L’ode septième du
livre quatrième des Odes d’Horace est bien plus que connue, elle est la
plus glorieuse des odes horatiennes. Tout le monde a déclamé une ou plusieurs
fois : Diffugere nives, redeunt iam gramina
campis / arboribusque comae. Cette ode est la reine des Odes
d’Horace, selon le jugement d’Antonio La Penna[1]
et elle a été considérée par Housman comme le plus beau poème de la littérature
ancienne : « That [...] I regard as the most beautiful poem in
ancient literature. » Je ne veux pas considérer encore une fois cette
ode dans sa totalité, parce qu’elle a été traitée d’une façon très minutieuse
par mon élève allemand, Benjamin Wolpert, dans un article qui sera publié en
Italie. Mais je veux prendre en considération une question particulière qui
est, bien sûr, liée à toute l’ode, mais qui reste une question spécifique. Il
s’agit d’un problème proposé par Carl Becker dans son livre sur la dernière
œuvre d’Horace[2]. Il
pense que les vers [Hor.C.4,7,17-20]17-20 sont
interpolés par quelqu’un qui connaissait assez bien Horace et a travaillé déjà
dans l’Antiquité. Pour ma part je ne partage pas cette idée, mais je pense
qu’il est intéressant d’en discuter pour apporter quelque nouveauté et pour
mieux comprendre le travail d’Horace qui n’est jamais banal. Considérons alors
tous les éléments de la discussion en partant du texte de cette ode magnifique
(je partage l’opinion de Housman et La Penna plutôt que l’opinion réductive de
Wilamowitz[3])
et je donne ici tout de suite l’ode intégrale selon l’édition de Klingner (et
de Borzsák qui est différente seulement en deux points : [Hor.C.4,7,15]au vers 15 pius Aeneas Klingner, pater
Aeneas Borzsák, dives Tullus Klingner, Tullus dives Borzsák) :
(1) Diffugere nives, redeunt iam gramina campis 1
arboribusque comae,
mutat terra vices et decrescentia ripas
flumina praetereunt.
Gratia cum Nymphis geminisque sororibus audet 5
ducere nuda choros.
Immortalia ne spres monet annus et almum
quae rapit hora diem.
frigora mitescunt Zephyris, ver proterit aetas
interitura, simul 10
pomifer autumnus fruges effuderit, et mox
bruma recurrit iners.
damna tamen celeres reparant caelestia lunae :
nos ubi decidimus,
quo pius Aeneas, quo dives Tullus et Ancus, 15
pulvis et umbra sumus.
quis scit an adiciant hodiernae crastina summae
tempora di superi ?
cuncta manus avidas fugient heredis amico
quae dederis animo. 20
cum semel occideris et de te splendida Minos
fecerit arbitria,
non Torquate, genus, non te facundia, non te
restituet pietas,
infernis neque enim tenebris Diana pudicum 25
liberat Hippolytum
nec Lethaea valet Theseus abrumpere caro
vincula Pirithoo.
Les neiges s’en sont
allées ; déjà les plaines voient revenir leur gazon et les arbres leur
chevelure ; la terre prend son nouvel aspect, et, décroissant, les fleuves
coulent le long de leurs rives ; la Grâce, avec les Nymphes et ses deux
sœurs, ose mener nue ses danses. Ne point espérer des choses immortelles, c’est
le conseil que te donne l’année et l’heure qui emporte le jour nourricier. Les
froids s’adoucissent sous les Zéphyrs, le printemps disparaît sous les pas de
l’été, qui périra aussitôt que l’automne, père des fruits, sera venu répandre
ses dons, et bientôt cette course ramène l’hiver inactif. Du moins, les
dommages que cause le ciel, les lunes rapides les réparent-elles ; mais
nous, une fois descendus où est Énée le Père, où sont le riche Tullus et Ancus,
nous ne sommes plus que poussière et ombre. Qui sait si, au total atteint aujourd’hui,
les dieux d’en-haut ajouteront les instants de demain ? Tous les biens que
tu te seras accordé en ami de toi-même échapperont aux mains avides d’un
héritier. Quand, une fois, tu auras succombé et que Minos aura rendu sur toi sa
sentence éclatante, ni ta naissance, Torquatus, ni ton éloquence, ni ta piété
ne te feront revivre : Diane, en effet, ne délivre point des ténèbres
infernales le chaste Hippolyte, et Thésée n’a point le pouvoir de rompre les
chaînes léthéennes pour son cher Pirithoüs.
Comme l’a souligné
Becker[4],
déjà Eduard Fraenkel dans son beau livre sur Horace[5]
avait relevé que dans ces vers on ne retrouvait pas le cœur du poète :
« The lighter mood is not completely absent from the later ode either
[en la comparant à l’ode [Hor.C.1,4]1,4],
but here it appears only in a passing remark ([Hor.C.4,7,19-20]19 F cuncta manus avidas
fugient heredis, amico quae dederis animo), which in its context sounds
rather conventional ; one does not believe that the poet’s heart is in it. »
De même dans cette strophe Collinge et Niall Rudd ont remarqué quelque chose
d’étrange. Collinge écrit que « Clearly [Hor.C.4,7,17-20]17-20
look extraneous : the proximity of death has nothing to do with the rest
of the ode ; and that the bogy, the heres, enters oddly here, as
does the distressingly wordly advice of [Hor.C.4,7,19-20]19-20 [...] ;
and finally the scene is the underworld consistently from v.14 to the end, if
17-20 are mentally substracted. No doubt we are here dealing with another
adventitious two-stanza “inset”[6]. »
Ce sont là des sensations plutôt que des raisons, mais on [34]ne doit pas les
négliger. À son tour, Rudd présente des observations, lui aussi, critiques,
mais plus intéressantes : « I have always been a little puzzled by
these lines. The carpe diem motive is not sufficiently developped, and
so the invitation sounds haft-hearted. The tone is also rather discordant. It
is one thing to conclude a poem with a whole stanza of satire like absumetheres ([Hor.C.2,
4]II, 14), but quite another to introduce a greedy captator
and then relapse at once into profound melancholy. I suppose we must just
remember that Horace was rarely content to describe a scene or create a mood
without somehow relating it to the sphere of human activity »[7].
Mais une discussion très rigoureuse contre l’authenticité de ces vers a été
développée par Becker, qui a fait des observations linguistiques et des
observations qui concernent le contenu. À mon avis, elles ne sont convaincantes
ni les unes ni les autres. Mais on doit les discuter soigneusement non pas
seulement parce qu’il s’agit d’observations intelligentes, mais aussi parce
qu’il y a vraiment une différence un peu nuancée entre la strophe en question
et le reste de l’ode.
Les observations
linguistiques de Becker[8]
sont que l’expression quis scit ? s’adapte plutôt aux sermones
qu’aux odes ; la conjonction interrogative an ne se trouve jamais
chez Horace sauf en cas de « Doppelfrage » ou de nescio an
(mais – on peut répondre – quis scit an ? est le
correspondant interrogatif de nescio an). L’opposition pédante avidae
manus ~ amico animo doit être attribuée à un poète postérieur plutôt qu’à
Horace (« wäre einem späteren Dichter eher zuzutrauen als Horaz »).
De plus amicus avec le sens de « dein eigen » est absent dans
la langue latine (« fehlt sonst in der Latinität »). Mais on répondra
ici encore qu’on peut tout simplement donner au mot amico son sens
usuel, peut-être influencé par Simonide. D’autre part, Becker lui-même a donné
un jugement négatif de toutes ces observations qui concernent le style et la
langue, en écrivant que les particularités linguistiques ne représentent pas un
critère certain (« sprachliche Eigenheiten hier kein sicheres Kriterium
bilden[9] »).
Pour ma part, je pense qu’on ne peut pas nier qu’il y a une certaine différence
stylistique entre ces vers et le reste de l’ode, mais on doit essayer
d’expliquer les quelques différences qu’on trouve plutôt que les exclure. On
doit en chercher une explication au-delà de celle qui a été suggérée déjà par
Rudd. Les observations qui concernent le contenu sont plus intéressantes.
Becker voit dans les vers [Hor.C.4,7,17-20]17-20
une invitation à se donner du bon temps selon le critère du carpe diem :
sapias, vina liques
et spatio brevi
spem longam reseces.
dum loquimur, fugerit invida
aetas : carpe
diem, quam minimo credula postero.([Hor.C.1,11,6-8]Carm. 1, 11, 6-8)
sois sage, filtre tes
vins, et, puisque nous durons peu, retranche les longs espoirs. Pendant que
nous parlons, voilà que le temps jaloux a fui : cueille le jour, sans te
fier le moins du monde au lendemain. ([Hor.C.1,11,6-8]Carm. 1, 11, 6-8)
C’est une invitation
toute étrangère à ce qui a été dit auparavant, mais qui pourrait même entrer
dans une ode comme 4, 7, avec une allure épicurienne – reconnaît
Becker, mais qui devrait alors conclure l’ode, tandis que, au contraire, l’ode
continue avec une référence à Torquatus, un avocat, jurisconsulte célèbre, à
l’activité duquel se réfèrent sûrement les expressions de te splendida Minos / fecerit arbitria et non te facundia. Il s’agit – comme
pense la plupart des chercheurs[10] –
de Torquatus lui-même auquel est adressée l’épître [Hor.Ep.1,5]1, 5. Et on verra que là
aussi, il y a une référence à l’héritier, qui est par ailleurs fréquente chez
Horace. Il y a également une invitation à un dîner, mais bien modeste (nec modica cenare times holus omne patella,
« si tu ne t’effraies pas de dîner avec toute espèce de légumes sur
modeste plat »[Hor.Ep.1,5,2]
Horace, Épist. 1, 5, 2), qu’on pourrait interpréter comme due à une
certaine sévérité de Torquatus. « Nach
dem Ernst der vorhergehenden Gedanken überrascht und befremdet der Ton dieser
Afforderung. [...] Erhebt sich aus der Einsicht in den Unterschied zwischen der
Einmaligkeit des Meschenlebens und dem
ständigen Kreislauf der Natur die Aufforderung, jeden Tag das Dasein nach
Kräften auszukosten und so viel wie möglich davon selbst zu genießen ? Der
Kontrast zu ständigen Wiederkehr in der Natur könnte allerdings – in
epikureischem Sinne – auf eine solche Aufforderung zulaufen ; aber
dann sollte das Gedicht auch damit enden. »
Mais, en tout cas, l’invitation au plaisir (« die Aufforderung zum Genuß[11] »),
ne s’adapte pas à cette ode, nous dit Becker, et alors l’invitation qu’on
trouve aux vers [Hor.C.4,7,
7-20]17-20 ne correspond pas à ce qu’Horace voulait dire. Mais
ceci est un argument faux, car dans les vers [Hor.C.4,7,17-20]17-20, il n’y a aucune
invitation au plaisir : on a vu que pour Rudd aussi le carpe diem n’a pas été développé. Après
ces observations, Becker a mis en relation entre elles l’ode [Hor.C.4,7]4, 7 et
la suivante, ode[Hor.C.4,8] 4,
8, et il a observé que le motif de se donner du plaisir exclurait toute
relation entre les deux odes, une relation qui, au contraire, semble évidente
et peut comprendre aussi l’ode [Hor.C.4,9]4, 9, c’est-à-dire le cadeau
que le poète peut donner à Censorinus. Alors Horace, dans l’ode 4, 7[Hor.C.4,7], nous
dit que l’homme est destiné à la mort sans aucune possibilité de l’éviter et
sans que même des dieux, comme Diane, ou un héros, comme Thésée, puissent le
libérer des enfers. Seulement le poète est en mesure de pouvoir donner quelque
chose qui restera au-delà de la mort ([Hor.C.4,8]4, 8) et il ne s’agit pas de pateras, de grata aera, de tripodas,
mais de carmina. Et les carmina célèbrent les mérites des hommes
(des grands hommes) mieux que les marmora,
car le bien, qu’on a fait, ne reçoit pas sa récompense s’il n’est pas célébré
par quelque document écrit par un poète ou un historien :
neque,
si chartae sileant,
quod bene feceris,
mercedem tuleris. quid
foret Iliae
Mavortisque puer, si
taciturnitas
obstaret meritis
invida Romuli ? ([Hor.C.4,8,20-24]Hor.
Carm. 4, 8, 20-24)
et, si les écrits se
taisent sur tes belles actions tu n’en auras point la récompense. Que fût
devenu l’enfant d’Ilia et de Mars si un silence jaloux avait recouvert les
mérites de Romulus. ([Hor.C.4,8,20-24]Hor.
Carm. 4, 8, 20-24)
Romulus lui-même ne
serait pas connu si aucun écrivain ne l’avait célébré dans ses écrits. L’ode
suivante, [Hor.C.4,9]4,
9, dédiée à Lolius représente l’application de ce critère avec la strophe
célèbre :
vixere fortes ante
Agamemnona
multi, sed omnes
inlacrimabiles
urgentur ignotique
longa
nocte, carent quia
vate sacro.
paulum sepultae
distat inertiae
celata virtus. non
ego te meis
chartis inornatum
sileri,
totve tuos patiar
labores
impune, Lolli,
carpere lividas
obliviones. ([Hor.C.4,9,25-30]Hor.
Carm. 4, 9, 25-30)
Il a vécu avant
Agamemnon bien des vaillants : mais tous, sans larmes et ignorés, sont
accablés sous une longue nuit, faute d’un chantre sacré.
Il y a peu de
distance de la valeur cachée à la lâcheté ensevelie. Mais toi, je ne te
laisserai point sans louange dans le silence de mes écrits, je ne permettrai
pas, Lollius, que tes travaux si nombreux, impunément, l’envieux oubli les
dévore. ([Hor.C.4,9,25-30]Hor.
Carm. 4, 9, 25-30)
Carl Becker[12]
en conclusion du chapitre consacré à la vision générale du livre 4, nous
donne une synthèse de cette idée : « Andererseits [nach der
pindarischen Thematik] schließen sich die Oden 7, 8 und 9 in der Mitte des
Buches zu einer eigenen Gruppe zusammen. C. 4, 8[Hor.C.4,8] ist eigens für diese
Stelle geschrieben, wie sein Metrum – das es den Rahmengedichten der
früheren Sammlung zuordnet ([Hor.C.1,1]c.1, 1 und [Hor.C.3,30]3, 30) – und sein
Inhalt zeigt ; es ist die stärkste Verkündung der Macht, welche Dichtung
haben kann. [Hor.C.4,7]C. 4, 7 bereitet darauf
vor : nach dem Gedanken an die naturgegebene Vergänglichkeit des
Menschenlebens erhält die Überzeugung, daß die Dichtung den Tod überwinden
kann, einen ganz anderen Nachdruck ; in [Hor.C.4,9]c. 4, 9 setzen
sich die Vorstellungen von [Hor.C.4,8]c.4, 8 fort. » Pour ma part, je partage cette idée qui
correspond très bien à la poétique d’Horace et en particulier à celle du
livre 4 des Odes, mais je pense que les vers [Hor.C.4,7,17-20]17-20 de l’ode septième
s’adaptent très bien à cette construction car il s’agit d’une invitation à la
générosité sans se soucier de l’héritier et Horace va donner ce qu’il a,
c’est-à-dire la poésie. Mais la condition est qu’on ne pense pas à la présence
du carpe diem qui serait contraire à l’esprit de ces odes et je répète
que le carpe diem est, à mon avis, tout à fait absent de cette ode [Hor.C.4,7](4, 7).
La philosophie épicurienne aussi est absente de cette ode ou du moins elle
n’est pas sûrement présente. Wolfgang Lebek, Erler et Benjamin Wolpert se sont
occupés, comme beaucoup d’autres, de la philosophie de cette ode et ils sont
arrivés à des conclusions différentes, mais ils sont d’accord sur le fait que
la philosophie épicurienne n’est pas très présente ici. On va de la position de
Lebek qui ne l’exclut pas complètement à celle de Erler qui soutient qu’on a
plutôt affaire au stoïcisme, car l’idée du temps qu’on y trouve est stoïcienne,
non épicurienne et ceci est en accord avec la position philosophique qu’Horace
a prise à la fin de sa vie dans les dernières odes, tandis que dans les odes de
la jeunesse il était bien plus nettement épicurien. Les matériaux réunis par
Erler sur la position stoïcienne pour ce qui concerne le concept du temps,
c’est-à-dire [S.E.M.218=SVF2,331]Sext.
Emp. adv. math. 218 SVF II 331 ; Cornutus c. 10 de
Crono, SVF II 1087[Corn.Carm.10=SVF2,1087]
et [Cic.N.D.2,64]Cic.
nat. deor. 2, 64, sont éloquents et Lebek aussi, en étudiant la position
philosophique d’Horace relativement à cette ode, va jusqu’à dire que dans cette
ode, il y a des affinités avec la pensée d’Épicure, mais il serait risqué d’y
voir une adhésion complète à la doctrine épicurienne, car il y a des éléments
qui ne s’accordent pas du tout avec cette doctrine comme l’heres (qui
par ailleurs est propre d’Horace), comme les di superi et Minos qui
donne des jugements et, enfin, le fait qu’aux morts est nié le plaisir de la
vie (« Im Hinblick auf carm.[Hor.C.1,4]1, 4 [c’est-à-dire
l’ode avec laquelle on confronte toujours l’Ode [Hor.C.4,7]4,7] verdient
Beachtung, daß in carm. 4, 7 der unepikureische Gedanke, daß dem Toten
Lebensgenüsse versagt sind, nicht ausgesprochen wird. So darf man wohl dem
späteren der zwei thematisch verwandten Gedichte [c’est-à-dire 1, 4 et 4, 7]
eine größere Affinität zu epikureischem Denken zusprechen. Eine entschiedenere
Charakteristik der Torquatus-Ode als durch und durch epikureisch wäre jedoch
bedenklich. Denn die das Menschenleben bestimmenden di superi oder das
Unterweltsgericht des Minos haben im orthodoxen Epikureismus keinen Platz. Und
was an dem Gedicht epikureisch gedeutet werden kann, ist nicht ganz ohne
Parallelen in sonstigem Schrifttum ; sehr nahe steht vor allem
Catull. [Catull.5]5[13]. » Naturellement, dans la confrontation avec
Lucrèce [Lucr.5,737-747]5,
737-747, it ver et Venus et Veneris praenuntius ante / pennatus
graditur, Zephyri vestigia propter / sqq., « le Printemps
vient et Vénus avec lui ; en avant le héraut ailé de la déesse ; sur
les pas de Zéphir, […] », qui avait été suggérée par Kießling-Heinze[14],
ce sont plutôt les différences que les similarités qu’on doit souligner.
D’autre part, même Catherine J. Caster, dans sa Prosopography of Roman
Epicureans[15],
place Horace entre les Epicurei Dubii et, comme on l’a dit, épicurien il
l’était beaucoup moins à la fin de sa vie. Carlo Pellegrino[16],
à son tour, déclare inacceptable la thèse de Erler, mais conteste seulement
l’interprétation du temps stoïcien donnée par Erler – mon élève Wolpert[17]
a relevé la faute de Pellegrino qui interprète mal le passage de Sext. Emp.
Adv. Math. 10, 218[S.E.M.218=SVF2,331].
Alors il reste seulement à mentionner les antécédents partiels de l’[Epit.Bion 99-104]Epitaphium
Bionis, 99-104, et de Simonide. Je le donne maintenant avec une traduction
française et je le fais pour montrer qu’Horace ici aussi comme toujours dans
les Odes a des sources ou, seulement, des antécédents qu’il a suivis en
allant bien au-delà de ses modèles :
αἰαῖ ταὶ
μαλάχαι μέν,
ἐπὰν κατὰ
κᾶπον ὄλωνται,
ἠδὲ τὰ
χλωρὰ σέλινα
τό τ' εὐθαλὲς
οὖλον ἄνηθον
ὕστερον αὖ
ζώοντι καὶ εἰς
ἔτος ἄλλο
φύοντι
ἄμμες δ' οἱ
μεγάλοι καὶ
καρτεροί, οἱ
σοφοὶ ἄνδρες,
ὁππότε
πρᾶτα θάνωμες,
ἀνάκοοι ἐν
χθονὶ κοίλᾳ
εὕδομες εὖ
μάλα μακρὸν
ἀτέρμονα
νήγρετον
ὕπνον. (Epitaphium Bionis, 99 et suiv).
Hélas ! La mauve
dans le potager et le céleri vert et l’aneth aux buissons touffus une fois
qu’ils sont morts vont vivre encore et bourgeonneront pour une autre année.
Mais nous, les grands, les puissants, les sages, une fois que nous serons
morts, nous dormirons sourds dans la terre creuse un sommeil sans fin et sans
réveil. (Epitaphium Bionis, 99 et suiv.)
νήπιοι, οἷς
ταύτηι κεῖται
νόος, οὐδὲ
ἴσασιν
ὡς χρόνος
ἔσθ' ἥβης καὶ
βιότου ὀλίγος
θνητοῖς.
ἀλλὰ σὺ ταῦτα
μαθὼν βιότου
ποτὶ τέρμα
ψυχῆι τῶν
ἀγαθῶν τλῆθι
χαριζόμενος. ([Simon.frgDiehl63,10,13]Simon,
Amorg. sive Ceus, Diehl III, 63, 10-13)
Sots sont ceux qui pensent
ainsi et ne savent pas que pour les mortels bref est le temps de la jeunesse et
de la vie. Mais toi, le sachant, aie le courage de donner de bon cœur en
prenant de tes biens.[18] ([Simon.frgDiehl63,10,13]Simon,
Amorg. sive Ceus, Diehl III, 3, 10-13)
Alors, se référer à
quelques textes grecs ou latins n’est pas seulement un sport de la philologie
moderne, mais c’était un usage pratiqué par Horace lui-même. Revenons
maintenant à la question de laquelle nous sommes partis, c’est-à-dire à
l’héritier et aux vers [Hor.C.4,7,17-20]17-20
de l’ode 4, 7.
J’indique les passages
où Horace a pris en considération la figure de l’heres et on verra qu’il
ne s’agit pas toujours de la même conception, mais qu’Horace a vu de façons un
peu différentes ce thème. Je souligne que l’examen et l’interprétation de ces
textes sont fondamentaux, car je pense que Becker a construit son hypothèse en
partant d’une fausse interprétation de Carm. 4, 7, 17-20[Hor.C.4,7,17-20],
mais aussi dans l’interprétation de Becker, qui a mis en rapport entre eux [Hor.C.4,7-9]4, 7
et 4, 8 et 4, 9, je trouve des éléments importants pour mieux comprendre toute
l’ode [Hor.C.4,7]4,
7. Voici alors les textes qui concernent l’héritier (heres) :
a)
cedes
coemptis saltibus et domo
villaque, flavos quam Tiberis lavit,
cedes, et extructis in altum
divitiis potietur heres. ([Hor.C.2,3,17-20]Hor.
Carm. 2, 3, 17-20)
b)
absumet
heres Caecuba dignior
servata centum clavibus et mero
tinguet pavimentum superbo,
pontificum potiore cenis.[19]
([Hor.C.2,14,25-28]Hor. Carm. 2, 14, 25-28)
c)
cum periura
patris fides
consortem socium fallat et hospites,
indignoque pecuniam
heredi properet.[20]([Hor.C.3,24,59-62]Hor. Carm. 3, 24, 59-62)
d)
cuncta
manus avidas fugient heredis amico
quae
dederis animo. ([Hor.C.4,7,19-20]Hor.
Carm. 4, 7, 19-20)
e)
filius aut
etiam haec libertus ut ebibat heres,
dis inimice senex, custodis ?([Hor.S.2,3,122-123]Hor.
Serm. 2, 3, 122-123)
f)
quo mihi
fortunam, si non conceditur uti ?
parcus ob heredis curam nimiumque severus
adsidet insano : potare et spargere flores
incipiam patiarque vel inconsultus haberi. ([Hor.Ep.1,5,12-15]Hor. Épist. 1, 5, 12-15)
g)
utar et ex
modico, quantum res poscet, acervo
tollam, nec metuam, quid de me iudicet heres
quod non plura datis invenerit. ([Hor.Ep.2,2,190-192]Hor.
Épist. 2, 2, 190-192)
Je jouirai, et je
tirerai de mon petit tas ce que réclamera le besoin, sans craindre l’opinion
qu’aura de moi mon héritier parce qu’il ne trouvera pas plus qu’on ne m’avait
donné. ([Hor.Ep.2,2,190-192]Hor. Épist. 2, 2, 190-192)
Tu quitteras les
pacages réunis par tes achats, et ta maison, et ta villa que baigne le Tibre
jaune, tu les quitteras, et, des richesses accumulées si haut, un héritier sera
le maître. ([Hor.C.2,3,17-20]Hor.
Carm. 2, 3, 17-20)
un héritier, plus
digne, consommera le Cécube gardés sous cent clefs, et rougira la mosaïque de
ce vin orgueilleux qu’envieraient les repas des pontifes.[21]([Hor.C.2,14,25-28]Hor. Carm. 2, 14, 25-28)
pendant que la foi
parjure du père trompe associé et hôte et se hâte d’amasser pour son indigne
héritier.[22]([Hor.C.3,24,59-62]Hor. Carm. 3, 24, 59-62)
Tous les biens que tu
te seras accordé en ami de toi-même échapperont aux mains avides d’un héritier.
([Hor.C.4,7,19-20]Hor.
Carm. 4, 7, 19-20)
Est-ce pour qu’un
fils, ou même pour qu’un affranchi, ton héritier, absorbe ces biens que tu les
gardes, vieillard haï des dieux ? ([Hor.S.2,3,122-123]Hor. Serm. 2, 3, 122-123)
À quoi bon la
fortune, s’il ne m’est pas accordé d’en jouir ? L’homme qui, par souci
d’un héritier, épargne et se refuse trop a sa place à côté du fou. Je serai le
premier à boire et à semer des fleurs et souffrirai même qu’on m’accuse
d’extravaguer. ([Hor.Ep.1,5,12-15]Hor.
Épist. 1, 5, 12-15)
Le commentaire le plus
riche sur ces passages est celui de Nisbet-Hubbard au b) où l’on trouve les
précédents orientaux et grecs et des considérations intéressantes :
c’est-à-dire, « criticism of the heir are particularly common among the
Romans », car à Rome il y avait toute une législation sur l’héritage (lex
Voconia, lex Falcidia, [[Dig.5,3-6]Dig. 5,
3-6 ; [Dig. 28, 5]28, 5 ; [Dig.41,5]41, 5
sans considérer les legata et les fidecommissa]), Horace lui-même
avait affaire avec l’héritage (« Horace himself as a freedman’s son seems
to have had no legal relatives [cf.[Hor.Ep.1,1,102sqq.]Épist. 1, 1,
102 et suiv.] ; after the death of Maecenas he suddenly had to make new
arrangements, and left his property to Augustus » [[Suet.Vit.Horat.76sqq.Rostagni]Suét. Vit.
Horat., 76 et suiv. Rostagni], il a adressé ses réflexions sur l’héritier
deux fois à la même personne, Manlius Torquatus ([Hor.Ep.1,5,13-15]Épist. 1,
5, 13 et suiv., et Carm. 4, 7, 19 et suiv.[Hor.C.4,7,19-20]). En tout cas ce
motif, très répandu [23],
s’est développé et a produit des idées bien différentes comme on peut le voir
dans les passages présentées en a)-g) : l’une a) tout simplement que
l’héritier aura tous nos biens, l’autre b) que l’héritier ne prendra pas
beaucoup de soin à épargner ce qu’on aura épargné très soigneusement pour lui,
c) qu’il ne sera pas digne de l’héritage qu’il recevra, d) qu’on doit donner
avec générosité pour éviter les mains avides de l’héritier, e) qu’on ne doit
pas être épargnant pour laisser à l’héritier, f) qu’on ne doit pas se laisser
conditionner par le souci que l’héritier ne pense du mal de quelqu’un, s’il ne
laisse plus de ce qu’il a reçu. Le détail de f) est très important pour moi,
parce qu’il s’agit d’un jugement de l’héritier sur les biens que le vieux
propriétaire va lui laisser, comme il arrive dans une comédie – et je
pense au Faenerator de Caecilius Statius qu’on verra bientôt. Pour ce
qui concerne le comportement, ceci signifie qu’on ne doit pas se soucier de
l’héritier, qui sera peut-être indigne de l’héritage, et on doit, par
conséquent, donner avec générosité avant sa mort. Les extraits d), f) et g),
(qui correspondent au [Hor.C.4,7]Carm. 4,
7, à l’épître 1, 5 [Hor.Ep.1,5]et
à l’épître 2, 2[Hor.Ep.2,
2]), sont liés entre eux par l’idée qu’ils expriment,
c’est-à-dire que l’héritier ne sera pas seulement un héritier, mais un héritier
intéressé, et, par conséquent, qu’on ne doit pas se soucier du désir de
l’héritier – une conséquence, d’autre part, qui est tirée seulement dans
f) et g). Mais ici aussi les pensées sont liées entre elles, bien sûr, mais
elles ne sont pas identiques dans la prémisse (l’héritier ne sera pas digne,
ses mains seront avides) et la conséquence (on ne doit pas épargner ses biens,
au contraire on doit les donner avec générosité). À leur tour, d) et g) sont
liés par le fait qu’ils sont adressés au même destinataire, Manlius Torquatus.
En tout cas, je ne trouve pas exprimé un autre passage sur lequel se fonde
Becker : on doit se donner du bon temps, on doit s’amuser sans épargne.
C’est un passage logique, mais qui n’est pas exprimé dans le Carm. 4,
7, 17-20[Hor.C.4,7,17-20]
où le poète dit seulement : on ne sait pas si les dieux nous donneront un
lendemain et alors tu dois donner avec générosité à tes amis. Il est vrai que
la pensée qu’on ne sait pas s’il y aura un lendemain amène le carpe diem,
mais ici s’est introduite une autre pensée ou une autre image, plus noble et en
rapport avec les deux odes suivantes, 4, 8 et 4, 9[Hor.C.4,8-9]. Le poète est un sage qui
donne avec générosité ce qu’il a, c’est à dire la poésie ([Hor.C.4,8]4, 8)
et la poésie, à son tour, donne la renommée et ce que les hommes peuvent
atteindre d’immortalité[Hor.C.4,9],
4, 9. J’ai déjà donné la référence à l’ode 4, 9, je donne maintenant celle
à l’ode 4, 8 :
Donarem pateras
grataque commodus,
Censorine, meis aera
sodalibus,
donarem tripodas,
[...]
sed non haec mihi
vis, nec tibi talium
res est aut animus
deliciarum egens :
gaudes
carminibus ; carmina possumus
donare [...] ([Hor.C.4,8,1-12]Hor.
Carm. 4, 8, 1-12)
Je donnerais de bon
cœur, Censorinus, à mes camarades des patères et des bronzes faits pour leur
plaire, je leur donnerais des trépieds [...]. Mais je ne suis point, moi,
pourvu de la sorte, et toi, tu ne manques du régal de pareils objets ni dans
tes biens ni pour ton goût. Ta joie ce sont les vers ; des vers j’ai le
pouvoir d’en donner [...]. ([Hor.C.4,8,1-12]Hor.
Carm. 4, 8, 1-12)
Et quel sera le cadeau
du poète, Horace nous le dit clairement dans le Carm. 4, 9, 30-34[Hor.C.4,9,30-34]
en se référant à Marcus Lollius, « un homme d’une façon générale
réellement médiocre malgré quelques mérites » – je cite l’article de
Radke[24]
et j’emploie ici encore un bon travail d’un autre de mes étudiants allemands,
Andreas Bedke sur l’ode [Hor.C.4,9]4,
9.
Ici, je ne fais pas
autre chose que suivre la construction presque mathématique de Becker :
les trois odes – [Hor.C.4,7]4,
7, la mort prend toutes choses ; 4, 8[Hor.C.4,8], le poète donne ce qu’il
a ; 4, 9[Hor.C.4,9],
il donne l’immortalité du bon souvenir –, sont liées entre elles. Mais je
complète cette construction avec un passage indispensable en 4, 7[Hor.C.4,7] :
la mort prend toutes choses, alors on doit donner avec générosité à ses
amis ; amico animo de 4, 7, 19[Hor.C.4,7,19] correspond complètement à
sodalibus de 4, 8, 2[Hor.C.4,8,2].
Il s’agit d’un passage tout à fait conséquent. Mais il a quelque chose en plus.
L’avidité de l’héritier, qui apparaît, dans ce passage, est quelque chose de
nouveau qui peut être comparé à ce
qu’on trouve en g). En considérant ce passage, c’est-à-dire, les vers cités en
g) on peut faire des observations intéressantes. Les vers utar et ex modico,
quantum res poscet, acervo / tollam, nec metuam, quid de me
iudicet heres/ quod non plura datis invenerit ([Hor.Ep.2,2,190-192]Hor., Épître
2, 2, vers 190-192) sont précédés par les vers cur alter
fratrum cessare et ludere et ungui / praeferat Herodis palmetis pinguibus,
alter / dives et importunus ad umbram lucis ab
ortu / silvestrem flammis et ferro mitiget agrum, / scit
Genius, vers 183-187[Hor.Ep.2,2,183-187]
que nous avons déjà cités à la note 15. Alors ici, on a affaire à deux
frères qui peuvent appartenir sans problèmes à la comédie, je pense aux deux
frères qu’on trouve dans les Adelphes de Térence, et Horace pouvait
trouver aussi dans les ἀδελφοί de Ménandre et je dis qu’il n’y a pas de problèmes,
parce que les genres des « épîtres » et des « satires »
sont si proches de la comédie qu’Horace a pris dans Satire[Hor.S.2,3,264] 2,
3, vers 264, un vers de Térence et un emiepes dans l’épître deuxième du
livre premier, sans considérer les nombreuses références à Térence[25] :
a) exclusit,
revocat : redeam ? non si meobsecret, ([Ter.Eun. 49]Ter. Eun. 49)
b) exclusit,
revocat : redeam ? non,si
obsecret’ ecce, ([Hor.S.2,3,264]Hor.
Sat. 2, 3, 264)
c) hinc illae
lacrimae, ([Ter.And.126]Ter.
Andr. 126)
d) hinc illae
lacrimae, ([Hor.Ep.1,19,41]Hor.
Épist. 1, 19, 41)
Elle me chasse, elle
me rappelle ; retournerai-je ? Non ! quand elle m’en
supplierait ! ([Ter.Eun.
49]Ter. Eun. 49)
Elle me chasse, elle
me rappelle ; retournerai-je ? Non ! quand elle m’en
supplierait ! voici… ([Hor.S.2,3,264]Hor.
Sat. 2, 3, 264)
voilà les larmes ([Ter.And.126]Ter. Andr. 126)
voilà les larmes ([Hor.Ep.1,19,41]Hor.
Épist. 1, 19, 41)
Je laisse de côté
toutes les autres références à Térence qu’on trouve chez Horace et qui ont été
déjà réunies et je reviens au passage de g). Il y a là, alors, deux frères,
mais il y a aussi un héritier qui se plaint que quelqu’un ne lui laisse pas les
mêmes richesses qu’on a reçues : nec metuam, quid de me iudicet
heres / quod non plura datis invenerit. À vrai dire, dans les Adelphes
de Térence on n’a pas même d’héritiers et alors on doit penser à une autre
comédie de Térence ou de Cécilius, les deux auteurs comiques envers lesquels
Horace a montré de la sympathie – et c’est le cas pour Térence – ou
du moins du respect comme Cécilius, en excluant Plaute contre lequel Horace
s’est exprimé d’une façon terriblement dure (Épist. 2, 1,
vers 170-176 [Hor.Ep.2,1,170-176];
Ars[Hor.A.P.270-274],
vers 270-274). Mais on doit exclure Térence aussi, car chez
lui on ne trouve pas d’héritier qu’on blâme comme en g). Il reste alors
seulement Cécilius, et de Cécilius on a retrouvé dans les papyrus d’Herculanum
une comédie qui s’adapte très bien à cette situation, c’est le Faenerator
ou Obolostates, duquel on connaissait déjà quelques vers (sept fragments
transmis, six par Nonius et un par Festus)[26].
Dans le papyrus Herculanensis 78 on a trouvé d’autres parties très
importantes de cette comédie. Les fragments sont étudiés maintenant par le
professeur Knud Kleve de l’université d’Oslo, une première analyse a paru dans
les Cronache Ercolanesi[27]
et le professeur Kleve m’a donné d’autres renseignements. La trame de la
comédie semble être la suivante : un jeune homme est tombé amoureux d’une
jeune fille qui est esclave d’un maquereau et pour l’avoir il emprunte de
l’argent à un usurier. L’usurier, qui donne le nom à la comédie, prétend que le
jeune homme lui rende l’argent prêté. Le jeune homme cherche à obtenir l’argent
de son père, mais son frère, plus âgé que lui, fait opposition pour défendre
son héritage. Il y a l’intervention d’un parasite qui, peut-être, s’appelle
Lachès, mais on découvre que la jeune fille est née libre et citoyenne attique
et les deux jeunes peuvent ainsi se marier. Il y a aussi un procès de l’usurier
contre le jeune homme qui ne lui rend pas l’argent prêté et du jeune homme
contre le maquereau qui gardait comme esclave une jeune fille libre. Et, il y a
aussi un esclave rusé qui cherche à trouver une solution aux problèmes du jeune
homme. Une partie de la trame semble s’être déroulée dans le domaine agricole
du père du jeune homme ou dans le village où se trouve ce domaine, un domaine
dans lequel le frère aîné travaille en aidant le père. Mais, je donne la parole
au professeur Kleve lui-même[28]
qui renvoie aux fragments retrouvés : « In the preceeding colum (6A6)
Cunning Slave talks to his erus or master, a still further stock
character : father of Young Man. Cunning Slave asks for money, but Father
is adamant in his refusal, referring to the heir (6A7-8 cur nummum ter
haeres negat ; arcesso tuis sestertiis haeres negat [on peut
ajouter 6A9 nescit dimidii haeres cuius] ([Caecil.Faen.6a7-9]Young Man’s elder
brother. Brother regards the family property as his personal reward ([Caecil.Faen.6a14]6A14
facit haeres praemia heredis hos). We may imagine that Brother has
always stayed at home and helped Father, while Young Man has squandered time
and money among whores about town. » Je n’ai pas besoin de souligner les
similitudes avec l’héritier, en particulier celui qui se présente dans
l’épître [Hor.Ep.2,2,190sq.]2,
2, vers 190 et suiv.
Mais, en considérant
cette référence à Cécilius, on doit se demander quel était le jugement
qu’Horace donnait de Cécilius. En effet, Horace a cité deux fois Cécilius, la
première fois dans une galerie de poètes anciens qu’il n’accepte pas
complètement, mais pour la seule raison qu’ils sont anciens et parmi lesquels
il y a Térence lui-même. En cette circonstance, il nous dit que Cécilius et Térence
étaient les premiers, Cécilius pour la gravitas (πάθοϛ ?) et Térence pour l’ars. La seconde fois, il
place Cécilius avec Plaute pour la langue ancienne, qu’Horace n’aimait pas en
comparaison avec la langue des modernes comme Virgile et Varius. On ne peut pas
dire que Cécilius soit un des auteurs de référence d’Horace comme Térence, mais
il semble qu’il le respecte pour ses mérites, en excluant sa langue :
Ennius, et sapiens et
fortis et alter Homerus, 50
ut critici dicunt,
leviter curare videtur,
quo promissa cadant
et somnia Pythagorea.
Naevius in manibus
non est et mentibus haeret
paene recens ?
adeo sanctum est vetus omne poema.
ambigitur quotiens,
uter utro sit prior, aufert 55
Pacuvius docti famam
senis, Accius alti,
dicitur Afrani toga
convenisse Menandro
Plautus ad exemplar
Siculi properare Epicharmi,
vincere Caecilius
gravitate, Terentius arte.
hos ediscit et hos
arto stipata theatro 60
spectat Roma
potens ; habet hos numeratque poetas
ad nostrum tempus
Livi scriptoris ab aevo.
interdum vulgus
rectum videt, est, ubi peccat.
si veteres ita
miratur laudatque poetas,
ut nihil auferat,
nihil illis comparet, errat ; 65
si quaedam nimis
antique, si pleraque dure
dicere credis eos,
ignave multa fatetur,
et sapit et mecum
facit et Iove iudicat aequo. ([Hor.Ép.2,1,50-68]Hor. Épist. 2, 1, 50-68)
Ennius, ce sage, ce
vaillant, ce nouvel Homère, comme disent nos critiques, semble n’être guère en
peine de ce que deviennent les promesses de ses songes pythagoriciens. Névius
n’est-il pas dans toutes les mains et présent dans tous les esprits, comme s’il
était d’hier ? tant un vieux poème, toujours, est chose sacrée !
Toutes les fois qu’on met en question la prééminence d’un auteur sur un autre,
le vieux Pacuvius emporte la palme pour la science, le vieil Accius pour
l’élévation ; la toge d’Afranius eût convenu, dit-on, à Ménandre ;
Plaute est vif dans l’action à l’image du Sicilien Epicharme ; Cécilius
l’emporte sur eux par la force, Térence pour l’art. Voilà ceux qu’apprend par
cœur, ceux que va voir, entassée dans le théâtre trop étroit, la puissante
Rome, voilà ceux qu’elle reconnaît, qu’elle compte pour des poètes, depuis le
temps où écrivait Livius jusqu’à nos jours.
Parfois la foule voit
juste ; il est des cas où elle a tort. Si elle admire et vante les vieux
poètes au point de ne rien leur préférer, de ne rien leur comparer, elle se
trompe ; si elle pense qu’il y a chez eux des expressions trop antiques et
que leur style est dur en bien des endroits, si elle avoue qu’il est souvent
lâche, elle a bon goût, elle est de mon avis, la faveur de Jupiter éclaire son
jugement. ([Hor.Ép.2,1,50-68]Hor. Épist. 2, 1, 50-68)
........................................quid
autem
Caecilio Plautoque
dabit Romanus adeptum
Vergilio
Varioque ? ego cur, acquirere pauca 55
si possum, invideor,
cum lingua Catonis et Enni
sermonem patrum
ditaverit et nova rerum
nomina
protulerit ? licuit semperque licebit
signatum praesente
nota producere nomen. ([Hor.A.P.53-59]Hor.
Ars 53-59)
Eh quoi ! Les
Romains accorderont à Cécilius et à Plaute ce qu’ils auront refusé à Virgile et
à Varius ? Pourquoi, si je puis faire quelque gain, m’en envier, à moi, le
privilège, alors que la langue de Caton et celle d’Ennius ont enrichi l’idiome
national et mis au jour, pour les idées, des vocables nouveaux ? Il a
toujours été permis, il le sera toujours, de mettre en circulation un vocable
marqué au coin du moment. ([Hor.A.P.53-59]Hor.
Ars 53-9)
À ce point, il y a une
autre difficulté dont l’on doit tenir compte, c’est-à-dire le genre différent,
car les matériaux de référence qui concernent l’héritier viennent de la comédie
et s’adaptent plutôt aux épîtres ou aux sermones d’Horace qu’aux Odes.
Cette difficulté peut être résolue, à mon avis, en employant deux critères. En
premier lieu, on doit penser qu’il y a vraiment dans les vers [Hor.C.4,7,17-20]17-20
une certaine intrusion des matériaux qui sont plutôt de la comédie, des épîtres
et des sermones. Je suis d’accord avec ceux qui ont fait cette
observation, mais il s’agit d’une intrusion, pour ainsi dire, qui est
fonctionnelle à ce qu’Horace veut dire : on doit donner avec une
générosité qui va bien au-delà des barrières des genres, de la tradition, des
soucis d’héritage. En deuxième lieu, le Faenerator de Cécilius nous
ouvre une autre piste, celle de l’épode 2[Hor.Épod.2], où l’on trouve le faenerator
Alfius, qui fait l’éloge de la campagne, mais cherche à récupérer son
argent pour le placer chez quelqu’un d’autre. C’est une situation qui
correspond au faenerator de Cécilius pour ce qu’on peut voir des
fragments restés et les épodes sont très proches du genre lyrique, au moins de
la lyrique d’Archiloque qui est une bonne partie de la lyrique d’Horace
lui-même[29].
Alors le Faenerator de Cécilius et le correspondant grec[30]
peuvent être considérés, sinon comme des sources d’Horace, du moins comme
quelque chose qui lui donnait une idée et une référence. Ceci revient à dire
que, comme par ailleurs dans beaucoup d’emplois de la littérature précédente de
la part d’Horace, il y avait tout un réseau de références auxquels le lecteur
cultivé pensait lorsqu’il se trouvait devant ces vers, c’est-à-dire les
vers 17-20[Hor.C.4,7,17-20].
Il ne s’agit pas seulement de la noblesse des auteurs avec lesquels Horace
entrait en compétition, mais de la possibilité de dire plusieurs choses sans
tout dire, car le lecteur avait présente à l’esprit toute une situation, comme
celle du Faenerator de Cécilius. Une des préoccupations d’Horace était
de dire ce qui était nécessaire et seulement ceci, comme enseignait Homère
(Hor. Ars, vers 148-152[Hor.A.P.148-152])[31].
D’autre part, lorsque Horace composait cette ode pour commencer à dire que
toutes les choses du monde passent et seulement la poésie reste et donne
l’immortalité, comme il le fait dans les deux odes suivantes, on devait être
attentif à ce thème, c’est-à-dire au thème de ce qu’on laissait après sa mort,
car ceci touchait les soucis dynastiques d’Auguste. L’empereur commençait
peut-être déjà à s’orienter vers C. Caesar, le fils de Julia et d’Agrippa,
après la mort de Marcellus en 23. Sénèque le rhéteur (Contr. 2, 4,
vers 12-13[Sen.Contr.2,4,12-13])
nous a laissé un témoignage de l’attention de la cour d’Auguste à ce thème. On
devait être prudent, éviter d’incedere per ignes / subpositos
cineri doloso ([Hor.C.2,1,7-8]Hor.
Carm. 2, 1, 7-8). Il valait mieux que le lecteur fût renvoyé à la
situation du Faenerator de Cécilius sans trop en dire pour qu’il
s’imagine la chose par lui-même, sans qu’Horace la dît, bien qu’il ait voulu
toutefois mentionner l’héritage de poésie qu’il laissait et qui était son
véritable patrimoine.
Mais il y a un autre
élément qu’on ne doit pas négliger. La relation avec quelque chose d’imparfait,
comme ici les éléments tirés de la comédie, pouvait faire partie de la
perfection d’une œuvre. On devait être généreux, on devait donner sans se
soucier de l’héritier et des biens de la famille, on pouvait laisser de côté
les règles, bien autrement que ne le faisait le frère aîné de la comédie, lié
d’une façon « adamantine » à la défense du patrimoine. Le poète
pouvait ou aussi bien devait aller au-delà du genre. Une perfection véritable
prévoit aussi des moments d’imperfection fonctionnels à la perfection elle-même[32].