terme. Or, Sénèque conçoit dimètres et monomètres comme des vers
indépendants. La catalexe a alors moins de raison d’être. Mais, il est vrai,
Sénèque pouvait conserver le dimètre catalectique comme clausule fermant une
succession de dimètres entrelardés ou non de monomètres. Ainsi, le dernier
chœur de Médée (vers 849-878)[Sén.Med.849-878] est fait de trois
ensembles de dimètres iambiques catalectiques (au nombre de huit, sept et douze
respectivement) dont chacun se termine par une tripodie iambique acatalectique,
qui n’est autre que le dimètre iambique acatalectique moins la dernière syllabe
(detractio[68]). Cet
exemple nous met peut-être sur la voie de l’explication du rejet du dimètre
anapestique catalectique par Sénèque : ce vers ampute d’une syllabe le
dimètre acatalectique, mais son dernier pied, ˘˘ - x ou - - x,
semble ajouter une syllabe au dernier pied du dimètre acatalectique, ˘
˘ x ou - x. Or,
dans le dernier chœur de Médée, nous voyons que le vers plus long est
(bizarrement) catalectique et se termine par ˘ - x, tandis que le vers plus bref est (bizarrement)
acatalectique et se termine par ˘ -. Qui sait si Sénèque, ignorant la nature de la
catalexe[69],
ne refusait pas d’introduire un ionique mineur (˘˘- -) et un molosse (- - -) apparents, mis en évidence par la diérèse, dans
une versification qui utilise l’anapeste et, à titre substitutif, le dactyle et
le spondée. Sénèque a-t-il aussi méconnu la nature du système anapestique et
pris pour des vers indépendants les dimètres et les monomètres en lesquels les
systèmes sont distribués ? Ou bien a-t-il volontairement et en toute
conscience renoncé au système anapestique pour ne plus utiliser, quel que soit
le vers, qu’un seul type de composition, la composition κατὰ στίχον ?
En tout cas, si le système anapestique avait représenté plus pour lui quelque
chose de vivant, à quoi correspondît la réalité matérielle du spectacle, je
crois bien qu’il ne l’aurait pas abandonné.
En un sens, toutefois,
le système et la catalexe n’ont peut-être pas totalement disparu des anapestes
de Sénèque. On en aurait comme une trace quand un ensemble de vers se termine
sur un second colon de dimètre ou un monomètre fait d’un dactyle et d’un
spondée ou (en cas de brevis in longo) d’un trochée[70] ;
cette fin rappelle la fin spondaïque ou (en cas de brevis in longo)
trochaïque du dimètre catalectique. Friedrich Leo[71],
quant à lui, croyait que le monomètre tenait lieu du dimètre catalectique et ne
l’admettait qu’en conclusion d’une succession de dimètres[72].
En réalité, si je ne me trompe, Sénèque utilise, d’un côté, le monomètre
complétif librement et, de l’autre, le monomètre initial très sporadiquement et
sous condition. Le statut et la prépondérance du monomètre complétif chez
Sénèque pourraient résulter de l’influence des combinaisons
« complétives » déjà solidement établies en latin (distique
élégiaque ; vers lyrique long + vers lyrique court) et d’une lecture de la
colométrie alexandrine influencée par ces mêmes combinaisons[73].
Quant au monomètre initial, son occurrence plus restreinte que celle du
monomètre complétif chez Sénèque serait conforme à la colométrie des textes
grecs qu’il pouvait consulter. La spécialisation du monomètre initial chez
Sénèque serait une conséquence de l’usage régulier du monomètre
complétif : un groupe cohérent de trois mètres étant normalement distribué
sur un dimètre suivi d’un monomètre, il était naturel de réserver le monomètre
initial à un usage particulier, par exemple celui qu’illustrent les cinq
monomètres déjà cités du « péan-thrène » des Troyennes.
Sénèque trouvait dans le drame grec cet usage « thrénétique » ou plus
généralement « pathétique » ; mentionnons Euripide, Iphigénie
en Tauride, vers 151-152[E.I.T.151-152] :
ὀλόμαν
ὀλόμαν·[74]
οὐκ εἴσ'
οἶκοι πατρῷοι
et [E.Hec.83-84]Hécube,
83-84 :
ἔσται τι
νέον·[75] B
ἥξει τι
μέλος γοερὸν
γοεραῖς.
Mais le monomètre
initial n’est pas nécessairement une proposition indépendante. Que l’on se
rappelle [Sén.Agam.79]Iura
pudorque dans Agamemnon, vers 79, et que l’on compare, dans un
thrène de l’Électre de Sophocle ([S.El.86 qq.]vers 86 et
suiv.) :
῏Ω φάος
ἁγνὸν
καὶ γῆς
ἰσόμοιρ' ἀήρ,
ὥς μοι
πολλὰς μὲν
θρήνων ᾠδάς,
πολλὰς δ'
ἀντήρεις
ᾔσθου κτλ.
si du moins telle fut
la colométrie alexandrine. Le
monomètre initial sénécien a, semble-t-il, une force expressive, qu’on ne
trouve pas dans ce passage que certains considèrent comme l’antistrophe ([S.El.103sqq.]vers 103 et suivant) et qui évoque la colométrie de Fitch :
Aλλ' οὐ
μὲν δὴ
λήξω θρήνων στυγερῶν τε γόων,
Citons également
Euripide, Iphigénie en Tauride, vers 123-125[E.I.T.123-125] :
Εὐφαμεῖτ',
ὦ
πόντου
δισσὰς
συγχωρούσας
πέτρας
᾿Αξείνου
ναίοντες.
Une telle colométrie
pouvait satisfaire les grammairiens alexandrins, mais non, je crois, Sénèque
poète, pour qui ils étaient des vers indépendants : pris pour tel, le
monomètre Εὐφαμεῖτ', ὦ avait
de quoi choquer le poète latin. En revanche, même si elle ne reflète pas la
composition métrique d’Euripide, la distribution ῏Ω
φάος ἁγνὸν | καὶ γῆς
ἰσόμοιρ' ἀήρ, était,
en terme de stylistique poétique, si j’ose dire, acceptable pour Sénèque.
On dit couramment, à
juste titre, que Sénèque utilise κατὰ στίχον,
c’est-à-dire comme des vers indépendants, non seulement le trimètre iambique,
mais aussi le dimètre et le monomètre anapestique, et tous les vers lyriques.
Néanmoins, plus il rédige avec soin, plus il évite la brevis in longo et
l’hiatus d’un vers à l’autre à l’intérieur d’un ensemble de dimètres et de
monomètres clos du point de vue du sens (cet ensemble est pour ainsi dire une
trace du système anapestique[76]).
Lorsqu’il les évite tout à fait, on obtient de quasi-systèmes anapestiques non
catalectiques. C’est le cas dans la longue, très belle et très travaillée
ouverture de Phèdre, [Sén.Phaedr.]où
Sénèque, entre autres morceaux de bravoure, exploite avec autant de
suggestivité poétique que d’érudition rare la toponymie de l’Attique. Mais ce
serait une illusion de croire que Sénèque compose là de véritables systèmes[77].
En effet, il évite l’hiatus et la brevis in longo parce qu’il croit les
voir évités chez ses modèles, non parce qu’il suit la composition des systèmes
anapestiques. S’il avait voulu composer des systèmes, il aurait observé la
catalexe et éliminé les cas peu nombreux (une quinzaine[78])
où l’on constate à l’intérieur de la phrase une violation de la synaphie
différente des violations excusées dans les systèmes grecs par une exclamation,
une interruption, un changement d’interlocuteur et une
« sense-pause »[79].
Sénèque limite aussi dans les parties lyriques non anapestiques le nombre
d’hiatus et de brevis in longo. Horace, qui considère la strophe
sapphique comme composée de quatre vers indépendants, donne cependant, par
imitation de son modèle, l’impression de rechercher la synaphie entre les vers
de la strophe[80].
C’est une habitude consacrée de considérer en bloc les anapestes de
Sénèque, sans distinguer différents types. Cette attitude me paraît juste si
l’on considère la fin de mot généralisée entre les mètres ou la composition des
pieds[81].
De ce point de vue, Sénèque a neutralisé la distinction établie dans la
tragédie grecque entre anapestes déclamés et anapestes chantés. Cette
neutralisation concerne-t-elle aussi la façon de dire les anapestes ?
Cette question est liée à celle de la destination des tragédies de
Sénèque : représentation, récitation, lecture ? Pour ma part, je
verrais volontiers un souvenir de la distinction entre anapestes chantés et
anapestes déclamés dans la différence que l’on peut, par exemple, constater
entre, d’un côté, les anapestes de l’ouverture de Phèdre [Sén. Phaedr.] et,
de l’autre, les anapestes thrénétiques du commos des [Sén.Troad.67-113]Troyennes,
vers 67-163, ou les anapestes jubilatoires du péan qui occupe les
vers 310-388 de[Sén.Agam.310-388]
l’Agamemnon. Différence d’êthos, mais aussi de technique :
nous avons vu dans les Troyennes cinq monomètres initiaux à caractère
thrénétique ; dans le péan de l’Agamemnon, la colométrie de E
distribue en série la combinaison dimètre + monomètre, qui, selon Louis Havet[82],
« fait une petite strophe de trois monomètres »[83].
Il faut aussi tenir compte de la chronologie des pièces : la concentration
dans l’Agamemnon de certaines particularités touchant la composition des
anapestes[84] peut
être liée au fait que c’est la première[85]
ou l’une des premières tragédies[86]
écrites par Sénèque, qui n’aurait pas encore mis au point sa technique. En tout
cas, on observe chez Sénèque, par rapport à la tragédie grecque, une extension
de l’emploi des anapestes ; elle atteint son terme dans l’apocryphe [Ps.Sén.Octav.]Octavie,
où les parties lyriques ne sont plus composées qu’en vers anapestiques.
Les anapestes de
Sénèque sont distribués par dimètres et monomètres. Un groupe de mots cohérent
du point de vue du sens tend à occuper le dimètre ou la combinaison dimètre +
monomètre complétif, exemple de la combinaison, bien attestée dans la
versification lyrique de Sénèque, d’un vers long et d’un vers court formant une
unité au point de vue du sens. Mais cette tendance n’a rien d’une règle en
fonction de laquelle il faudrait, quand c’est possible, redistribuer les
passages réfractaires. Les rares monomètres qui ne sont ni complétifs ni
continuatifs sont des monomètres initiaux qui ont une justification spéciale.
C’est ainsi que je décrirais à grands traits la colométrie la plus plausible.
Elle s’accorde avec la versification lyrique de Sénèque, avec les intentions
stylistiques et architectoniques de l’auteur, avec la façon dont on peut
raisonnablement penser qu’il a perçu et adapté les anapestes grecs.
[1] Le second volume est paru en 2004.
[2] À vrai dire, je crois qu’il en faudrait aussi un
sur les anapestes du drame grec.
[3] L’Octavie [Ps.Sén.Octav.]est certainement une
œuvre apocryphe : voir par exemple Pseudo-Sénèque, Octavie,
G. Liberman (éd.), Paris, 1998, p. XVIII-XXIV. Pour Hercule sur l’Œta, [Sén.Herc.Oet.]voir O. Zwierlein,
Kritischer Kommentar zu den Tragödien Senecas, Stuttgart, 1986,
p. 313-343. Les doutes
sur l’authenticité de l’Agamemnon [Sén.Agam.]appartiennent à un passé
révolu : voir F. Leo, De Senecae tragoediis observationes criticae,
Berlin, Weidmann, 1878, p. 89-134.
[4] La première parut à Leipzig en 1861.
[5] De re metrica petarum Latinorum,
p. 104. Comparer la première édition, p. 106. Comme en 1861,
L. Müller ignore F. Bothe ; de même en 1894, il ignore la
première édition critique scientifique des tragédies, due à R. Peiper et à
G. Richter (Leipzig, 1867). Si peu avenante que soit cette édition, elle
est libérée des monstres qui habitent celle de J. C. Schröder (Delft,
1728) où L. Müller lit Sénèque.
[6] Sur la notion de synaphie, voir J. Irigoin,
« Colon, vers et période (à propos d’un chœur des Nuées
d’Aristophane) », dans Mélanges W. J. W. Koster,
Amsterdam, 1967, p. 65-73 ; L. E. Rossi, « La
sinafia », dans Mélanges Anthos Ardizzoni, Rome, 1978,
p. 791-821.
[7] L. Strzelecki, « De rei metricae
Annaeanae origine quaestiones », Eos, 53, 1963, p. 164,
partage encore l’erreur extraordinaire de F. Leo, De Senecae tragoediis,
p. 101, selon qui l’hiatus et la syllaba anceps sont tolérables
« au milieu du dimètre en fin de phrase (in fine sensus) ».
Cette erreur provient, j’imagine, d’une confusion avec certains vers
asynartètes employés par Plaute.
[8] Voir par exemple pour le grec,
M. L. West, Greek Metre, Oxford, 1982, p. 171, et, pour
le latin, L. Havet, Métrique grecque et latine, Paris, 19358,
§ 195 (j’ai des doutes sur la colométrie d’Ausone, [AUS.Prof.6]Commemoratio professorum
Burdigalensium, VI, p. 54-56 Peiper = p. 51-53 Green [OCT]).
[9] Voir F. Leo, De
Senecae tragoediis observationes, p. 98 ; U. von Wilamowitz, Griechische
Verskunst, Berlin, 1921,
p. 372, note 1. L. Müller se débarrasse trop facilement du
témoignage de Diomède (deuxième moitié du IVe-Ve siècle), Grammatici Latini,
I, 511, 23, Keil, Anapaesticum choricum habemus in Seneca : audax nimium
qui freta primus [[Sén.Med.301]Médée,
301]. Admiscetur huic propter gratiam varietatis dimeter herous. Nam tale
est qui freta primus quale terruit urbem.
[10] Et sic passim sententiae metris accomodabuntur
in anapaesticis harum fabularum, sed in Notis plerumque potius quam in ipso
ordine carminum, ne alias quis forte editiones conferens versuum mutato numero
turbetur.
[11] R. Tarrant, dans son édition commentée de l’Agamemnon
(Cambridge, 1976, p. 370), affirme que cette tendance était considérée
dans l’Antiquité comme caractéristique du dimètre anapestique et cite le
témoignage de M. Victorinus[Victorin.GLK,6,77,2],
Grammatici Latini, 6, 77, 2, Keil, anapaesticum melos binis pedibus
amat sensum includere. Mais binis pedibus désigne non le dimètre ou
tétrapodie, mais le mètre ou dipodie.
[12] Voir aussi L. Quicherat, Traité de
versification latine, Paris, 1876, p. 313 : « On dit que ce
vers [le dimètre] est asynartète, et qu’après la première dipodie, le poète
peut allonger une brève ou omettre l’élision. Mais les exemples cités ne sont
pas concluants. Dans bien des passages qui présentent deux ou trois fois de
suite ces licences, on peut les faire disparaître par l’addition ou le
déplacement d’un monomètre. Souvent même ce changement profite à la juste
distribution des idées. »
[13] Kritische
Untersuchungen zu Senecas Tragödien, 1899. Je connais cet ouvrage par l’intermédiaire du
travail de J. Fitch mentionné plus bas (voir note 17). Je n’ai pas vu
non plus B. Schmidt, De emendandarum Senecae tragoediarum rationibus
prosodiacis et metricis, thèse, Berlin, 1860, ni M. Hoche, Die
Metra des Tragikers Seneca, Halle, 1862.
[14] Seconde édition Peiper-Richter dans la Bibliotheca
Teubneriana.
[15] Voir
O. Zwierlein, Prolegomena zu einer kritischen Ausgabe der Tragödien
Senecas, Wiesbaden, 1984, p. 53-59.
[16] Voici les autres
rectifications que j’apporterais à la colométrie de l’édition Zwierlein, en
suivant les principes qui la guident :[Sén.Herc.Fur.1055-1056]Hercule Furieux, vers 1055-1056,
| aetheris alti | tellusque ferax et vaga ponti | mobilis unda
| ; [Sén.Troad.713-714]Troyennes, vers 713-714, | magnique
senis | iura per omnis incluta terras, | excidat Hector
| ; [Sén.Troad.719-720]vers 719-720, | et Troia
prior, | parvusque minas trucis Alcidae | flexit Priamus ;
[Sén.Phaedr.10-11]Phèdre, vers 10-11, texitur
alno, | qua prata patent quae rorifera | mulcens aura ; [Sén.Phaedr.1136-1137]vers 1136-1137, matris
Cybeles | metuens caelo Iuppiter alto | vicina petit | ;
[Sén.Oedip.195-196]Œdipe, vers 195-196, custode
sinit, | petitis fontes aliturque sitis | latice ingesto
| ; [Sén.Agam674-675]Agamemnon, vers 674-675, | residens
summis | impia diri furta mariti | garrula narrat | ; [Sén.Thyest.790-792]Thyeste, vers 790-792, | cuius
ad ortus | noctis opacae decus omne fugit, | quo vertis iter
medioque diem | perdis Olympo ? | ; [Sén.Thyest.810-811]vers 810-811, | monte
Typhoeus ? | Numquid struitur via Phlegraeos | alta per
hostes | ; [Sén.Thyest.831-832]vers 831-832 | quassata
labent | iterumque deos hominesque premat | deforme chaos
| ; [Sén.Thyest.853-854]vers 853-854, | praefert
Hyadas, | secum Geminos trahet et curvi | bracchia Cancri.
[17] Seneca’s
Anapaests. Metre, Colometry, Text and Artistry in the Anapaests of Seneca’s
Tragedies, Atlanta, 1987. Voir les critiques de O. Zwierlein dans Gnomon,
62, 1990, p. 692-696 ; M. Billerbeck dans son édition commentée
d’Hercule Furieux, Leyde, 1999, p. 614-615. J. Fitch avait
pour la première fois appliqué sa théorie dans son édition commentée d’Hercule
Furieux, Ithaca, New York, 1987 (voir O. Zwierlein dans Gnomon,
60, 1988, p. 339-342).
[18] De re metrica
poetarum Latinorum2, p. 105.
[19] Déjà relevée et
discutée par W. Marx, Funktion und Form der Chorlieder in den
Seneca-Tragoedien, diss., Heidelberg, 1932, p. 28-35 ; et J. Mantke, « De
Senecae tragici anapaestis », Eos, 49, 1957-1958,
p. 101-114.
[20] On trouvera dans la monographie de J. Fitch
des statistiques étendues à l’ensemble du corpus sénécien (voir note 17).
[21] Dans cette colonne figurent les seules combinaisons
de pieds admises dans un mètre : le pied pair n’est jamais dactylique et
la succession de quatre brèves (dactyle + anapeste) est évitée. On relève chez
Sénèque l’exception d’Hercule. Furieux, vers 1064[Sén.Herc.Fur.1064],
solvite superi, imitée dans [Sén.Herc.Oet.185]Hercule sur l’Œta,
vers 185, fingite superi (voir dans cette même tragédie, 1883, Arcades
obitus, [Sén.Herc.Oet.1883] et
dans Octavie, vers 646[Ps.Sén.Octav 646], Parcite lacrimis ; [Ps.Sén.Octav.904]904,
invidet etiam) ; voir L. Müller, De re metrica poetarum
Latinorum2, p. 159 (en supprimant les cas non mentionnés ici) ;
L. Havet, Métrique grecque et latine, § 191 ; M. Billerbeck
à [Sén.Herc.Fur.1064]Hercule
Furieux, vers 1064. L’enseignement de L. Nougaret, Traité de
Métrique latine classique,
Paris, 1963, § 263, « Substituts de l’anapeste : le spondée,
parfois le dactyle, sans distinction de pieds pairs et impairs », est donc
faux.
[22] Comme
font les manuscrits. Mais la colométrie adoptée par O. Zwierlein, d’après G. Richter, est
absolument certaine.
[23] Dans ses Prolegomena, p. 182-202, et
dans son édition de 1986, p. VII, passage encore présent dans l’édition de 1993. Il déclare pourtant ne
plus croire à la réalité des trimètres dans Gnomon, 60, 1988,
p. 339, § 3.
[24] J. Fitch a ici pour prédécesseurs
G. Richter dans la seconde édition Peiper-Richter et Marx, Funktion
und Form der Chorlieder, p. 19-20, qui trouvait G. Richter
trop frileux quant à l’introduction du monomètre initial.
[25] « Double » monomètre transmis par E
dans [Sén.Phaedr.81]Phèdre,
vers 81, et [Sén.Herc.Oet.175]Hercule
sur l’Œta, vers 175 ; « quadruple » monomètre transmis
par E dans [Sén.Herc.Oet.1918-1919]Hercule
sur l’Œta, vers 1918-1919 (voir F. Leo, De Senecae tragoediis
observationes, p. 100). Ils sont tous rejetés par J. Fitch.
[26] Explicite chez Marx, Funktion
und Form der Chorlieder, p. 29 : « So zeigt denn auch ein
oberflächlicher Blick in Senecas Lieder, dass der Dimeter als Norm des
syntaktischen Umfangs ihrer Komposition zugrunde liegt. »
[27] Melius ms. A, J. Fitch ; medius ms. E, O. Zwierlein.
[28] Cette tendance est particulièrement marquée quand il
n’y a pas enjambement sur le vers suivant (voir O. Zwierlein, Gnomon,
60, 1988, p. 340-341).
[29] Gnomon, 60, 1988, p. 340, § 4.
[30] Les deux morceaux 83-98 et 99-116 se terminent sur
le monomètre Hectora flemus, qui n’est pas un monomètre complétif
ordinaire, mais sert de refrain.
[31] Signe d’une technique encore fluctuante ? Voir
plus bas. Je rappelle la spécificité du cas : si on n’introduit pas le
monomètre initial, Impia quas non finit un dimètre dont le premier colon
est la fin d’une phrase interrogative, et arma fatigant ? forme le
premier colon du dimètre suivant.
[32]L’architecture du commos confirme la
transposition des vers 102-103, acceptée par O. Zwierlein et
J. Fitch, et suggère qu’il manque un mètre (29 + 1) dans le texte suspect
des vers 150-151, non Argolici praeda triumphi | subiecta feret
colla tropaeis. Curieuse notion, en effet, que subiecta colla tropaeis,
« le cou assujetti aux trophées » ! Je suggère, à titre
d’exemple, tropaeis <cunctis potior> (il s’agit de Priam).
Le commentaire de A. J. Keulen (Leyde, 2001) fait un sort à presque
chaque mot du vers 151 sans s’intéresser au sens de la phrase. Il analyse
le commos p. 124-129. Dans le premier chœur d’Hercule Furieux,
[Sén. Herc. Fur.]
les considérations architectoniques me semblent corroborer la transposition par
O. Zwierlein des vers 146-151 (évocation d’oiseaux annonciateurs du
jour), après le vers 136 : a) vers 125-136 + 146-151 = 35 (7 x 5)
mètres = 19 vers chez O. Zwierlein (lever du jour) ;
b) vers 137-145 + 152-158 = 32 mètres = 17 vers chez
O. Zwierlein (les activités matinales dans la nature) ; c)
vers 159-177 = 35 (7 x 5) mètres = 19 vers chez
O. Zwierlein (les activités matinales dans la cité) ; d)
vers 178-201 = 49 (7 x 7) mètres = 26 vers chez
O. Zwierlein (parénèse). Qui sait s’il ne manque pas trois mètres dans la
partie b) ?
[33] Seneca’s
Anapaests, « Appendix III ». Les barres horizontales indiquent la colométrie
présumée de l’archétype.
[34] Sur neutra
trisyllabique, voir Neue-Wagener, Formenlehre der Lateinischen Sprache,
II, 3eéd., 1892, p. 545, contre L. Müller, De re
metrica poetarum Latinarum, p. 316.
[35] Opposer [Sén.Herc.Fur.1057-1058]Hercule
Furieux, 1057-1058 selon la colométrie de J. Fitch : tuque
ante omnes | qui per terras tractusque maris | fundis
radios.
[36] Voir vers 1131-1132 ; [Sén.Herc.Oet.1862-1863]Hercule
sur l’Œta, vers 1862-1863. Colométrie corrigée dans tous les cas.
[37] Sur la configuration exceptionnelle du monomètre
(dactyle + anapeste), voir note 21.
[38] Si le dimètre était un colon – c’est un
vers –, on pourrait dire que cette colométrie procède d’une confusion
entre colon grammatical et colon métrique.
[39] Je suis bien certain qu’il n’aurait pas pu l’écrire
si, comme le voulait L. Müller, il n’avait utilisé que des séries
stichiques de monomètres.
[40] On peut voir là-dessus mon édition d’Alcée, Paris,
1999, p. XLI, note 130 ; p. CIII- CIV ; p. CVI, note 237. La découverte du caractère tristique de la strophe
sapphique semble remonter à O. Crusius, Stesichoros und die epodische
Composition in der griechischen Lyrik, dans Mélanges Otto Ribbeck,
Leipzig, 1888, p. 1-22.
[41] L’hexamètre dactylique a fourni le canon de la
ligne, et ce avant l’époque alexandrine : voir le chapitre
« Zeilenzählung » dans le livre de C. Wendel, Die
Griechisch-römische Buchbeschreibung verglichen mit der des vorderen Orients,
Halle, 1949, p. 34-44.
[42] Sur la finalité de la colométrie alexandrine en
général, voir L. Parker, « Consilium et ratio ? » Papyrus A of
Bacchylides and Alexandrian Metrical Scholarship », Classical Quarterly,
51, 2001, p. 23-52. « The evidence suggests that their concern was
far from consistent, and that they could be satisfied with divisions which were
no more than approximately metrical, or even unmetrical, if dividing into
short, more or less uniform cola produced that result », conclut-elle. B. Gentili et L. Lomiento, Metrica e
ritmica. Storia delle forme poetiche nella grecia antica, Milan, 2003,
p. 7-12, se rallient à l’idée que la colométrie alexandrine reflète la
structure rythmique et musicale des poèmes, ce que je ne trouve pas
plausible : voir quelques réflexions sur ce sujet dans mon édition des Pythiques
de Pindare, Paris, 2004, p. 219, note 2.
[43] Les Odes, à l’exception du Chant
Séculaire, [Hor.C.][Hor.C.S.]ont
été écrites pour la lecture et la récitation, non en vue d’une exécution
musicale. Telle est la conclusion de L. E. Rossi, « Orazio, un lirico
greco senza musica », dans Seminari Romani di Cultura Greca, I,
1998, p. 163-181. On notera que la synaphie entre les vers 3 et 4 de la
strophe sapphique est toujours observée dans le Chant Séculaire.[Hor.C.S.]
[44] P. 65,
20-21 Consbruch = Alcée fr. 10 Test. IIb Liberman. Je crois bien avoir fait, dans mon
édition d’Alcée, la même bévue qu’Horace.
[45] Voir L. Havet, Métrique grecque et latine,
§ 413 et 416.
[46] Opposer Alcée[Alc.frg.10,4et6], fr. 10, 4 et 6. L’observation est de
R. Führer, Beiträge zur Metrik und Textkritik der griechischen Lyriker,
III, Die Kolometrie von
ἔμε δείλαν (Alkaios, fr. 10 L.-P.), p. 6 de
l’extrait, dans Nachricht. Akad. Wiss. Götting., Philolog.-hist. Kl., 6, 1976, p. 253-261. S. Bailey, dans son édition
d’Horace (Bibliotheca Teubneriana, 20014), ignore encore la véritable colométrie
du texte d’Horace, établie par L. Quicherat (Revue de l’Instruction
publique, 15 octobre 1846 = Mélanges de Philologie, Paris, 1879,
p. 59-67) et confirmée par R. Führer. « Les manuscrits, tout en
divisant d’une manière très différente, et parfois très déraisonnable, les vers
dans l’intérieur des strophes, sont unanimes pour conserver à chacune la même
étendue. Partout Miserarum, Tibi qualum, Simul unctos, Catus idem
commencent un vers » (L. Quicherat).
[47] « Sie sind
unlebendig, papieren, und daher ohne Interesse », dit péremptoirement
H. Drexler, Einführung in die römische Metrik, Darmstadt, 1967,
p. 141.
[48] On rapproche la théorie, embrassée par son
contemporain Caesius Bassus, de la dérivation des mètres par adiectio, detractio,
permutatio, concinnatio, sur quoi voir F. Leo, « Die
beiden metrischen Systeme des Altertums », Hermes, 24, 1889,
p. 280-301 ; avec les remarques de J. Leonhardt dans un article
du même titre, Hermes, 117, 1989, p. 43-62 ; du même
F. Leo, Ein metrisches Fragment aus Oxyrhyncos, dans Nachr. d.
Götting. Gesellsch. d. Wiss., Philol.-hist. Klasse,
1899, p. 495-507 = Kleine Schriften, Rome, 1960, II,
p. 395-408 ; H. Weil, Les métriciens. La théorie de la filiation des mètres, dans Études de littérature et de rythmique
grecques, Paris, 1902, p. 172-181.
[49] [Sén.Οedip.491]Œdipe,
vers 491, [Sén.Οedip.720]vers 720 ;
[Sén.Agam.816]Agamemnon,
vers 816, (819, lacune supposée par O. Zwierlein), 822,
837, 862.[Sén.Agam.819][Sén.Agam.822][Sén.Agam.827][Sén.Agam.862]
[50] Études sur le drame antique, Paris, 1897,
p. 249-250. Voir L. Parker, The Songs of Aristophanes,
Oxford, 1997, p. 56-58.
[51] In
universum a legitimis differunt (sc. anapaestorum
liberiores formae), quod aequabili illa gravitate carent, et motum animi
magis varium atque instabilem exprimunt, dit, à propos du drame grec,
G. Hermann, Elementa doctrinae metricae, Leipzig, 1816,
p. 380.
[52] Voir
M. L. West, « Tragica I », Bulletin of the
Institute of Classical Studies, 24, 1977, p. 89-94 ; Greek
Metre, Oxford, 1982, p. 95.
[53] Selon P. Masqueray (Revue de Philologie,
16, 1892, p. 119), « chaque dimètre anapestique contient une césure
après le second temps marqué. [...] De cette façon les deux parties de la
tétrapodie se font exactement équilibre, et elles demandaient, pour être
récitées, une durée égale. Si donc l’on partait du pied gauche, la césure
tombait au moment précis où on allait encore une fois lever le même pied. Les
pas allaient deux par deux. La dipodie anapestique [...] que l’on trouve
quelquefois intercalée au milieu des tétrapodies ne troublait pas la mesure.
Naturellement, il n’y a pas de tripodies, puisqu’il y aurait eu changement de
pied au commencement du vers suivant ».
[54] M. L. West (éd.), Aeschyli Tragoediae cum
incerti poetae Prometheo, Stuttgart, Teubner, 19982.
[55] Hélas, il n’est pas facile de connaître la
colométrie byzantine à partir des éditions récentes, qui la modifient sans
préavis. J’ai utilisé diverses éditions anciennes, plus fidèles à la colométrie
transmise (si tant est qu’elle soit uniforme) des parties anapestiques, et en
particulier, pour Eschyle, Wecklein, 1885 (fondée sur le Mediceus) et,
pour Euripide, Nauck, 1871.
[56] Dimetris solis sive monometris additis
composuerunt carmina Ausonius, Luxorius, Boethius, notait L. Müller, De
re metrica poetarum Latinorum2, p. 104.
[57] J.-P. Cèbe (Varron, Satires Ménippées,
4, Rome, 1977) ne semble pas préoccupé des conséquences de sa conjecture percrepit
sur la synaphie dans le fragment 162[Varr.Menipp.frg. 162]. Il ne paraît pas
voir que Varron utilise des systèmes anapestiques.
[58] Voir
M. L. West, « Tragica I », p. 94.
[59] The
Lyric Metres of Greek Drama, Cambridge, 1968,
p. 49. Voir M. L. West, « Tragica I »,
p. 90.
[60] Voir M. L. West, « Tragica
I », p. 90 et note 11 (références tirées des scholies à
Aristophane).
[61] C’est l’opinion de A. Raabe, De metrorum
anapaesticorum apud poetas Graecos usu atque conformatione quaestiones selectae,
thèse, Strasbourg, 1912, p. 32-34, appuyée sur les témoignages
d’Héphestion, de Terentianus Maurus et de Marius Victorinus. Mais comment être
sûr qu’ils représentent les idées du (des)colométricien(s)
alexandrin(s) ?
[62] « Ineptissime quidem, quum hic numerus, si
catalexi careat, valde invenustus sit » (Elementa doctrinae
metricae, p. 387).
[63] Voir
M. L. West, Greek Metre, p. 121. Ainsi, dans le dernier commos d’Œdipe à
Colone, quatre dimètres et un monomètre ([S.OC.1772]τοῖσιν
ὁμαίμοις, vers 1772) forment un ensembleclosdu point
devuedusens.
[64] C. Questa,Introduzioneallametrica di
Plauto, Bologne, 1987, p. 229-230 ;Titi Macci Plauti cantica,
Urbino, 1995, p. 441.
[65]A. Raabe,De metrorum...,
p. 72-73, croit que les anapestesdeSénèque s’inspirent d’anapestes grecs
contemporains. Il allègue à tort carmina popularia 14-17 Bergk
= 20-23 Diehl = 863-866 Page, « Heroldsruf bei den Agonen, der
noch zu Julians Zeiten galt » : voir U. Wilamowitz, Griechische
Verskunst, p. 134, note 4 (d’où la citation en allemand est
extraite). On se gardera d’alléguer des textes (cités par M. L. West,
Greek Metre, p. 170-171) postérieursà Sénèque (sur les citations
de Philostrate et de Porphyre, voir Bergk, Poetae lyrici Graeci, III,
Leipzig, 1882, p. 684-688). « Veteres [...] Romanorum
tragicos non secus, quam Graecos, paroemiaco finire systemata solitos esse,
satis ostendit Bentleius », dit G. Hermann, Elementa doctrinae
metricae, p. 387. L. Varius Rufus, dont le [Var.Ruf.Thyest.]Thyeste, créé en
29 avant J.-C., passait pour être la reine des tragédies latines,
semble avoir encore composé des systèmes, si l’on en croit le texte édité par
Ribbeck (Tragicorum fragmenta, p. 265, « Ex incertis
fabulis », I) : ad quos mundi resonat canor in | vestigia
se sua volventis (texte transmis sua se volventis in vestigia). Il
suppose « propter hiatum » une lacune entre variique apti
(texte transmis addita) vocum moduli (texte transmis modi)
et ad quos mundi, etc. ; mais, sur la tolérance à l’égard de l’hiatus
dans les systèmes anapestiques latins, voir G. Hermann, Elementa
doctrinae metricae, p. 386. Le dernier vers (vestigia – volventis)
de ce qui forme un ensemble cohérent ne se termine pas par un dimètre
catalectique, mais cet ensemble faisait peut-être partie d’un système clos par
un dimètre catalectique. Quant à la célèbre Médée d’Ovide.[Ovid.Med.], un
seul dimètre en a survécu, feror huc illuc, vae, plena deo ~ Sénèque, Médée, vers 382 et suiv.[Sén.Med.382sqq.]