Tite-Live et le projet d’émigration des Romains à Véies
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Tite-Live a souvent
été accusé par les critiques modernes, de H. Bornecque à
P. G. Walsh (qui l’oppose sur ce point à Polybe)[1],
de n’avoir que peu d’intérêt pour les problèmes institutionnels, multipliant
les imprécisions et les approximations, et de montrer en particulier une très
grande désinvolture vis-à-vis des lois lorsqu’il est amené à les évoquer. Il
n’est évidemment pas possible de reprendre ici l’ensemble du problème, mais il
me semble que l’étude détaillée d’une question précise peut permettre au moins
d’alimenter le débat. Si j’ai choisi de faire porter l’examen sur la question
de l’émigration des Romains à Véies, c’est d’abord en raison de l’importance
que l’historien lui accorde au sein du livre 5, comme en témoigne le
fameux discours de Camille ; mais c’est aussi parce que cette question se
pose à deux reprises, d’abord en 395 avant J.-C., c’est-à-dire avant
la prise de Rome par les Gaulois, puis en 390 avant J.-C., après
celle-ci : ce sont donc deux projets de loi qui en l’espace de quelques
années sont présentés au vote du peuple et deux projets de nature très
différente puisque, même si le récit livien tend (intentionnellement, me
semble-t-il) à les confondre, le projet de 395 avant J.-C. ne prévoit
qu’une émigration partielle tandis que celui de 390 avant J. -C.
propose l’émigration de tous les Romains à Véies.
1. Le projet de
395 avant J.-C.
En
395 avant J.-C., c’est-à-dire l’année qui suit immédiatement la prise
de Véies, Rome est confrontée selon l’historien à une intense agitation
sociale[Liv.5,24,4][2] :
Romae interim
multiplex seditio erat, cuius leniendae causa coloniam in Volscos, quo tria
milia ciuium Romanorum scriberentur, deducendam censuerant, triumuirique ad id
creati terna iugera et septunces uiritim diuiserant.
Pendant ce temps, à
Rome, se produisaient toutes sortes de troubles ; pour les apaiser, le
Sénat avait décidé d’envoyer chez les Volsques une colonie dans laquelle
seraient inscrits trois mille citoyens romains et les triumvirs désignés pour
cette opération avaient fait des lots de trois arpents 7/12 par colon.
Si les formes de cette
agitation sont multiples – Romae [...] multiplex seditio erat –,
son origine est sans aucun doute le désir qu’ont les plébéiens de se voir
attribuer des terres, puisque le Sénat y répond par la décision d’envoyer une
colonie de trois mille citoyens romains chez les Volsques[3].
Mais le projet sénatorial ne fait qu’accentuer le mécontentement de la plèbe
qui préférerait, de façon bien compréhensible, s’installer sur les terres de la
cité étrusque qui vient d’être conquise[Liv.4,24,5-6][4] :
Ea largitio sperni
coepta, quia spei maioris auertendae solatium obiectum censebant :
« cur enim relegari plebem in Volscos cum pulcherrima urbs Veii agerque
Veientanus in conspectu sit, uberior ampliorque Romano agro ? » Vrbem
quoque urbi Romae uel situ uel magnificentia publicorum priuatorumque tectorum
ac locorum praeponebant.
Mais on se mit à
dédaigner cette largesse, parce que, pensaient les plébéiens, c’était là une
mesure qu’on leur jetait à titre de consolation pour les empêcher d’entretenir
de plus grands espoirs : « pourquoi en effet reléguer la plèbe chez
les Volsques, quand on avait sous les yeux la magnifique ville de Véies et son
territoire, plus fertile et plus vaste que celui de Rome ? » Ils
plaçaient la ville également au-dessus de la ville de Rome aussi bien par son
site que par la magnificence des bâtiments et des lieux publics et privés.
La première version du
projet de loi d’émigration à Véies apparaît ainsi clairement, dans le récit
livien, comme la traduction législative des aspirations de la plèbe[Liv.5,24,7][5] :
Quin illa quoque
actio mouebatur, quae post captam utique Romam a Gallis celebratior fuit,
transmigrandi Veios.
Bien plus, on agitait
même le projet, qui en tout cas fut plus largement débattu après la prise de
Rome par les Gaulois, d’une émigration à Véies.
Le projet est
d’ailleurs présenté par l’historien comme une rogatio
tribunicienne : l’expression elle-même (rogatio tribunicia) figure
un peu plus loin[Liv.5,29,6][6]
et le tribun de la plèbe Sicinius est explicitement désigné comme rogationis
lator[Liv.5,24,11][7].
Si la suite du récit prouve que plusieurs tribuns de la plèbe soutiennent la rogatio,
Sicinius (sur lequel je reviendrai) est le seul dont Tite-Live nous fournisse
le nom ; à l’en croire certains tribuns de la plèbe se sont au contraire
ralliés aux sénateurs, qui sont farouchement opposés au projet[Liv.5,25,1][8].
Comme la question n’est pas réglée à la fin de l’année, la lutte se poursuit
les deux années suivantes : l’historien précise que presque tous les
tribuns de la plèbe de 395 avant J.-C. sont réélus en
394 avant J.-C. (chaque camp soutenant les siens[Liv.5,25,13][9]), tandis que pour
393 avant J.-C. sont réélus seulement les partisans du projet
d’émigration[10].
Malgré tout, à la fin de cette année, le projet de loi est finalement repoussé
par les comices tributes à une voix de majorité : Legem una plures tribus antiquarunt quam iusserunt[Liv.5,30,7] ; « Lors du vote par les tribus la loi fut repoussée à une voix de majorité »[11]. Le caractère anachronique à la fois du vocabulaire employé par Tite-Live et du fonctionnement institutionnel qu’il suppose est bien entendu évident : à une date aussi haute les tribuns de la plèbe ne peuvent faire adopter, par le concilium plebis, qu’un plébiscite, lequel n’engage l’ensemble de la cité qu’une fois ratifié par un senatus-consulte, ce qui signifie que le Sénat peut bloquer n’importe quelle décision prise par la plèbe. Il est clair que Tite-Live, qui donne une place considérable aux efforts que font les patres pour empêcher le vote du projet[Liv.5,24,9-11][12] et qui emploie de façon récurrente à propos de la rogatio sicinienne le terme de lex[13], décrit une situation qui ne peut être antérieure à 286 avant J.-C., lorsque la lex Hortensia en supprimant l’obligation de la ratification sénatoriale des plébiscites assimile totalement ceux-ci à des lois et conduit à confondre concilium plebis et comices tributes. Mais de ce point de vue, il n’y a pas de différence de présentation entre le premier projet de
loi et le second, pour lequel Tite-Live reprend les mêmes termes : le discours de Camille est prononcé lors d’une contio (elles sont alors particulièrement fréquentes, dit l’historien, en raison de l’activisme des tribuns[14]) et une nouvelle « loi » est repoussée[15], même si le texte ne précise pas par quelle assemblée.
Les anachronismes du
récit livien supposent une réinterprétation annalistique du motif de
l’émigration romaine à Véies. Cette réinterprétation est une des constantes de
l’historiographie romaine et elle ne remet pas nécessairement en cause
l’historicité fondamentale de l’épisode ; il n’en reste pas moins que,
dans ce cas précis, la nature du projet attribué à Sicinius est peu claire.
Tite-Live[16] le
résume en une formule lapidaire :
parti plebis, parti
senatus destinabant habitandos Veios ;
[Du reste] c’était
une partie de la plèbe et une partie du Sénat qu’ils destinaient à habiter
Véies ;
la suite de la
phrase :
[...] duasque urbes
communi re publica incoli a populo Romano posse,
[…] et le peuple
romain pouvait habiter deux villes tout en formant un seul et même État,
qui est en style
indirect, apparaît en effet comme étant déjà du domaine de la justification ou
de l’argumentation[17].
La seule autre attestation que nous ayons du projet de
395 avant J.-C.[18],
se trouve chez Plutarque[Plu.Cam.7,3] [19] :
εἰσηγοῦντο γὰρ οἱ δήμαρχοι τόν τε δῆμον καὶ τὴν σύγκλητον
εἰς μέρη δύο νεμηθῆναι, καὶ τοὺς μὲν αὐτόθι κατοικεῖν, τοὺς δὲ κλήρῳ λαχόντας
εἰς τὴν αἰχμάλωτον μεταστῆναι πόλιν,[…]
Les tribuns
proposaient en effet de séparer le peuple et le Sénat en deux parties ;
les uns resteraient sur place, les autres, désignés par le sort, iraient
s’installer dans la ville conquise, [...]
Mais le témoignage de
Plutarque, qui est très proche de celui de Tite-Live – il comporte en
particulier les mêmes anachronismes institutionnels –, n’est guère plus
explicite. La seule précision qui nous soit donnée, à savoir que le choix entre
ceux qui partiraient à Véies et ceux qui resteraient à Rome se ferait par
tirage au sort, a toutes les chances d’être un ajout de l’auteur grec lui-même,
dans la mesure où une telle disposition est beaucoup plus grecque que romaine.
Force est donc de
reconnaître que, tel qu’il nous est présenté, le projet de
395 avant J. -C. a de quoi susciter la perplexité : en effet,
en-dehors même de toute question sur sa « faisabilité », un processus
tel que celui qui est envisagé ici est absolument sans exemple. Sans doute
n’est-ce pas un hasard si Tite-Live donne ici un rôle essentiel à un
T. Sicinius (le nom de Sicinius est en effet lié aux deux sécessions de la
plèbe[20]) ;
mais, malgré l’implication de T. Sicinius, il est évident qu’on ne saurait
voir dans le projet qu’il défend une tentative de sécession de la part des
plébéiens : c’est même tout le contraire. J. Bayet propose de voir
simplement dans le projet de 395 avant J.-C. « une extrapolation
de la théorie classique de la colonia, émanation de Rome en pays
conquis »[21] ;
c’est une analyse que peut corroborer le fait que la rogatio sicinienne
apparaisse comme un contre-projet plébéien à l’envoi d’une colonie chez les
Volsques. Mais il ne s’agit en l’occurrence ni d’envoyer des colons dans une
cité vaincue gardant une certaine indépendance, comme c’est le cas, à la même
période, de Fidènes[22],
ni, malgré ce que prétendent les opposants au projet de Sicinius, de refonder
Véies[23].
Le projet de 395 avant J.-C., tel du moins qu’il nous est présenté,
paraît au contraire impliquer la disparition politique de la cité, même si elle
subsiste en tant qu’habitat distinct, par absorption complète dans l’État
romain, transporté pour partie en tant que tel sur le site[24].
Du point de vue du sort qu’il réserve à la cité étrusque en tant qu’entité
politique, le projet de Sicinius est très proche, ce qui ne laisse pas
d’étonner, de la solution finalement choisie par le Sénat ; celui-ci, pour
récompenser la plèbe d’avoir rejeté le projet des tribuns, décide le
lotissement à son profit des terres véiennes[25] :
or, comme l’a montré M. Humbert[26]
une telle redistribution consacre la mort politique d’une cité.
La perplexité du
critique à propos du projet de 395 avant J.-C. est encore accrue par
le choix que fait Tite-Live de ne pas le distinguer clairement, au moment où il
l’évoque pour la première fois, de celui de 390 avant J.-C.[Liv.5,24,7-8][27] :
Quin illa quoque
actio mouebatur, quae post captam utique Romam a Gallis celebratior fuit,
transmigrandi Veios. Ceterum parti plebis, parti senatus habitandos destinabant
Veios, duasque urbes communi re publica incoli a populo Romano posse.
Bien plus, on agitait
même le projet, qui en tout cas fut plus largement débattu après la prise de
Rome par les Gaulois, d’une émigration à Véies. Du reste c’était une partie de
la plèbe et une partie du Sénat qu’ils destinaient à habiter Véies, et le
peuple romain pouvait habiter deux villes tout en formant un seul et même État.
Les deux projets,
celui d’une émigration de l’ensemble du peuple romain à Véies (qui n’est
discuté qu’après l’épisode gaulois) et celui de l’installation dans la ville
étrusque d’une partie seulement des Romains, sont en effet confondus dans une
seule et même formule – Quin illa quoque actio mouebatur [...] transmigrandi
Veios –, avant que le lecteur ne s’aperçoive, comme l’indique
le ceterum qui ouvre la phrase suivante, que le projet de
395 avant J.-C. ne prévoyait en rien l’abandon du site de Rome et le
transfert complet de la cité à Véies. À vrai dire, malgré les réserves de
certains critiques[28],
le récit livien lui-même prouve que seul le projet d’émigration partielle est
discuté avant la catastrophe gauloise. L’argument que l’historien prête aux patres
qui s’opposent au projet de 395 avant J.-C. – quippe nunc in
una urbe tantum dissensionum esse : quid in duabus urbibus fore ?[Liv.5,24,10][29] ; « En
effet, actuellement, dans une seule ville, il y avait tant de
dissensions : qu’arriverait-il dans deux villes ? » – ne
laisse pas de doute sur ce point. Comment Tite-Live pourrait-il d’ailleurs
penser qu’une émigration complète à Véies a été envisagée en
395 avant J.-C., alors même que sa seule justification en
390 avant J.-C. est la prise (et la destruction) de Rome par les
Gaulois ?
Il me paraît donc
évident que l’ambiguïté qui règne dans le récit livien à propos du projet de
395 avant J.-C. résulte non pas de l’impossibilité dans laquelle
serait l’historien de distinguer précisément ce qui relève de chacun des deux
projets qu’il présente, mais de sa volonté de les rapprocher l’un de l’autre,
par-delà l’épisode gaulois, quitte à forcer quelque peu le trait. La confusion
entre les deux projets, ou plutôt l’assimilation de l’un à l’autre, constitue
en effet une constante de son récit et c’est à ce titre qu’on la retrouve
lorsque la question d’une émigration à Véies revient à l’ordre du jour en
390 avant J.-C. Deux passages sont en l’occurrence particulièrement
révélateurs :
Seruatam deinde bello
patriam iterum in pace haud dubie seruauit cum prohibuit migrari Veios, et
tribunis rem intentius agentibus post incensam urbem et per se inclinata magis
plebe ad id consilium [...][Liv.5,49,8][30]
Ensuite, après avoir
sauvé la patrie pendant la guerre, il [= Camille] la sauva sans aucun doute de
nouveau en temps de paix quand il empêcha l’émigration à Véies, alors que les
tribuns agissaient en ce sens avec plus de force depuis l’incendie de la ville
et que la plèbe était par elle-même plus favorable à ce projet [...]
Sed res ipsa cogit
uastam incendiis ruinisque relinquere urbem et ad integra omnia Veios migrare
nec hic aedificando inopem plebem uexare. hanc
autem iactari magis causam quam ueram esse, ut ego non dicam, apparere uobis,
Quirites, puto, qui meministis ante Gallorum aduentum, saluis tectis publicis
priuatisque, stante incolumi urbe, hanc eandem rem actam esse ut Veios
transmigraremus.[Liv.5,53,1-2][31]
Mais c’est la
situation elle-même qui nous force à abandonner une ville en ruines et dévastée
par les incendies, à émigrer à Véies où tout est intact et à ne pas accabler la
plèbe sans ressources en reconstruisant ici. Que ce soit là un prétexte que
l’on invoque, et non la vérité, vous le voyez bien, je pense, sans que j’aie
besoin de le dire, citoyens, vous qui vous souvenez qu’avant l’arrivée des
Gaulois, alors que les édifices publics et les maisons des particuliers étaient
intacts, que la ville se dressait sans une atteinte, on avait fait la même
proposition d’une émigration à Véies.
À la lecture de ces
lignes, on en arrive même à se demander s’il ne faut pas considérer que les
promoteurs des deux projets sont les mêmes d’autant qu’ils trouvent une
nouvelle fois face à eux Camille auquel Tite-Live donne déjà un rôle essentiel
dans la lutte contre la rogatio de 395 avant J.-C.[32].
Une telle présentation, qui conduit à une dramatisation – qu’on est en
droit de considérer comme excessive – du projet de 395 avant J.-C., relève évidemment d’un choix idéologique. Tite-Live
reprend incontestablement à son propre compte, en les incluant dans son récit,
les arguments qu’il prête aux patriciens : on notera d’ailleurs que le
premier passage cité (Liv. 5, 49, 8)[Liv.5,49,8]
est un commentaire de l’historien, tandis que le second (Liv. 5, 53, 1-2)[Liv.5,53,1-2] est une phrase du discours de Camille.
C’est une analyse que confirme innocemment Plutarque, lorsqu’il prend soin de
distinguer la réalité du projet de 395 avant J.-C. (une installation
sur deux sites) de la manière dont les sénateurs l’interprètent (la destruction
de Rome)[Plu.Cam.7,4][33] :
μὲν οὖν δῆμος, ἤδ η
πολὺς γεγονὼς καὶ ἀχρήματος, ἄσμενος ἐδέξατο, καὶ συνεχὴς ἦν τοῖς περὶ τὸ βῆμα
θορύβοις αἰτῶν τὴν ψῆφον· ἡ δὲ βουλὴ καὶ τῶν ἄλλων οἱ κράτιστοι πολιτῶν, οὐ
διαίρεσιν, ἀλλ' ἀναίρεσιν ἡγούμενοι τῆς ῾Ρώμης πολιτεύεσθαι τοὺς δημάρχους
[...]
Le peuple, désormais
nombreux et pauvre, accueillit avec joie la proposition et il s’attroupait sans
cesse autour de la tribune, demandant à grands cris que l’on passât au
vote ; mais le Sénat et les aristocrates considéraient que les tribuns
proposaient non une division de Rome mais sa destruction […]
2. Véies et Capoue : Tite-Live
et le De lege agraria
Il est impossible de
déterminer précisément, en raison de l’état de notre documentation, la source
de Tite-Live pour la rogatio de 395 avant J.-C. et les
événements qui y sont liés : mais il n’est pas certain que la question
soit essentielle, tant est manifeste dans cet épisode (et jusque dans le
discours de Camille, comme on l’a souvent souligné) l’importance de l’apport
personnel de l’historien. En effet, quel qu’ait pu être, avant Tite-Live, le
degré d’élaboration annalistique du motif, l’historien (tout comme ses
lecteurs) ne pouvait pas ne pas mettre le ou les projets d’installation romaine
à Véies en relation avec d’autres projets, beaucoup plus contemporains, dont l’existence
influait nécessairement sur la représentation des événements des années 390
avant notre ère. On avait ainsi prêté à César le projet de transférer le siège
de l’Empire soit à Troie, soit à Alexandrie[34].
Le projet d’un transfert de Rome à Alexandrie avait été également prêté à
Antoine[35].
Mais la présentation
que fait Tite-Live des projets tribuniciens d’émigration à Véies, doit surtout
beaucoup, me semble-t-il, à la thématique développée par Cicéron en
63 avant J.-C., dans ses discours De lege agraria, prononcés
pour s’opposer à la rogatio de P. Servilius Rullus et en
particulier à l’une de ses dispositions, l’établissement d’une colonie à Capoue[36].
Nous ne savons guère de la rogatio de P. Servilius Rullus que ce
que nous en dit Cicéron lui-même : Rullus agissait en tant que tribun de
la plèbe, mais sans doute à l’instigation de César. La loi comportait au moins
quarante articles, mais Cicéron n’en cite qu’une dizaine et met essentiellement
l’accent sur la colonisation de Capoue à laquelle il s’oppose violemment parce
que cela reviendrait, dit-il, à ressusciter en tant que cité une ville que les
Romains avaient choisi de ne pas détruire matériellement mais qu’ils avaient
condamnée à la mort politique parce qu’elle pouvait à tout moment (re)devenir
une rivale de Rome. Il le dit très clairement aussi bien dans son discours au
Sénat que dans son discours au peuple[Cic.Agr.1,19] :
Maiores nostri Capua
magistratus, senatum, consilium commune, omnia denique insignia rei publicae
sustulerunt, neque aliud quicquam in urbe nisi inane nomen Capuae reliquerunt,
non crudelitate – quid enim illis fuit clementius qui etiam externis
hostibus uictis sua saepissime reddiderunt ? – sed consilio, quod
uidebant, si quod rei publicae uestigium illis moenibus contineretur, urbem
ipsam imperio domicilium praebere posse [...][37]
Nos ancêtres ont
enlevé à Capoue ses magistrats, son Sénat, son assemblée, bref tout ce qui
caractérise un État et ils n’ont rien laissé dans la ville en-dehors du vain
nom de Capoue. Ils ont agi ainsi, non pas par cruauté – qu’y a-t-il en
effet de plus clément que des hommes qui ont très souvent rendu leurs biens
même à des ennemis extérieurs après les avoir vaincus – mais après
délibération, parce qu’ils voyaient que, si quelque vestige d’organisation
politique subsistait dans ces murailles, la ville elle-même pourrait servir de
siège à l’empire.
In id oppidum homines
nefarie rem publicam uestram transferre conantur, quo in oppido maiores nostri
nullam omnino rem publicam esse uoluerunt, qui tris solum urbis in terris
omnibus, Carthaginem, Corinthum, Capuam, statuerunt posse imperi grauitatem ac
nomen sustinere. Deleta Carthago est […]. Corinthi uestigium uix relictum est.
[…] De Capua multum est et diu consultatum ; exstant litterae, Quirites,
publicae, sunt senatus consulta complura. Statuerunt homines sapientes, si
agrum Campanis ademissent, magistratus, senatum, publicum ex illa urbe
consilium sustulissent, imaginem rei publicae nullam reliquissent, nihil fore
quod Capuam timeremus.[Cic. Agr.2,87-88][38]
Cette ville dans
laquelle, par un dessein criminel, ces hommes s’efforcent de transporter l’État
qui est le vôtre, est la ville dans laquelle nos ancêtres ont voulu qu’il n’y
ait absolument aucun État ; ils ont jugé que sur la terre tout entière il
n’y avait que trois villes, Carthage, Corinthe et Capoue qui pouvaient
supporter le poids et le nom de l’empire. Carthage a été détruite. […] De
Corinthe subsistent à peine quelques traces […]. Au sujet de Capoue on a
beaucoup et longtemps débattu ; il reste des documents officiels,
citoyens, il y a de très nombreux sénatus-consultes. En hommes sages, ils ont décidé que s’ils
enlevaient leur territoire aux Campaniens, s’ils ôtaient à cette ville ses
magistrats, son Sénat, son assemblée populaire, s’ils n’y laissaient subsister
aucune apparence d’État, nous n’aurions plus rien à craindre de Capoue.
Il est vrai que
Cicéron ne nomme pas Véies, mais Carthage et Corinthe, au nombre des cités dont
le sort a été réglé de façon radicale parce qu’elles constituaient pour Rome,
comme Capoue, des rivales potentielles. La cité étrusque n’apparaît, au détour
du discours, qu’au titre des bourgades insignifiantes qui entourent Rome et
dont ne manqueront pas de se moquer les colons capouans en les comparant aux villes
opulentes qui se trouvent autour de la cité campanienne[39].
Mais Tite-Live ne pouvait manquer, quant à lui, de faire le rapprochement.
Comme Capoue, Véies avait été un temps la rivale de Rome et elle avait fait
l’objet, après sa défaite, d’un traitement identique puisque les sources de
l’historien garantissaient la survie matérielle de la cité étrusque[40].
Le sort réservé à Capoue venait donc confirmer ce que Tite-Live trouvait dans
ses sources à propos de Véies et le sort de Véies fournissait un précédent
remarquable à celui de Capoue[41].
Lorsque l’historien évoque les raisons qui poussent les plébéiens à vouloir
s’installer à Véies, c’est donc tout naturellement qu’il insiste sur les
avantages du site, sur la beauté et l’opulence de la cité, sur la richesse de
son territoire, en des termes qui font clairement écho à ceux que Cicéron avait
utilisés à propos de Capoue[Liv.5,24,5-6] :
« Cur enim
relegari plebem in Volscos cum pulcherrima urbs Veii agerque Veientanus in
conspectu sit, uberior ampliorque Romano agro ? » Vrbem quoque urbi
Romae uel situ uel magnificentia publicorum priuatorumque tectorum ac locorum
praeponebant.[42]
« Pourquoi en
effet reléguer la plèbe chez les Volsques, quand on avait sous les yeux la
magnifique ville de Véies et son territoire, plus fertile et plus vaste que
celui de Rome ? » Ils plaçaient la ville également au-dessus de la
ville de Rome aussi bien par son site que par la magnificence des bâtiments et
des lieux publics et privés.
Romam in montibus
positam et conuallibus, cenaculis sublatam atque suspensam, non optimis uiis,
angustissimis semitis, prae sua Capua planissimo in loco explicata ac
praeclarissime sita inridebunt atque contemnent ; agros uero Vaticanum et
Pupiniam cum suis opimis atque uberibus campis conferendos scilicet non
putabunt.[Cic. Agr.2,96][43]
Rome, située au
milieu de collines et de vallées, dont les maisons ont plusieurs étages et qui
est comme suspendue dans les airs, avec ses méchantes rues et ses ruelles très
étroites, ils s’en moqueront et ils la mépriseront, en comparaison de leur
Capoue qui s’étale dans une très vaste plaine et qui est admirablement située.
Les anachronismes
institutionnels du récit livien, si du moins ils ne sont pas simplement dus aux
sources dont disposait l’historien, s’expliquent alors aisément. Dans la mesure
même où, par l’effet de l’assimilation entre Véies et Capoue, l’opposition
obstinée des optimates aux divers projets tribuniciens visant à redonner
vie à la cité campanienne[44]
apparaissait à Tite-Live comme la reproduction de la lutte qui avait opposé
Camille et les patriciens à la plèbe au sujet de Véies, il était logique qu’il
pense les événements des années 400 avant J.-C. à la lumière de ceux
du premier siècle.
Mais on peut pousser
plus loin l’analyse : il est très intéressant de constater que la
dramatisation qui est à l’œuvre dans le récit livien à propos du projet
attribué à Sicinius – et qui procède, comme je l’ai dit, de l’assimilation
l’un à l’autre des projets de 395 avant J.-C. et de
390 avant J.-C. – est déjà présente et dans des termes
comparables dans le De lege agraria. Alors que la rogatio de
Rullus, comme auparavant celle de M. Junius Brutus, ne vise à rien d’autre
qu’à l’installation à Capoue d’une colonie romaine, Cicéron y voit une
tentative pour créer une seconde Rome (altera Roma)[Cic.Agr.2,86][45] :
Tunc illud uexillum
Campanae coloniae uehementer huic imperio timendum Capuam a xuiris inferetur,
tunc contra hanc Romam, communem patriam omnium nostrum, illa altera Roma
quaeretur.
Alors, cet étendard
de la colonie campanienne, si grandement redoutable pour notre pouvoir, sera
apporté à Capoue par les décemvirs, alors contre notre Rome, notre commune
patrie à nous tous, on ira chercher cette autre Rome.
L’orateur accuse
explicitement les tribuns, devant le sénat, de vouloir transférer à Capoue la
capitale de l’Empire et, dans son discours au peuple, de vouloir y opérer un
transfert total de l’État romain, c’est-à-dire de Rome elle-même :[Cic.Agr.2,89]
Iam omnis omnium
tolletur error, iam aperte ostendent sibi nomen huius rei publicae, sedem urbis
atque imperi, denique hoc templum Iouis Optimi Maximi atque hanc arcem omnium
gentium displicere. Capuam deduci colonos uolunt, illam urbem huic urbi rursus
opponere, illuc opes suas deferre et imperi nomen transferre cogitant.[46]
Voici que vont se
dissiper absolument toutes les hésitations, voici qu’ils vont montrer au grand
jour que leur déplaisent le nom de cet État, le siège de la ville et de
l’empire, et pour finir ce temple de Jupiter Très Bon, Très Grand, et cette
citadelle de toutes les nations. Ils veulent établir des colons à Capoue, ils
songent à opposer de nouveau cette ville à notre ville, à y établir leur
puissance et à y transférer notre empire et sa renommée.
Quod si maiores
nostri existimassent quemquam in tam inlustri imperio et tam praeclara populi
Romani disciplina < M. > Bruti aut P. Rulli similem
futurum – hos enim nos duos adhuc uidimus qui hanc rem publicam Capuam
totam transferre uellent – profecto nomen illius urbis non reliquissent.[Cic.Agr.2,89][47]
Si nos ancêtres
avaient pensé que, dans un empire si glorieux, dans un régime aussi remarquable
que l’est celui du peuple romain, quelqu’un ressemblerait à M. Brutus ou à P.
Rullius – en effet ce sont les deux seuls hommes qu’on
ait vu jusqu’ici proposer de transférer à Capoue l’État romain tout
entier –il ne fait
aucun doute qu’ils n’auraient pas laissé subsister le nom de cette cité.
Et pour que le peuple
puisse juger de la réalité d’une telle menace, Cicéron raconte longuement une
visite qu’il dit avoir faite à Capoue au temps où M. Junius Brutus y avait
établi une colonie. La cité qu’il décrit possède l’ensemble des institutions de
la Rome véritable, mais les « vrais Romains » y sont des
étrangers[48] :
Nam primum, id quod
dixi, cum ceteris in coloniis iiuiri appellentur, hi se praetores appellari
uolebant. Quibus primus annus hanc cupiditatem attulisset, nonne arbitramini
paucis annis fuisse consulum nomen appetituros ? Deinde anteibant lictores
non cum bacillis, sed, ut hic praetoribus urbanis anteeunt, cum fascibus bini.
Erant hostiae maiores in foro constitutae, quae ab his praetoribus de
tribunali, sicut a nobis consulibus, de consili sententia probatae ad praeconem
et ad tibicinem immolabantur. Deinde patres conscripti uocabantur. […] Nos
autem, hinc Roma qui ueneramus, iam non hospites, sed peregrini atque aduenae
nominabamur.[Cic.Agr.2,93-94]
Tout d’abord, comme
je l’ai dit, alors que dans toutes les autres colonies, les magistrats sont
appelés duumvirs, ils voulaient être appelés préteurs. Et si la première année
<d’existence de la colonie> leur avait donné ce désir, ne pensez-vous pas
que quelques années plus tard ils auraient revendiqué le titre de
consuls ? Ensuite des licteurs les précédaient ; ils ne portaient pas
de baguettes, mais ils étaient, comme ceux qui chez nous précèdent les préteurs
urbains, deux pour chacun d’eux et ils portaient des faisceaux. Il y avait de
grandes victimes offertes sur le forum, que ces préteurs du haut de leur
tribunal, comme nous le faisons nous les consuls, agréaient après avis de leur
conseil et que l’on immolait avec héraut et joueur de flûte. Ensuite, on
convoquait les « Pères conscrits ». […] Quant à nous, qui venions de
Rome, ils ne nous donnaient plus le nom d’hôtes, mais ceux de pérégrins et
d’étrangers.
Les points de contact
entre cette thématique, qui transforme l’établissement d’une colonie en un
abandon de Rome, et le récit livien sont tels qu’ont en vient presque à se
demander si ce dernier n’est pas seulement la présentation sous forme historique,
c’est-à-dire en en faisant des « événements réels », des arguments
rhétoriques développés par Cicéron dans le De lege agraria. Mais si
l’orateur peut avoir fourni à Tite-Live un modèle de développement dramatique,
il ne peut bien entendu pas être sa source. La geste de Camille et le rôle
qu’il joue, après la prise de Rome par les Gaulois, pour empêcher une
émigration romaine à Véies, sont des motifs annalistiques fixés antérieurement
à l’époque cicéronienne. De la même manière on peut penser que la thématique à
l’œuvre dans le De lege agraria n’est pas une création cicéronienne. Il
est plus que vraisemblable qu’elle a déjà été employée contre les Gracques.
Dans le De republica, lors de la fameuse discussion sur le phénomène de
parhélie, Laelius regrette amèrement que Tubéron l’interroge sur l’apparition
de deux soleils au lieu de se demander « pourquoi il y a désormais dans un
seul État deux Sénats et presque deux peuples »[49]
et il fait porter sur Tiberi Gracchus la responsabilité d’une telle situation[Cic.Rep.1,31] :
Nam, ut uidetis, mors
Tiberi Gracchi et iam ante tota illius ratio tribunatus diuisit populum unum in
duas partis.
Car, comme vous le
voyez, la mort de Tiberius Gracchus et, déjà auparavant, toute la politique
qu’il a suivie lors de son tribunat ont divisé un seul peuple en deux parties.
D’autre part, Appien[50]
et Velleius Paterculus[51]
attribuent à Caius Gracchus l’intention d’installer une colonie à Carthage
– « en raison de la fertilité du sol », précise Appien –
et, si l’on en croit Plutarque le même Caius Gracchus projetait d’établir
également une colonie à Capoue (déjà)[52].
Rien n’interdit donc de considérer que l’on retrouve tout à la fois dans le De
lege agraria (sous forme oratoire) et dans le livre 5 de Tite-Live
(sous forme historique) le même schéma idéologique, sans doute d’origine
aristocratique[53] et remontant
au moins à l’époque des Gracques, tendant à rendre compte sous la forme
fantasmatique de la division puis de la mort de la cité (par transfert de
l’ensemble de sa population) de la peur qu’inspirait l’idée de l’installation
d’une colonie dans une cité longtemps rivale. Si tel est le cas, Tite-Live ne
trouvait dans le De lege agraria que la confirmation de ses propres
sources.
Conclusion
J’aimerais conclure
cette étude des projets d’émigration à Véies tels que Tite-Live les présente en
posant une question quelque peu provocatrice. Historiquement parlant, dans les
années 390 avant J.-C., cela fait près d’un siècle que la plèbe
manque de terres : la question agraire ne sera totalement réglée que par
le lotissement de l’ager Veientanus et la création, à la suite de cette
mesure, de quatre nouvelles tribus en 387 avant J.-C.[54],
alors qu’aucune tribu n’a été créée depuis 495 avant J.-C. La
question des terres véiennes et de façon plus générale celle du sort qu’il
convenait de réserver à la cité vaincue a donc sans aucun doute été à cette
époque une des questions fondamentales que posait à Rome la victoire qu’elle
venait de remporter sur sa grande voisine étrusque. L’attirance que
celle-ci exerçait sur la plèbe romaine ne fait-elle non plus aucun doute
puisque, nous apprend Tite-Live, le Sénat fut contraint de rappeler à Rome, en
389 avant J.-C., ceux des Romains qui s’étaient établis indûment à
Véies « par paresse de reconstruire à Rome »[55]
et cette installation est historiquement avérée. Cela signifie-t-il que, quelle
que soit la forme qu’ait pu prendre un tel projet (puisque sur ce point le
récit livien en raison de ses anachronismes ne nous est d’aucun secours), les
Romains aient vraiment pensé d’abord à installer à Véies une partie du peuple
et du Sénat, ensuite à émigrer totalement dans la cité étrusque ? Le
premier de ces projets est, comme je l’ai dit, sans exemple ; le second
n’est justifié que par la destruction totale de Rome lors de l’épisode gaulois :
or de nombreux spécialistes remettent précisément en cause l’ampleur des dégâts
causés par les Gaulois à la cité, dont le redressement est aussi rapide que
spectaculaire. Si l’on accepte mon analyse et que l’on considère que le récit
livien dépend de sources dans lesquelles s’est appliqué le schéma idéologique
que j’ai tenté de dégager par comparaison avec le De lege agraria, il
faut bien se demander si, dans les années 390 avant J.-C., l’on a
discuté d’autre chose à Rome que d’un simple projet d’établissement à Véies
d’une colonie…
[1] H. Bornecque, Tite-Live, Paris, 1933,
p. 68-97, et P. G. Walsh, Livy: His Historical Aims and Methods,
p. 138-190.
[3] L’historicité de ce projet semble garantie par
Diodore qui signale dans la même période l’envoi d’une colonie romaine à Circei
(D.S. 14, 102, 2)[D.S.14,102,2].
[5] Liv. 5, 24, 7[Liv.5,24,7].
C’est la manière dont je comprends le quin qui introduit la mention du
projet (Quin illa quoque actio mouebatur, [...] transmigrandi Veios) et
qui doit marquer dans l’esprit de Tite-Live une étape supplémentaire dans la
dégradation du climat social par le passage au stade législatif, d’autant que
le projet de loi accentue les divisions au sein de la cité, entre la plèbe et
les patres, mais aussi parmi les tribuns de la plèbe. Actio est
le terme consacré pour désigner une « motion présentée par un
magistrat », mais on notera que l’expression actionem mouere
n’apparaît chez Cicéron ni dans les discours, ni dans les œuvres
philosophiques. Le terme d’actio revient au pluriel : voir tribunorum
plebis actiones « les projets des tribuns de la plèbe »
(Liv. 5, 29, 1[Liv.5,29,1], au moment où la
question revient sur le devant de la scène après la prise de Faléries). Le
verbe mouere se retrouve plus loin dans une formule vague, principio
anni tribuni plebis nihil mouerunt « au début de l’année, les tribuns
de la plèbe ne firent aucune proposition » (Liv. 5, 26, 1)[Liv.5,26,1], expression elle-même reprise par la
formule differendo deinde elanguit res « ensuite, l’affaire traîna
en longueur à force d’être différée » (ibid).
[7] Liv. 5, 24, 11.[Liv.5,24,11]
Rogare se trouve en 5, 24, 9[Liv.5,24,9] :
Aduersus quae cum
optimates ita tenderent ut « morituros se citius » dicerent « in
conspectu populi Romani quam quicquam earum rerum rogaretur ».
Les aristocrates
s’élevaient contre ce projet : « ils mourraient sous les yeux du
peuple romain », disaient-ils, « plutôt que de laisser faire quelque
projet de loi que ce soit qui irait dans ce sens ».
[8] Liv. 5, 25, 1[Liv.5,25,1] :
partem tribunorum plebi patres in suam sententiam traxerant « les
sénateurs avaient rallié à leur avis une partie des tribuns ». Les seuls
tribuns nommés par Tite-Live en-dehors de Sicinius sont significativement
A. Verginius et Q. Pomponius, condamnés tous deux par le peuple à une
amende de dix mille as lourds pour s’être opposés au projet à la demande des patres
(Liv. 5, 29, 6-10)[Liv.5,29,6-10]. Nous
n’avons aucune autre attestation de ces noms. Plutarque n’en donne aucun :
d’ailleurs chez lui les tribuns apparaissent comme parfaitement unis pour
défendre le projet face au Sénat.
[9] Liv. 5, 25, 13[Liv.5,25,13].
[10] Liv. 5, 29, 1[Liv.5,29,1].
[11] Liv. 5, 30, 7[Liv.5,30,7].
[12] Liv. 5, 24, 9-11[Liv.5,24,9-11] :
Aduersus quae cum
optimates ita tenderent ut « morituros se citius » dicerent « in
conspectu populi Romani quamquicquam earumrerum rogaretur ; quippe nunc
in una urbe tantum dissensionum esse :quidinduabus urbibus fore ?
uictamne ut quisquam uictrici patriae praeferret sineretquemaiorem fortunam
captisesseVeiisquamincolumibus fuerit ? postremo se relinqui a ciuibus
in patria posse :utrelinquantpatriamatqueciuesnullamuimunquam
subacturam,et T. Sicinium – is enim ex tribunis plebis rogationis
eius lator erat – conditorem Veios sequantur, relicto deo Romulo, dei
filio, parente et auctore urbis Romae ». ; Liv. 5, 26, 1[Liv.5,26,1] ; Liv. 5, 30[Liv.5,30].
Les aristocrates
s’élevaient contre ce projet : « ils mourraient sous les yeux du
peuple romain », disaient-ils, « plutôt que de laisser faire quelque
projet de loi que ce soit qui irait dans ce sens. En effet, actuellement, dans
une seule ville, il y avait tant de dissensions : qu’arriverait-il dans
deux villes ? Est-ce qu’on allait préférer la cité vaincue à la patrie
victorieuse et laisser Véies, après sa défaite, jouir d’une fortune plus grande
que lorsqu’elle n’avait pas été vaincue ? Enfin leurs concitoyens
pouvaient bien les abandonner dans leur patrie ; mais aucune violence ne
pourrait jamais les forcer eux à abandonner leur patrie et leurs concitoyens ni
à suivre T. Sicinius – c’était en effet celui des tribuns qui présentait
le projet de loi –, fondateur de Véies, en abandonnant Romulus, dieu et
fils de dieu, père et créateur de la ville de Rome ».
[13] On ajoutera à Liv. 5, 30, 7[Liv.5,30,7], déjà cité : latores legis ≠ intercessores
legis « les promoteurs de la loi ≠ les opposants à la loi »
(Liv. 5, 29, 13[Liv.5,29,13] et Liv. 5,
29, 1[Liv.5,29,1]) pour désigner les défenseurs du
projet et ceux qui s’y opposent – coortis ad perferendam legem tribunis
plebis « les tribuns de la plèbe s’étant manifestés pour faire voter
la loi »(Liv. 5, 29, 3[Liv.5,29,3])
– Senatum uero incitare aduersus legem haud desistebat < Camillus
> : ne aliter descenderent in forum, cum dies ferendae legis
uenisset […] « En outre, Camille ne cessait d’exciter les sénatuers
contre la loi : “ ils ne devaient pas descendre sur le forum, quand
le jour serait venu de voter le loi, sans […] ” (Liv. 5, 30, 1)[Liv.5,30,1] – cum ferretur lex « alors que
l’on présentait le projet de loi »(Liv. 5, 30, 4)[Liv.5,30,4].
[14] Liv. 5, 50, 8[Liv.5,50,8].
[15] Liv. 5, 55, 2[Liv.5,55,2] :
antiquata deinde lege [...] « ensuite, la loi ayant été rejetée
[…] ».
[16] Liv. 5, 24, 8[Liv.5,24,8].
[17] On peut aussi noter que le sujet de destinabant
est bien difficile à déterminer précisément. On aurait tendance à considérer
qu’il s’agit comme pour les verbes précédents (censebant, praeponebant)
des plébéiens dans leur ensemble, ce qui pourrait expliquer le flou de la
formule. Mais rien n’interdit de penser que le pluriel de destinabant
renvoie aux latores rogationis eux-mêmes, impliqués par le passif
précédent : illa actio mouebatur. Dans ce cas peut-être faudrait-il
considérer la formule comme un « extrait du texte ».
[18] Le texte de Denys d’Halicarnasse est perdu et Diodore
(D.S. 14, 116, 8)[D.S.14,116,8] ne
signale que ce qui est chez Tite-Live le dernier épisode de la lutte, à savoir
le lotissement au profit de la plèbe romaine de l’ager Veiens.
[19] Plutarque, Camille, 7, 3.
[20] C’est un Sicinius qui est l’instigateur de la
retraite de la plèbe sur le Mont Sacré (Liv. 2, 32, 2)[Liv.2,32,2] à la suite de laquelle il est l’un des
premiers tribuns de la plèbe (Liv. 2, 33, 2)[Liv.2,33,2].
Un autre Sicinius, dont Tite-Live précise que selon la tradition il est un
descendant du premier, est nommé tribun après la deuxième retraite de la plèbe
sur le Mont Sacré au moment de la chute des decemvirs, dans laquelle il
ne joue cependant pas de rôle particulier (Liv. 3, 54, 12)[Liv.3,54,12]. Enfin, en 76 avant J.-C., un Cn.
Sicinius est l’auteur d’une tentative de restauration de la puissance
tribunicienne (voir T. R. S. Broughton, The Magistrates of
the Roman Republic, 2, p. 92-96, avec les références).
[21] J. Bayet, Liv. 5 (CUF), p. 114.
[22] Comme on sait, lorsqu’ils décident de s’allier aux
Véiens contre Rome, les Fidénates assassinent les colons romains installés dans
leur cité (Liv. 4, 31, 7)[Liv.4,31,7].
[23] Liv. 5, 24, 11[Liv.5,24,11] :
« Postremo se
relinqui a ciuibus in patria posse : ut relinquant patriam atque ciues
nullam uim unquam subacturam, et T. Sicinium – is enim ex tribunis
plebis rogationis eius lator erat – conditorem Veios sequantur, relicto
deo Romulo, dei filio, parente et auctore urbis Romae. »
« Enfin leurs
concitoyens pouvaient bien les abandonner dans leur patrie ; mais aucune
violence ne pourrait jamais les forcer eux à abandonner leur patrie et leurs
concitoyens ni à suivre T. Sicinius
– c’était en effet celui des tribuns qui présentait le projet de
loi –, fondateur de Véies, en abandonnant Romulus, dieu et fils de dieu,
père et créateur de la ville de Rome. »
[24] Liv. 5, 24, 8[Liv.5,24,8] :
[...] duasque urbes communi re publica a populo Romano posse « […]
et le peuple romain pouvait habiter deux villes tout en formant un seul et même
État ».
[25] Liv. 5, 30, 8[Liv.5,30,8].
[26] M. Humbert, Municipium et ciuitas sine
suffragio, p. 76-81.
[27] Liv. 5, 24, 7-8[Liv.5,24,7-8].
[28] Voir par exemple, J. Bayet, Liv. 5 (CUF),
p. 115-116.
[29] Liv. 5, 24, 10[Liv.5,24,10].
[30] Liv. 5, 49, 8[Liv.5,49,8].
[31] Liv. 5, 53, 1-2[Liv.5,53,1-2].
[32] Liv. 5, 25, 4 sqq.[Liv.5,25,4sqq.] Liv. 5, 29, 8- 5, 30, 3[Liv.5,29,8-5,30,3].
[33] Plutarque, Camille, 7, 4.
[34] Nicolas de Damas, Vit. Caes., 20[Nic.Dam.Vit.Caes.20] et Suétone, Diuus Iulius, 79, 4[Suet.Caes.79 4]. On mesure le retentissement que
pouvaient avoir les discussions sur de tels projets (avérés ou non) à
l’insistance de Virgile (Én., 12, 828)[Verg.A.12,828]
et d’Horace (Odes, 3, 3, 57-68)[Hor.C.3,3,57-68]
sur la mort définitive de Troie.
[35] Dion Cassius, 50, 4, 1[D.C.50,4].
[36] Le terme de rogatio correspond cette fois à
la réalité institutionnelle. La reprise par Tite-Live de thèmes appartenant à
la symbolique politique cicéronienne a été soulignée, en particulier par
C. Nicolet, « “Consul togatus ” : remarques sur le
vocabulaire politique de Cicéron et de Tite-Live », REL, 38, 1960,
p. 236-263.
[37] Cicéron, De lege agraria, 1, 19.
[38] Cicéron, De lege agraria, 2, 87-88.
[39] Cicéron, De lege agraria, 2, 96[Cic.Agr.2,96].
[40] Comme on sait, c’est à Véies que se réfugient la
plupart des Romains qui ont survécu au désastre de l’Allia, et c’est par le
fait que Véies soit intacte, à la différence de Rome, que se justifie en
390 avant J.-C. l’émigration des Romains.
[41] Un des éléments essentiels de l’argumentation
cicéronienne est que le site de Capoue est propre à inspirer à ses habitants un
orgueil démesuré : la superbia, que ne manqueront pas de ressentir
les colons capouans (De lege agraria, 2, 97)[Cic.Agr.2,97], a son pendant,
chez Tite-Live, dans l’attitude du dernier roi de Véies (Liv. 5, 1, 3-5)[Liv.5,1,3-5].
[42] Liv. 5, 24, 5-6[Liv.5,24,5-6].
[43] Cicéron, De lege agraria, 2, 96.
[44] Une première tentative, conduite par M. Junius
Brutus, le père du tyrannicide, échoue en 83 avant J.-C. (De lege
agraria, 2, 89[Cic.Agr.2,89] ; 2, 92-93[Cic.Agr.2,92-93] ; 2, 98[Cic.Agr.2,98]).
Il en est de même pour la rogatio de Rullus, bloquée par l’intercessio
de L. Caecilius (pro P. Sulla, 65)[Cic.Sull.65].
Cependant, le projet de Rullus est repris par César lors de son consulat de
59 avant J.-C. et aboutit finalement grâce au soutien de Pompée. Le
droit de se constituer en cité semble donc bien avoir été rendu à Capoue en
59 avant J.-C. (Velleius Paterculus, 2, 44, 4)[Vell.2,44,4] ;
mais César a été obligé pour mettre fin à l’obstruction systématique des optimates
de faire expulser du forum par la force son collègue Bibulus, lequel s’enferme
chez lui pour le reste de son consulat (Suétone, Diuus Iulius, 20, 2-3)[Suet.Caes.20,2-3] et Velleius Paterculus, 2, 44, 4-5)[Vell.2,44,4-5].
[45] Cicéron, De lege agraria, 2, 86.
[46] Cicéron, De lege agraria, 1, 18.
[47] Cicéron, De lege agraria, 2, 89.
[48] Cicéron, De lege agraria, 2, 93-94.
[49] Cicéron, De republica, 1, 31[Cic.Rep.1,31] : [...] non quarit cur in una re
publica duo senatus et duo paene iam populi sint « [...] il ne demande
pas comment dans un seul État il ya deux sénats et presque deux peuples ».
[50] Appien, B.C., 1, 24[App.BC.1,24].
[51] Velleius Paterculus, 1, 15[Vell.1,15]
et 2, 7[Vell.2,7].
[52] Plutarque, C. Gracchus, 8, 3[Plu.CG,8,3].
[53] C’est ce que laisse entendre, comme on l’a vu,
Plutarque, Camille, 4[Plu.Cam.4].
[54] Liv. 6, 5, 8[Liv.6,5,8].
[55] Liv. 6, 4, 5[Liv.6,4,5].
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